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14.04.2021
Bénédicte Durand : "N'en déplaise aux semeurs de haine"
Tribune publiée dans L'Express le 16 avril 2021 :
Cette semaine, sur les murs de Sciences Po, la haine a pris le visage de la violence, du racisme et de l’antisémitisme. La tentative d’intimidation et la noirceur de ces inscriptions nous rappellent clairement à la vocation de notre université : l’apprentissage, la connaissance, le débat.
À Sciences Po, 14 000 étudiants de plus de 160 nationalités, de toutes origines et religions, choisissent de construire ensemble le monde qui vient. Nos professeurs les y préparent en leur proposant de confronter avec humilité leurs arguments et ainsi dépasser leurs propres interprétations. Voilà la réponse la plus digne qu’une université de Sciences Humaines et Sociales, de rang international, doit donner à l’ignorance et à la bêtise. C’est celle que nous continuerons de donner, sans relâche, librement.
Depuis plusieurs semaines, Sciences Po affronte l’une des crises les plus douloureuses de son histoire. Face aux révélations des agissements intolérables d’un homme et grâce à la libération de la parole, nous avons mis la défense des victimes de toutes les violences au cœur de notre avenir avec plus d’engagement encore. Nous avons d’ores et déjà lancé un important travail de transformation de nos dispositifs de lutte contre ces violences et de remise à plat de nos pratiques en matière de déontologie.
Jour après jour, nous tentons de tirer les leçons de cette crise et acceptons d’entendre tous les questionnements concernant nos pratiques. Nous comprenons parfaitement que l’ambition d’excellence exige le devoir d’exemplarité. Nous travaillons à réformer notre gouvernance, à démocratiser nos fonctionnements collectifs, à faire preuve de davantage de transparence.
Mais sachons aussi reconnaitre le chemin déjà parcouru par notre université : la qualité de la production scientifique de nos enseignants chercheurs, l’attractivité de nos formations que les étudiants et recruteurs plébiscitent, l’ouverture sociale et le nouveau pacte de démocratisation, que la réforme des admissions en première année engage avec détermination.
Aujourd’hui, bien au-delà des critiques légitimes, Sciences Po est devenue une cible, un objet politique, symbolique et responsable de tous les maux de la société française. Les dernières semaines ont vu se multiplier des attaques personnelles inacceptables, teintées d’idéologie ou nourries de combats politiques. La critique des élites a muté en chasse aux sorcières, nourrissant la brutalisation du débat public, loin de toute nuance et de toute honnêteté intellectuelle.
Nous saurons faire face aux caricatures, aux faux procès et maintenant aux menaces. Et forte du travail de toutes celles et de tous ceux qui la servent avec une probité et un engagement remarquables, Sciences Po surmontera la crise et poursuivra sa route. Celle d’une université traversée par les débats de société et bien déterminée à les faire vivre, en son sein, dans le respect de la pluralité et de la liberté. « Une société ne peut sans grand dommage se passer d’une institution indépendante, vouée à la réflexion désintéressée et au jugement critique en même temps qu’à la diffusion du savoir acquis », écrivait René Rémond dans les dernières pages de son livre (1) consacré à son expérience à la direction d’une grande université en crise. C’était il y a 50 ans, une autre crise, une autre France, un monde révolu et pourtant une mission de l’Université inchangée. C’est la nôtre. N’en déplaise aux semeurs de haine.
Bénédicte Durand, administratrice provisoire de Sciences Po.
(1)« La règle et le consentement, gouverner une société », par René Rémond (Fayard) 1979.
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