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11.05.2015

“Ce scrutin reflète bien la crise de la représentation politique au Royaume-Uni”

Professeur de science politique au Centre d’études européennes de Sciences Po, Florence Faucher est spécialiste du Royaume-Uni. Ses recherches portent sur les partis et la représentation politiques en Grande-Bretagne et en France. Elle revient sur la surprise des résultats aux élections législatives du 7 mai en Grande-Bretagne.

  • Contre toute attente, le parti conservateur de David Cameron a emporté une large victoire électorale et peut s’appuyer sur une majorité absolue. C’est une surprise pour vous aussi ?

Florence Faucher : Ce résultat est une surprise pour tout le monde ! Toutes les enquêtes préélectorales prévoyaient un coude à coude étroit entre travaillistes et conservateurs… Dès les premières projections à la sortie des bureaux de vote, la surprise a été immense. On s’attendait à de longues négociations pour trouver une coalition, on retrouve en fait une situation assez classique avec la victoire du parti de David Cameron.

Au lendemain du scrutin, les Britanniques se retrouvent avec un gouvernement conservateur majoritaire à la Chambre des Communes et dans un paysage totalement chamboulé, avec trois leaders politiques qui ont démissionné d’un seul coup : Ed Miliband, le chef du parti travailliste, Nick Clegg pour les libéraux-démocrates et Nigel Farage, le dirigeant de Ukip.

  • Comment peut-on expliquer ce résultat qui a déjoué tous les pronostics pour aboutir à un retour à la norme ?

F.F. : Le mode de scrutin a une capacité déformante importante : cela peut constituer une première explication. Vous connaissez la fameuse loi du politologue Maurice Duverger : le scrutin uninominal à deux tours favorise le système bipartite. À la suite des élections législatives de 2010 qui avaient pour la première fois depuis 1974 élu un Parlement sans majorité, on s’attendait à ce que cette loi soit remise en question pour ce scrutin...la voici en réalité confirmée. Avec 12 % des voix, Ukip n’obtient qu’un seul siège au Parlement, tandis que SNP (les nationalistes écossais) remporte 56 des 59 sièges écossais, avec 4 % des voix. Le SNP bénéficie à plein de la concentration de ses électeurs dans les circonscriptions écossaises, alors que les eurosceptiques ont des soutiens distribués dans tout le pays.

La deuxième explication possible, c’est que des électeurs se soient décidés en dernière minute pour les conservateurs : la rhétorique “moi ou le chaos” utilisée par David Cameron a pu effrayer une partie de l’électorat.

Troisièmement, on connaît depuis 1992, la “timidité” des électeurs conservateurs à se déclarer dans les enquêtes, peut être parce que leur parti est considéré comme “méchant”, selon le terme utilisée par Theresa May alors qu’elle était Présidente du parti* !

  • Vous travaillez beaucoup sur la participation politique. Que nous apprend ce scrutin à cet égard ?

F.F. : Avec une participation à 66%, soit à peine plus élevée que lors du dernier scrutin, ce vote reflète bien la crise de la représentation et le désaveu des grands partis. En même temps, le déclin est sans doute enrayé depuis le record de 2001 (60%). Si on se penche sur les résultats en termes de voix ; les conservateurs obtiennent 37 % et les travaillistes 30 % : à peu près comme lors des dernières élections.

Ce qui change c’est l’écroulement des libéraux-démocrates - en voix et en sièges - et l’augmentation du poids de Ukip. Il constitue désormais le troisième parti en nombre de voix, mais le troisième parti aux Communes est le SNP. Les libéraux-démocrates avaient échoué a faire adopter une réforme du mode de scrutin par référendum en 2011. Cela leur a coûté cher.

Surtout, le biais majoritaire du mode de scrutin renforce le sentiment d’une partie importante de l'électorat qui se sent exclue (et pour partie s’auto-exclut en s’abstenant) : un quart seulement a voté conservateur (37 % des exprimés).

  • Comment analyser l’échec d’Ed Miliband et des travaillistes ?

F.F. : Ed Miliband avait remporté le leadership du parti avec un courte majorité et après une très longue campagne. Il a mis du temps à s’imposer à la tête du Labour. Cela a laissé le champ libre aux conservateurs pour accuser les travaillistes d’avoir entraîné la crise. Sur le plan politique, Ed Miliband a essayé de proposer une ligne différente du New Labour, de trouver sur le fil une position nouvelle, ni “old Labour”, ni “new Labour”. C’était peut-être trop subtil et cela n’a pas suffi pour lutter contre une presse qui s’est déchaînée contre lui avec une virulence dépassant celle des années Kinnock**.

Êtes-vous d’accord pour dire que ces élections signent la victoire de la politique d’austérité ?

F.F. : En réalité tous les grands partis en lice parlaient d’austérité, avec des différences dans la manière de procéder. La politique menée par les conservateurs est une politique de droite classique qui a creusé les inégalités. La reprise actuelle trouve probablement son origine dans une bulle immobilière, et bénéficie à une partie de la population, qui vote conservateur. D’autres aspirent à bénéficier de cette croissance et se méfient de la gestion économique des travaillistes. Enfin, ceux qui sont soumis aux “contrats zéro heure” ou ceux qui voient leurs allocations supprimées, ne se sont pas déplacés pour voter, ou l’ont fait pour protester, en votant pour Ukip notamment.

  • Que va-t-il se passer maintenant ?

F.F. : L’avenir paraît très incertain au Royaume-Uni. David Cameron a promis un référendum, qui aura donc lieu avant fin 2017. On ne voit pas très bien ce que le gouvernement peut obtenir en termes de concessions de la part de l’Europe, notamment en termes de mouvements migratoires. S’il n’obtient rien, Cameron sera poussé à faire campagne pour la sortie de l’Union, que certains milieux financiers ne voient pas d’un très bon oeil. Il risque d’être pris entre deux feux. Et si le référendum se prononce pour la sortie, les nationalistes écossais risquent de demander un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse…

De manière générale, Cameron aura peu de marge de manoeuvre au Parlement. Il n’a plus en effet la possibilité d’utiliser les libéraux-démocrates pour atténuer la frange la plus à droite de son parti, qui pousse à des politiques passablement inquiétantes pour la population.  Les années qui viennent ont toutes les chances de ne pas être roses pour les Britanniques…

* Theresa May a été secrétaire générale du parti conservateur en 2002-2003.

** Niel Gordonn Kinnock a été secrétaire général du parti travailliste et chef de l’opposition de 1983 à 1992, pendant les mandats de John Major et Margaret Thatcher.

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Légende de l'image de couverture : CEE/Sciences Po