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24.03.2022
Europe et guerre en Ukraine : Clément Beaune partage son analyse
Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, était l’invité de l'École d’affaires publiques le 16 mars dernier pour discuter du rôle de l’actuelle présidence française du Conseil de l’Union européenne (UE) et plus particulièrement, dans le contexte géopolitique que nous connaissons aujourd’hui, de l’invasion russe en Ukraine.
Cette conférence s’est inscrite dans le cadre du cycle de conférences European Seminar du Master affaires européennes et plus largement dans une série d’événements organisés par les écoles et centres de recherche de Sciences Po visant à apporter un éclairage scientifique à l’analyse de la guerre en Ukraine. Comme rappelé par Philippe Martin, doyen de l’École d’affaires publiques, la communauté scientifique de Sciences Po propose son approche sur les dimensions économiques, financières, humanitaires, stratégiques et désormais européennes, au travers de l’intervention de Clément Beaune. Modérée par Olivier Rozenberg, professeur associé au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po et conseiller scientifique du Master affaires européennes de l’École d’affaires publiques, cette conférence a permis un échange vif et passionné entre l’invité et les élèves.
“Nostalgique et ému” de s’exprimer depuis la chaire de l’amphithéâtre Boutmy qu’il a bien connu lors de ses années d’étudiant rue Saint Guillaume, le secrétaire d’État a fait preuve d'une certaine prudence face à l'ampleur des dangers qui menacent l'Europe et notamment la guerre en Ukraine. “Mon message est peut-être un message d’humilité ou d’incertitude, néanmoins c’est le but aussi d’un environnement académique, il faut essayer à tout moment, même quand l’actualité nous frappe, de penser, de réfléchir. Je vais essayer de le faire avec vous”.
“Sommes-nous capables d’articuler coopération et puissance en Europe ?”
Alors que la France assure actuellement la présidence du Conseil de l’Union européenne, Clément Beaune a logiquement fait valoir l’importance de la réponse de l'UE qui a fait preuve d’une “accélération indéniable” face au conflit actuel. “Sur le plan militaire, celui de la solidarité et de l’accueil face à la crise migratoire, cela nous montre que l'Europe n’est pas condamnée à une forme d’immobilisme, de lenteur ou d’impuissance”. Mais comme l’analyse Olivier Rozenberg, le secrétaire d’État a également, de façon moins attendue, fait part de certains doutes et de saines interrogations : en faisons-nous assez ? Sommes-nous Munichois ? Gardons-nous au contraire tout notre sang froid ?
Il y a certainement de nombreux bilans à tirer. En citant notamment pour exemples le Brexit ou plus récemment la crise sanitaire de Covid-19, Clément Beaune a exposé une situation finalement assez récente, qui a poussé l’Europe à “repenser des impensés”, des situations auxquelles elle ne s’était historiquement pas préparée. “Quand on n'arrive pas à penser des choses qu’on ne veut pas voir, on n’arrive pas non plus à réagir, à anticiper ou à réformer suffisamment fort et suffisamment tôt”, a-t-il clairement synthétisé.
Aujourd’hui, le conflit en Ukraine met l’Europe face à des réalités qu’elle avait voulu oublier, alors que depuis 75 ans, elle cherche à imposer le droit face à la force : “la démarche européenne, comme projet de paix et de réconciliation, a du mal à concevoir l'idée même que l’on puisse agir par la force”. En rappelant que le projet européen qui, jusqu’ici, avait réussi à rester fidèle à ses engagements de départ portant sur le tissage de liens politiques et économiques solides entre États et par l'application du droit, Clément Beaune a précisé que par cette ambition commune, “nous avons choisi la coopération mais nous avons laissé de côté la puissance”.
Alors même qu’au moment de la création du projet européen au sortir de la seconde guerre mondiale, les sujets de préoccupation des États portaient davantage sur l’intérieur, il faut admettre qu’aujourd’hui, l’horizon et les perspectives des citoyens se tournent plutôt vers l’extérieur de l’Europe, dans son rapport au monde : les crises climatique et migratoire, la révolution numérique et aujourd’hui la guerre…, qui sont tous “des sujets de puissance”. Se pose alors la question : “sommes-nous capables d’articuler coopération et puissance en Europe ?”, s’est-il interrogé.
Le sens de nos démocraties
Avec la guerre en Ukraine remontent à la surface des sujets et situations qui semblaient parfois acquis, notre combat pour la liberté par exemple. La souveraineté européenne, nos démocraties, sont-elles menacées ? “Nous redécouvrons que la souveraineté, ce ne sont pas seulement des notions politiques ou philosophiques, c’est la capacité à défendre son territoire, ses valeurs et ses intérêts. Et c’est une leçon que nous retenons aussi des Ukrainiens aujourd’hui”.
Une Europe qui saurait garder son positionnement et ses convictions propres est-elle en mesure de faire face à la menace d’États agresseurs, d’autocraties, de dictatures, qui sont prêts à faire payer un prix parfois vital à leurs propres peuples ? Doit-elle pour cela se doter d’une puissance militaire, d’une capacité d’intervention spécifique, d’une indépendance technologique, énergétique et alimentaire ? “Les démocraties sont-elles assez fortes pour faire face à des événements aussi brutaux ?”, s’est questionné le secrétaire d’État.
À la question de savoir si nous sommes prêts à défendre nos valeurs, Clément Beaune a le sentiment que nous saurons y répondre par le droit, celui de l’Europe, et non par la force, mais aussi par la fervente croyance en ce modèle démocratique européen. Mais pour cela, “nous aurons besoin de vos idées et de votre action”, a-t-il conclu en s’adressant à l’amphithéâtre Boutmy empli d’étudiantes et d’étudiants qui ne demandent qu’à en être convaincus à leur tour.
L'équipe éditoriale de Sciences Po
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