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22.06.2020

À l'écoute des campagnes

Fondée par des diplômés de l’Ecole urbaine, l’association La Traverse a pour mission d’accompagner les territoires ruraux dans leurs démarches de transition écologique et sociale. Pour étudier et diffuser les bonnes pratiques, cette association produit le podcast “Transitions en terrain connu”, qui met en valeur des stratégies territoriales ambitieuses. Elle a ainsi réalisé un “tour de France des territoires ruraux” dont elle vient de publier le bilan. À cette occasion, Alexia Beaujeux, une des fondatrices, témoigne. 

Comment ce projet est-il né ? 

Nous nous sommes tous rencontrés lorsque nous étions étudiants dans le Master Stratégies urbaines et territoriales (STU) de l’Ecole urbaine de Sciences Po. Pendant nos études, nous avons créé une association dont l’objectif était vaste : il s’agissait de repenser l’aménagement du territoire en fonction des enjeux énergétiques et climatiques et notamment de remettre en question le bien-fondé de la métropolisation, dont l’histoire s’explique par la disponibilité, aujourd’hui révolue, du pétrole à bas-coût. 

Nous avons pris goût à travailler ensemble, et assez vite nous avons voulu trouver notre place dans l’écosystème foisonnant des associations qui travaillent sur la structure écologique des territoires. Nous avons ensuite décidé de resserrer notre réflexion sur les territoires ruraux, parce que nous nous sommes rendu compte que ces derniers étaient a priori plus aptes à la résilience que les villes (même s’il reste du chemin à parcourir). Nous définissons la résilience par la capacité à faire face au changement climatique et aux enjeux énergétiques, notamment en se rendant moins dépendant du pétrole. Nous avons obtenu notre diplôme en juin 2019, et en septembre 2019, la Traverse était lancée. 

Qui est derrière La Traverse ? 

La Traverse est une association animée par huit diplômés du Master STU, dont trois personnes à temps plein : Maxime, Solène et moi. Ce qui est amusant, c’est qu’aucun de nous trois n’a vraiment grandi dans un milieu rural ! Aujourd’hui, nous sommes installés à Poitiers où nous partageons à la fois notre appartement et notre projet professionnel. 

Les cinq autres diplômés impliqués travaillent dans des domaines connexes et nous aident de façon ponctuelle. Il y a par exemple un chef de projet “sobriété énergétique” à Dunkerque, qui acquiert et partage des connaissances techniques précieuses. Nous aimerions que d’autres nous rejoignent, et d’autres aimeraient nous rejoindre : ce sera possible dès que l’association aura pris son rythme de croisière

Pourquoi créer un podcast ? 

Cette idée est née de notre partenariat avec l’Unadel (Union nationale des acteurs du développement local), un réseau qui oeuvre depuis plus de 30 ans pour la reconnaissance des “territoires de projets”. L’Unadel manquait d’informations sur les territoires ruraux. Nous nous sommes demandé comment produire cette information, et nous avons pensé à faire un podcast : relativement facile à réaliser, actuellement en plein essor, ce format nous permettait de capter l’attention sans avoir des moyens pharaoniques. L’expérience de Maxime, qui a animé une radio étudiante à Sciences Po, était aussi un atout. 

C’est ainsi que nous nous sommes lancés à la découverte des territoires ruraux et de leur stratégie de résilience. Et plus on avançait, plus on apprenait ! Les personnes investies dans le développement local ont parfois été surprises que de jeunes urbains, sans connaissance de l’agriculture, puissent s'intéresser aux territoires ruraux comme à des espaces d’avenir ; mais loin de voir cela comme un problème, ils s’en sont félicité. Idem lorsque nous sommes allés à la rencontre d’éleveurs alors que nous sommes tous les trois végétariens. En fait, être dans une posture de média permet de rencontrer des gens, d’apprendre, de partager

Comment réalisez-vous vos podcasts ? 

Toutes les deux semaines, nous partons à deux sur un “terrain”. Chaque podcast nous prend en général une semaine de travail (sans compter le temps de préparation et de thématisation qui précède l’arrivée sur un territoire). Nous sommes toujours hébergés gratuitement par nos interlocuteurs locaux, et nous nous déplaçons en train ou en auto-stop pour favoriser les rencontres (comme nous le faisions d’ailleurs à Sciences Po en tant que membres de l’association étudiante Stop & Go). Certains entretiens pour le podcast ont même été réalisés directement pendant nos trajets en voiture ! 

