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02.12.2016

“André Malraux et moi”

Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche CNRS émérite au CEVIPOF, a rencontré André Malraux à la fin des années 1960 dans le cadre de sa thèse qui portait sur les liens que l’intellectuel entretenait avec le gaullisme. À l’occasion du colloque qui s’est déroulé à Sciences Po les 23 et 24 novembre 2016 sur la "réception d'André Malraux aujourd'hui", Janine Mossuz-Laveau revient sur l’homme qu’elle a connu et avec lequel elle a noué une riche et grande amitié. Interview

Comment avez-vous rencontré André Malraux ?

Je faisais mes recherches pour ma thèse, André Malraux et le gaullisme, sous la direction de Jean Touchard. Après avoir travaillé sur les archives, j’ai entrepris de rencontrer des personnes qui le connaissaient afin de mieux connaître l'homme à divers moments de sa vie : Pascal Pia, Jacques Soustelle, André Chamson, Clara Malraux et bien d’autres encore. Je débarquais dans un univers de grands intellectuels qui m’était complètement inconnu. Puis j’ai pu accéder à la documentation disponible au ministère des Affaires culturelles. J’ai sympathisé alors avec un ami d’adolescence de Malraux qui était en charge de son secrétariat particulier, Marcel Brandin. C’est lui qui m’a obtenu un premier rendez-vous avec le ministre. Il m’avait d’abord prévenu qu’il ne gardait jamais plus d’un quart d’heure les personnes qu’il recevait pour la première fois. Il fallait donc faire vite. Au final, je suis restée à converser avec lui bien plus. Il a fallu que la secrétaire de Malraux lui rappelle à plusieurs reprises que d’autres visiteurs l’attendaient. « Qu’est-ce que vous lui avez fait ? m’a demandé Brandin, J’étais très inquiet ». Lorsque j’ai sollicité, peu de temps après, un autre rendez-vous, André Malraux m’a invitée à déjeuner Chez Lasserre, sa cantine de l’époque. Ça été le début d’une amitié qui a duré sept ans. J’ai vu André Malraux pour la dernière fois en 1974, à Verrières-le-Buisson, où il vivait avec Sophie de Vilmorin, la nièce de Louise, qui avait été sa précédente compagne. 

Quelles ont été vos relations pendant ces sept années ?

Nous déjeunions régulièrement ensemble. Au début, c’était pour parler de ma thèse que j’ai soutenue en janvier 1969 à Nanterre, mais très vite nous avons surtout parlés de ce qui le passionnait (et qui me passionnait aussi) : l’art, la littérature, le monde, les grandes figures de l’histoire, les voyages. Malraux était d’une exquise courtoisie. Quand il s’apprêtait à parler de Tamerlan ou de Léonard de Vinci ou de qui que ce soit d’autre, il commençait ses phrases par « Comme vous le savez… ». Je n’en savais rien ! Mais il procédait de telle manière que face à lui, on se sentait beaucoup plus intelligent. En mai 68, Malraux était passionné par ce mouvement foisonnant. Mais il n’était pas question pour lui de se rendre sur le boulevard Saint-Germain. Il me demandait de lui raconter ce qui se passait puisque moi je ne manquais aucune manifestation ! Il avait une analyse de la situation bien différente de celle des autres gaullistes. Pour lui, il s’agissait d’une crise de civilisation, d’une crise de la jeunesse. De plus, il jugeait le parti communiste débordé sur sa gauche et non pas, comme le disaient ses collègues, un parti qui tentait de fomenter une révolution. J'ai ensuite rencontré sa fille, Florence Malraux, cinéaste, avec qui je suis toujours amie. Je garde aussi quelques confidences politiques. Par exemple, Jean Lacouture a écrit que Trotski était fâché contre Malraux car il n'avait pas témoigné à son procès. Malraux est tombé des nues : « Mais tout cela est faux, on ne m’a rien demandé, m'avait-il assuré. Si on m’avait demandé quelque chose, compte-tenu de ce que Trotski représentait pour moi, j’aurais fait un faux témoignage ! ». J’ai eu, de la part d’André Malraux de vraies preuves d’amitié, inattendues et très émouvantes. Cela a été très précieux.

Quel souvenir gardez-vous d’André Malraux ?

Quand je lis des témoignages de personnes proches de lui, j’ai souvent l’impression que nous n’avons pas connu le même homme. Il est décrit comme quelqu’un de sombre, de tranchant. Avec moi et j’ai eu plusieurs fois l’occasion de le dire, peut-être de façon un peu familière, mais j’ose : c’était un sucre ! Il était gentil, prévenant, souriant et extrêmement généreux. D’une grande attention, notamment à la naissance de mes filles où il se pressait de nous envoyer des cadeaux. D’André Malraux, je garde des lettres notamment, celles que j’ai publiées en 2011 dans Mes années Malraux et aussi une belle lettre du général de Gaulle à qui j’avais adressé les deux tomes de mon livre, André Malraux et le gaullisme. J’ai été très heureuse de pouvoir lui rendre hommage lors du colloque que j’ai co organisé au CEVIPOF et de rendre également hommage à Florence Malraux, une des plus belles personnes que j’ai rencontrée. Concernant l’écrivain, je ne peux que reprendre ici une phrase de celle qui fut pendant longtemps son attachée de presse, Brigitte Friang : « On ne peut pas se déprendre de lui ».

Propos recueillis par Marcelle Bourbier, CEVIPOF

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Légende de l'image de couverture : Sciences Po