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30.03.2016
“Chercher le sens derrière les apparences”
Sophie Rochefort Guillouet, c’est un peu la mémoire du campus du Havre : elle y enseigne, depuis l’ouverture en 2007, des cours d’histoire et d’histoire de l’art plébiscités par les étudiants. Et au vu de sa passion communicative et des dizaines de références culturelles qui émaillent sa conversation, on comprend bien pourquoi deux heures avec elle peuvent rendre plus cultivé. Rencontre avec une enseignante qui fait voyager les idées.
Vous enseignez sur le campus du Havre de Sciences Po ainsi qu’à l’Université de Rouen. Qu’est-ce qui fait la particularité de l’enseignement à Sciences Po ?
Sophie Rochefort-Guillouet : Ce qui distingue la démarche de Sciences Po, c’est l’objectif du cours : il ne s’agit pas de former des spécialistes, mais d’étudier l’histoire pour donner aux étudiants des outils de compréhension du monde d’aujourd’hui, dans lequel ils vont agir. C’est à cela que sert le fameux plan en deux parties – même s’il est plus souple que ce que l’on en dit ! Il s’agit de poser des prémices pour aboutir à des sujets plus contemporains. On insistera aussi beaucoup sur la « problématique », c’est à dire la capacité à extrapoler une question, à partir de la thématique imposée, et à y répondre.
Comme tous les campus délocalisés, le campus du Havre rassemble une communauté totalement multiculturelle. Vous donnez cours en anglais à des étudiants du monde entier. Qu’est-ce que cela change pour vous ?
S. R.-G. : Il faut trouver en permanence des sujets qui parlent à tout le monde et qu’ils n’ont pas déjà étudiés. L’amorce de mon cours n’est pas très “académique” : par exemple, on peut parfaitement analyser les rapports Europe/Asie à travers les opéras occidentaux qui traitent de sujets asiatiques, de Madame Butterfly à Turandot, en passant par Lakmé. On étudiera aussi des caricatures européennes autour du “Péril jaune” et ensuite des estampes japonaises cocasses sur les Occidentaux. C’est à partir de ces éléments qu’on va retrouver ensuite la chronologie, la bibliographie et l’histoire.
Ce qui est formidable avec nos étudiants, c’est leur ouverture: quand vous leur parlez d’animaux imaginaires dans l’art ou le long de la Route de la Soie, ils se livrent à l’inventaire d’un bestiaire légendaire, de la licorne au phœnix en passant par les dragons… ce qui donne au cours sa richesse et son aspect participatif.
Comment définiriez-vous votre méthode pédagogique ?
S. R.-G. : Aujourd’hui, toute connaissance est accessible instantanément, dans les livres et surtout via Internet, mon objectif en cours est donc de proposer des approches qui rebattent les cartes, présentent les choses d’une manière un peu différente. Pour notre cours d’histoire comparée du 19ème siècle en Europe et en Asie, je ne m’interdis aucun support : textes, tableaux, caricatures, littérature…Je me sers aussi beaucoup des réseaux sociaux pour animer la vie culturelle liée aux cours et aux conférences de méthode. Il s’agit de faire jouer solidairement tous ces apports, de croiser les sources, de trouver des liens auxquels les étudiants n’auraient pas forcément pensé et de décaler leur regard. Il faut souvent peu pour catalyser la compréhension d’un sujet.
Donc on imagine que vous leur demandez aussi du “jamais vu” dans les exposés ?
S. R.-G. : Oui, tout exposé sur l'Impressionnisme est exclu mais tout angle d’attaque qui renouvelle notre compréhension de ce mouvement est le bienvenu ! Pour travailler la comparaison, on partira des peintres de l’Exposition des Refusés, unis derrière Manet, et on ira en Russie constater que la même année, Ilia Repine a su fédérer derrière lui le groupe des Peredvizhniki (les "Ambulants") qui rejetèrent en bloc l'académisme et le grand genre. Je leur demande de découvrir par eux-mêmes des thématiques qui sortent de l’ordinaire. Et c’est aussi qui les intéresse : les voyages, la circulation d’idées.
Parmi les exemples récents, je peux vous citer un exposé sur les miniatures persanes, la folie dans l’art, la médecine tibétaine, ou encore sur un type de tapis qu’on ne fabrique qu’à Boukhara, en Ouzbékistan. Ce sont des étudiants qui ont une véritable soif de savoir, en cours, ça pétille souvent, et le travail de recherche ne les rebute jamais. Nous réalisons aussi ensemble des expositions à la bibliothèque, comme cette année sur le kitsch, l’an prochain sur les “chinoiseries” et autres visions exotiques de l’Asie pour les Occidentaux. Chacun apporte ses découvertes : le résultat est d’une diversité incroyable.
Vous êtes diplômée de Sciences Po (entre autres). En y revenant comme enseignante, qu’avez-vous trouvé de différent ?
S. R.-G. : Ce n’est tout simplement pas la même école ! Quand j’y étudiais, c’était un petit monde, assez parisien, avec quelques “étudiants étrangers”, comme on les appelait alors… Aujourd’hui le monde vient à nous. Je garde de très bons souvenirs de la "Rue Saint-Guillaume" (ndlr : le site historique de Sciences Po à Paris), mais il n’y avait pas cette obligation de sortir de sa coquille : on pouvait y faire ses études chacun dans sa “bulle”. J’ai gardé des images très fortes de la bibliothèque, de professeurs ou de discussions animées au Basile...mais, à l’époque, on n’avait pas de club de calligraphie ou de danse “Bollywood”, comme ici au Havre.
Qu’est-ce que vous aimeriez que les étudiants retiennent de vos cours ?
S. R.-G. : J’essaie de les pousser à chercher par eux-mêmes, à lire, à ne jamais rien tenir pour acquis. Je voudrais qu’ils prennent l’habitude de se méfier des opinions toutes faites, de ne pas céder à la facilité intellectuelle. Dans mes cours, je m’efforce de leur montrer qu’il faut toujours chercher le sens derrière les apparences.
En savoir plus
Normalienne, diplômée de Sciences Po et de l’Université Paris IV Sorbonne, Sophie Rochefort-Guillouet enseigne plusieurs cours du programme Europe-Asie du Collège universitaire (le 1er cycle de Sciences Po), sur le campus du Havre :
- le cours magistral d’histoire comparée du 19ème siècle en Europe et en Asie (1ère année) : “Revolutions, Empires and Nations - A 19th Political History”
- le cours d’humanités littéraires en 1ère année : “Litterature, Myths and societies”
- un cours électif d’histoire de l’art en 2è année, “History Of Arts : Leisure and Pleasure”
- un cours électif en 2è année, “Along the Silk Road : an early globalization ? ”
Visitez le site web du campus du Havre
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