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07.10.2022

L'organisation russe Memorial, Prix Nobel de la Paix 2022

Elena Zhemkova et Mathias Vicherat à Sciences Po en juin 2022
Elena Zhemkova et Mathias Vicherat à Sciences Po en juin 2022 (crédits : Sciences Po)

Vendredi 7 octobre 2022, l'organisation russe Memorial a reçu le Prix Nobel de la Paix 2022. Le mardi 21 juin de cette même année, sa directrice exécutive, Elena Zhemkova, s'était rendue en personne à Sciences Po pour recevoir le titre de Docteure Honoris Causa, remis par le directeur de l'école, Mathias Vicherat. Retour sur cette cérémonie organisée dans le cadre des 150 ans de Sciences Po, en présence de nombreux membres de sa faculté permanente.

“Une mémoire nationale qui regarde le passé en face”

Directrice exécutive de Memorial International, Madame Zhemkova a accepté de recevoir cette distinction au nom de l’ensemble de l’organisation qui, à Moscou et dans toutes les régions de Russie, mais aussi dans plusieurs villes d’Europe, écrit depuis trente ans l’histoire des crimes de masse et des répressions politiques en URSS, et défend les droits humains dès qu’ils sont menacés. La décision de dissolution de cette association fondée par le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, prise par les autorités russes en décembre 2021, confirmée le 27 février 2022, trois jours après le début de l’agression contre l’Ukraine, sont des atteintes intolérables à la mémoire historique, aux valeurs démocratiques, aux libertés académiques et à la liberté d’expression.

Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po, a ainsi rappelé dès son introduction “le rôle fondamental que joue Memorial pour défendre l’histoire en tant que science et non comme le bras armé d’une propagande, d’un récit national ou d’une interprétation politique, en portant une mémoire nationale qui regarde le passé en face et qui ne fait pas le tri”. 

En soulignant l’investissement de nombre de professeurs et de chercheurs de Sciences Po dans l’étude des régimes autoritaires, des États totalitaires, des persécutions et des crimes de masse, et dans la constitution d’une mémoire sur les grandes tragédies de l’histoire, le directeur a souhaité préciser la longue tradition d’études de la Russie et de l’URSS au sein de l’institution. “À l’évidence, il y a une communauté de pensée, une volonté partagée, des affinités naturelles, entre Memorial et Sciences Po”.

Elena Zhemkova, Mathias Vicherat et les Professeurs des universités de Sciences Po (crédits : Sciences Po)

Poursuivant son discours en s’adressant directement à Madame Zhemkova : “L’organisation que vous représentez incarne l’une des formes les plus nobles et les plus dignes que peut prendre le combat contre toutes ces violences infâmes. Des femmes, des hommes, des idées, des convictions, des solidarités… cela peut paraître bien fragile face à la barbarie et au crime mais ce sont pourtant les armes qu’une organisation comme la vôtre, qu’une université comme la nôtre veulent porter au plus haut et auxquelles nous croyons profondément”.

À son tour, Sabine Dullin a prononcé la traditionnelle laudatio en hommage à la récipiendaire. “Memorial est né, dès 1987, de l'effervescence intellectuelle des clubs de discussion de la Perestroïka, de la redécouverte du passé stalinien (...) pour documenter, analyser et transmettre l'histoire et la mémoire des crimes perpétrés par le régime soviétique et notamment ceux perpétrés sous Staline”, a rappelé la professeure des universités à Sciences Po, historienne de la Russie.

“L’engagement très spécifique de Memorial en faveur de la personne humaine dans le passé et le présent frappe tout particulièrement par sa clairvoyance à l'heure de la terrible agression russe contre l'Ukraine et de la falsification complète du passé et du présent par le gouvernement de Vladimir Poutine”, a-t-elle poursuivi.

Elle s’est alors exprimée avec espoir et encouragement à l’égard de la nouvelle Docteure Honoris Causa de Sciences Po : “Tant que des femmes et des hommes courageux, épris de vérité et de dignité comme vous Elena Zhemkova, et comme les jeunes qui vous rejoignent, habiteront Memorial en Russie mais aussi Memorial France, Allemagne, Italie, République tchèque…, l'espoir d'une Russie débarrassée de ses fantômes, de ses mythes, de ses peurs et de ses autocrates reste un espoir vivant”. 

Elena Zhemkova, un engagement sans faille pour la défense des droits humains

Diplômée de la faculté de mathématiques de l'Université d'Odessa (1983), Elena Zhemkova a rejoint le groupe d'initiative Memorial en 1987, puis en 1988, le comité d'organisation de la société Memorial. Depuis 1995, elle est la directrice exécutive de Memorial et membre du Conseil du Centre scientifique d'information et d'éducation de Moscou (NIPC), qui conserve les projets russo-allemands de Memorial. 

“Je ne suis pas historienne, ni chercheuse, je ne fais pas partie du monde universitaire, je suis militante des droits civiques et membre de Memorial et je fais tout mon possible pour que notre grand mécanisme fonctionne”, a t-elle déclaré alors qu’elle s’adressait à un auditoire des plus attentifs, depuis le pupitre de l’amphithéâtre Émile Boutmy. 

“Nous, avec Memorial, nous travaillons sur l'histoire du régime soviétique et ses répercussions sur l'histoire de l'Europe et du monde, (...) mais nous n’analysons pas la terreur d’un point de vue idéologique”.

“Memorial est en vie”

Avant d’ajouter non sans grande émotion : “Personnellement, je trouve triste et douloureux que nous ayons trop peu enregistré de témoignages vivants durant ces 35 dernières années. À nos débuts, nous n’avions pas d'instruments, pas de compétences, mais ce ne sont que des justifications. Aujourd’hui, malheureusement, ces personnes sont parties et nous avons perdu cette histoire. Je ferai tout mon possible pour que nous puissions continuer à recueillir ces données”. 

Alors qu’elle a avoué se poser la question parfois - “est-ce que Memorial n’était pas un projet d’une seule génération ?” -, elle a partagé son espoir dans la nouvelle génération et le fort appui des jeunes qu’elle constate au sein de Memorial en Russie, mais également de ses antennes régionales. “Le passé s’est imposé dans le présent”.

“Memorial est en vie”, a-t-elle conclu, en se tournant vers la communauté académique de Sciences Po représentée par ses professeurs des universités. “La recherche, la quête de la vérité (...), cela ne peut pas s'arrêter. Nous sommes là pour tous ceux qui nous écoutent et ceux qui nous ont déjà quittés mais dont nous gardons le souvenir”. 

En savoir plus : 

Vous pouvez soutenir le travail de Memorial par le biais de donate.memo.ru