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24.04.2024
Au-delà des notes : l'odyssée artistique de Natalie Dessay
Cantatrice et comédienne, Natalie Dessay est la nouvelle titulaire de la Chaire Arts du vivant pour l’année 2024, succédant ainsi au danseur Benjamin Millepied.
Charlotte Pierrel et Emma Verot, étudiantes à l’École d’Affaires publiques et à l’École des Affaires internationales (PSIA), et ambassadrices de la Maison des Arts et de la Création, ont participé à une séance d’écoute et d’échange en mars.
Elles reviennent ici sur leur expérience, partageant leurs observations, leurs réflexions, et les grandes idées qui ont pris forme au cours de cette rencontre exceptionnelle.
Un rapport évolutif à l’instrument : sa voix
Cette voix virtuose et unique, Natalie Dessay l’a découverte lors de son passage chanté dans une pièce de théâtre à l’âge de 18 ans. Encouragée par un groupe d’étudiants, elle va prendre ses premiers cours de chant au Conservatoire de Bordeaux. L’artiste nous confie qu’à ce moment, elle y voit un moyen pour accomplir son rêve initial : celui de devenir comédienne.
Au cours de l’échange, Natalie Dessay est revenue sur son rapport à sa voix comme une dynamique qui évolue au gré du temps. Durant ses années à l’Opéra de Paris, elle s’attache à sculpter sa voix avec rigueur et perfectionnisme. Cette excellence lui permet de jouer les plus grands rôles de chant lyrique.
Pourtant, elle quitte l’Opéra en 2013 et se dit “fâchée” avec sa voix, sans pour autant renoncer à chanter. Elle choisit de s'investir avec curiosité et dévouement dans de nouveaux genres. En effet, de la chanson à la comédie musicale, l’artiste poursuit sa carrière en apprenant à manier sa voix avec d’autres techniques. Elle nous précise que ce nouvel exercice de chant lui permet de se rapprocher de sa voix dite normale et d’établir une relation plus intime à la musique comme au public.
Elle prend des cours de chant pour se réhabituer à “pousser sa voix deux octaves plus bas, et mettre plus de voix dans la poitrine”. Mais les réflexes sont présents, et il est difficile de se réapproprier sa voix dans ce nouveau registre. Dans la chanson, elle a dû apprendre à se faire une interprète plus intime avec les mots, y ajouter plus de nuances et être dans une émotion moins calibrée par la technique vocale.
C’est seulement dix ans plus tard, grâce à l’espace-temps que lui permet le confinement, qu’elle se consacre de nouveau au chant lyrique. Au terme de cette période, elle se réconcilie avec sa voix, “se la réapproprie”.
Au-delà de la technicité vocale, la langue dans laquelle Natalie Dessay chante “change tout” pour elle. L’artiste parle couramment l’allemand et chante aussi en italien, mais, c’est lorsqu’elle chante en français qu’elle se sent le plus à l’aise. Le français lui déroule un imaginaire, “chaque mot revêtant un univers” selon ses termes. Chanter dans une langue étrangère, c’est comme “aimer de l’extérieur” évoque-t-elle. Tandis qu’avec le français, elle est “dans son élément”.
La suite de l’histoire, la sortie de l’Opéra
Mais la sortie de l’Opéra n’est pas une fin en soi. Au-delà de sa performance vocale, Natalie Dessay est une artiste “engagée”, qui a chanté pour des causes qui résonnent en elle, telles que celle des femmes iraniennes. Il lui tient à cœur de mettre en lumière les femmes oubliées, les sœurs, les "femmes de"... Lorsqu’on lui demande de quelle manière elle envisage son engagement politique au travers de son art, l'artiste répond fermement “en le faisant”.
Natalie Dessay a également prêté sa voix pour la lecture de poésie et l’enregistrement de contes pour enfants.
Entre opéra et théâtre : une diversité de répertoires et d'interprétations
Le parcours de Natalie Dessay, qui a navigué de l’opéra au théâtre tout en explorant les voies de la chanson et de la comédie musicale, a offert aux étudiants de Sciences Po ainsi qu’au public une immersion captivante dans la diversité des registres artistiques. Cette expérience a représenté une invitation de l’artiste à embrasser une exploration sans limites, au-delà des genres et des registres, afin de saisir toutes les facettes de l’art de l’interprétation. Car selon Natalie Dessay, “il ne faut pas avoir peur d’explorer tous les champs imaginables.”
Au cœur de cette réflexion, les nuances entre les mécanismes de l’opéra et du théâtre ont été mises en lumière. En effet, l’acte ainsi que le rapport à la création dans les deux genres sont considérablement différents. Pour Natalie Dessay, l'opéra opère davantage sur un plan intellectuel, tandis que le théâtre s'inscrit dans une dimension plus instinctive, voire “pulsionnelle”. Si l'opéra exige une recherche constante de perfection, le théâtre offre une plus grande liberté d'interprétation, permettant aux acteurs de se laisser aller à l'émotion brute du moment présent : “Faire de l’opéra, c’est comme se préparer tel un soldat qui entre à la guerre. À l’inverse, au théâtre, il faut enlever le masque et ouvrir son cœur (...) On donne quelque chose d’autre de soi, quelque chose de plus profond.”
Durant l’échange, Natalie Dessay s’est confiée sur les années passées à l’Opéra au caractère dual : entre tournées à l’étranger, l’angoisse de ne pas y arriver, mais aussi la joie de le faire, d’obtenir des récompenses et des titres, des prix, ou encore vivre les applaudissements à la fin d’un spectacle.
Ce sont précisément la richesse, la complexité et les multiples opportunités offertes par l'art de l'interprétation qui ont été révélées lors de notre discussion avec Natalie Dessay. Les performances d'anthologie telles que les Olympia des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach (Ouverture de l’Opéra de Lyon, 1993, mis en scène par Louis Erlo ; Chorégies d’Orange, 2000, mis en scène de Jérôme Savary) servent de témoignage à la fois à la virtuosité des interprètes et à leur capacité à se réinventer continuellement à travers une variété de rôles et de styles musicaux.
Cette polyvalence des artistes, qui transcendent les limites conventionnelles, Natalie Dessay l’a souligné comme un impératif, car c’est dans cette diversité et cette ouverture d’esprit que réside la véritable essence de l’art de l’interprétation, aussi bien à l’opéra qu’au théâtre.
Pour ce qui est de l’avenir de l’opéra, l’artiste aimerait que la création dans l’opéra soit plus encouragée et centrale, et que plus d’espace soit accordé à “l’opéra de demain”. Selon ses termes, le répertoire proposé aujourd’hui au public est muséal, elle aimerait voir émerger des créations plus “tonales” Accomplie et confiante, nous pourrons bientôt retrouver la chanteuse à l’affiche de comédies musicales.