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30.10.2015

"Cessons de marchandiser l'égalité"

Chargée de recherches au CEVIPOF, Réjane Sénac travaille sur les questions de genre, de parité et de diversité. Dans son dernier ouvrage, L’égalité sous conditions (Presses de Sciences Po), elle interroge le sens de l’égalité en France à travers l’analyse des justifications des politiques de parité et de diversité ainsi que des controverses sur ladite « théorie du genre ». Des justifications qui, selon la chercheuse, tendent à conditionner l’application du principe d’égalité à celles et ceux qui en avaient été exclus – les femmes et les non-blancs – à la démonstration de sa performance. Explications.

Dans votre ouvrage, L’égalité sous conditions, vous pointez du doigt certains discours accompagnant les politiques de parité ou de diversité qui mettent en avant les « bénéfices » qu’on peut retirer de la mixité sexuée et/ou raciale ? Pourquoi ?

Réjane Sénac : Dans une période de crise globalisée et globale, il semble aujourd’hui difficile de justifier la redistribution des richesses et des places autrement qu’en la présentant comme « rentable ». J’ai en particulier analysé cette tentation lors de mon travail de recherche sur l’application des lois dites sur la parité. Si ces lois permettent qu’il y ait aujourd’hui quasiment autant de femmes que d’hommes élu.e.s (surtout au niveau des élections locales), leur mise en oeuvre est justifiée au nom, non pas seulement de l’égale légitimité des femmes à être élues, mais aussi de la plus-value qu’elles sont censées apporter.

Les acteurs politiques, historiquement des hommes blancs, d’un certain âge et de milieux aisés, se réapproprient ainsi le bouleversement des règles de casting en en faisant un levier de renouvellement : « De contrainte, l’obligation d’investir autant de femmes que d’hommes devient une chance pour rajeunir le personnel politique, l’ouvrir aux personnes dites issues de la diversité, des quartiers… ».

En quoi le fait de choisir des femmes pour leur plus-value est une rupture du principe d’égalité ?

R. S. : Parce qu’en singularisant les femmes et en mettant en scène leurs différences, cela revient à ne pas les sélectionner sur les mêmes critères que les hommes. Elles sont inclues précisément grâce (et non plus à cause) des différenciations qui ont justifié leur exclusion… Et cela a des conséquences : être intégré au nom de sa prétendue complémentarité, rend impossible le fait d’être jugé et reconnu comme un égal au sens de « pair ». Cette modernisation du logiciel de la complémentarité ne concerne  pas que les femmes, les personnes dites « issues de la diversité » sont elles aussi inclues à condition de performer leurs différences.

Est-ce que cela revient à dire que les politiques de discrimination positive ne fonctionnent pas ? Quelles seraient alors les solutions selon vous ?

R. S. : C’est un vrai dilemme : faut-il faire avec les catégorisations existantes ou bien, au contraire, s’en détacher ? Je pense que nous ne pouvons pas choisir, et que nous devons les utiliser pour les dépasser. Il est pour cela nécessaire de porter des mesures d’action positive comme levier de déconstruction des discriminations structurelles et non comme expression de différences indépassables. Pour relever ce défi, les femmes et hommes politiques doivent résister aux sirènes du slogan « la fin justifie les moyens » et assumer que les moyens conditionnent la fin. Il est temps qu’ils prennent au sérieux l’égalité et qu’ils discutent, et se disputent, sur la manière de lui donner vie et épaisseur politique au lieu de la sacrifier discrètement et/ou cyniquement en la marchandisant.

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Légende de l'image de couverture : Sciences Po