Généralement, nous programmons 6 à 8 entretiens avant notre arrivée, et d’autres se rajoutent au cours de notre séjour. Il s’agit toujours de portraits subjectifs, d’histoires personnelles racontées par nos interlocuteurs, quels qu’ils soient : agriculteurs, militants associatifs, commerçants… Nous essayons aussi de toujours voir un ou plusieurs élus, même s’ils ne sont pas systématiquement porteurs des dynamiques de transition. 

Loos-en-Gohelle, Coaraze, le Kochersberg... Qu’avez-vous appris en enquêtant sur ces territoires ? 

Nous nous sommes rendu compte qu’il était possible de classer les territoires par niveau de résilience : il y a, d’abord, les territoires où les acteurs de la transition foisonnent, mais où il n’y a pas de coordination. Ensuite, il y a des territoires sur lesquels la dynamique se structure, par exemple autour d’une AMAP, ou de la mise en commun de nouveaux modes de distribution ou de production d’énergie (par exemple l’achat collectif d’une éolienne). 

Il y a, enfin, des “projets de territoire” qui prennent toutes ces dimensions en compte : agriculture, alimentation, distribution, énergie… Dans ces cas-là, on note que l’implication des élus, et l’apport de financements institutionnels (par exemple de subventions), sont toujours présents. Ce qui revient à dire que la force bénévole ne suffit pas, notamment pour assurer la coordination entre les initiatives : là où il y a projet de territoire, il y a investissement public

Quels sont vos projets aujourd’hui ? Que souhaitez-vous développer ? 

Avec notre podcast, qui représente actuellement une part importante de notre activité, nous avons couvert 11 territoires et prévoyons d’en couvrir encore 5 ou 6. Nous recherchons aussi des territoires qui peuvent nous apprendre quelque chose sur une thématique identifiée comme, par exemple, le lien éventuel entre la résilience territoriale et l’accueil de migrants. Nous avons enfin réalisé un “tour de France des territoires ruraux”, dont nous venons de publier un bilan

À partir de la rentrée 2020, nous lancerons le deuxième pilier de notre activité : la “résidence rurale”, imaginée sur le modèle de la résidence d’artiste. Il s’agit en fait de proposer à des territoires de nous recevoir “en pointillé” (à peu près une semaine par mois pendant un an et demi) pour impulser des dynamiques de transition durables. Cela peut passer, par exemple, par la création d’une “commission résilience” mobilisant des élus, des porteurs de projets et des agents des collectivités. 

Cela peut aussi passer par l’organisation d’ateliers créatifs favorisant la “mise en récit”, c’est-à-dire le fait, pour les acteurs d’un territoires, d’apprendre à raconter leur propre histoire. C’est une leçon que nous avons tirée de Loos-en-Gohelle, ancienne ville minière sinistrée dont le maire est devenu une star en communiquant sur la transition “du noir au vert”. Pour que des personnes adhèrent aux changements proposés, il faut que ceux-ci leur paraissent cohérents avec leur présent mais aussi leur passé. 

Et le rôle de Sciences Po dans tout cela ? 

Sciences Po nous a doté de compétences qui nous servent au quotidien. Il y a, d’abord, la possibilité de comprendre ce qu’on appelle les “jeux d’acteurs” : le fonctionnement des échelons de l’Etat, l’activation des leviers politiques et financiers… Il y a, ensuite, la formation en sciences sociales, qui s’est révélée indispensable pour notre activité de podcast ! C’est par exemple dans nos cours de sociologie que nous avons appris à mener des entretiens “semi-directifs”, et à adopter la bonne posture lors de la réalisation de nos podcasts. Enfin - et cela est bien moins évident qu’il n’y paraît - il y a la capacité de synthèse, l’organisation, la rigueur… Savoir monter une structure, gérer un budget, organiser des événements : tout cela nous vient directement de la vie pédagogique et associative de Sciences Po ! 

L'équipe éditoriale de Sciences Po

Pour aller plus loin : 

 

Légende de l'image de couverture : Interview d'une personne à Quingey, pour l’épisode sur la communauté de communes du Loue-Lison © La Traverse