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15.06.2020

Climat, santé : “La crise du Covid agit comme un révélateur”

Sophie Dubuisson-Quellier, directrice adjointe du Centre de Sociologie des Organisations, a rejoint à la fin de l’année 2019 le Haut conseil pour le climat. A l’occasion de la publication d’un rapport intitulé Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir - consacré aux enseignements à tirer de la crise sanitaire du Covid-19 et aux suites à donner pour atteindre nos objectifs vers la neutralité carbone - elle nous présente cet organisme et ses réflexions en cours.

Qu’est-ce que le Haut conseil pour le climat (HCC) ?

Le HCC est une instance indépendante installée par le Président Macron en novembre 2018 et inscrite dans la loi relative à l’énergie et au climat. Rattachée au Premier Ministre, elle est composée de 13 experts. Le HCC est chargé d’émettre des avis et recommandations sur la mise en œuvre des politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France, en cohérence avec nos engagements internationaux, en particulier l’accord de Paris et l’objectif de neutralité carbone en 2050. Il rend un rapport annuel et peut également être saisi par le Gouvernement, le Parlement ou le Conseil économique, social et environnemental sur des aspects sectoriels ou ponctuels.

Est-ce le principal organisme intervenant sur ces problématiques ?

La création de cet organisme indépendant s’est faite dans le contexte d’un renforcement des instances d’orientation des politiques climatiques en France : le Conseil de défense écologique, installé en mai 2019, réunit les principaux ministres en charge de la transition écologique pour fixer les orientations dans ce domaine ; et la Convention citoyenne pour le climat (CCC) rassemble, depuis octobre 2019, 150 citoyens tirés au sort pour formuler des propositions qui permettent de lutter contre le réchauffement climatique tout en respectant des objectifs de justice sociale.

Comment le HCC se situe-t-il vis-à-vis des autres acteurs, et en particulier du gouvernement ?

Le HCC n’a pas vocation, comme le fait le GIEC, à faire des états des lieux scientifiques : son rôle est d’évaluer les politiques publiques et de recommander des orientations. Il s’inspire à cet égard de son équivalent britannique, le Committee on climate change (CCC) créé en 2008. Il existe quelques organismes de ce type dans le monde, mais c’est encore loin d’être généralisé.

Fonctionnant depuis plus d’un an, le HCC bénéficie maintenant d’une bonne visibilité et légitimité dans l’espace public, à la fois parce que son travail s’appuie sur des analyses très rigoureuses et parce que son indépendance lui donne une liberté de ton. Ainsi le premier rapport du HCC, publié en juin 2019, n’a pas hésité à démontrer que le rythme de baisse des émissions de la France (1,1 % par an) était nettement insuffisant par rapport à ses objectifs (1,9 %). Il a également formulé des recommandations exigeantes, comme le principe de rendre contraignants les budgets carbone de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC, l’un des principaux outils d’action publique en matière climatique) vis-à-vis des textes de loi. 

Récemment, le HCC s’est aussi exprimé très clairement en faveur de mesures comme la préconisation d’une réduction des inégalités sociales, ou encore la nécessité de conditionner les aides aux secteurs économiques les plus émetteurs à des engagements forts pour le climat.

Quel rôle jouez-vous dans cette institution ?

J’ai intégré le HCC en novembre 2019. C’est un groupe très pluridisciplinaire : il est composé de climatologues, d’agronomes, d’ingénieurs, d’économistes, d’une sociologue et d’une géographe. Si le HCC ne conduit pas de travaux de recherche, il produit des analyses qui sont fortement irriguées par les travaux de la recherche. Or, cela suppose d’articuler des savoirs qui ont des épistémologies très différentes. Par exemple, la sociologie - que je pratique - a finalement peu investi la question climatique ; mais elle apporte des clés essentielles pour comprendre les modalités des transitions qui sont en jeu, et qui engagent des réorganisations profondes de nos sociétés (portant à la fois sur nos modes de décision collective, nos modèles économiques, nos modes de vie et nos principes de justice sociale…). Je crois important que la recherche en sciences sociales du climat se développe en France. Il faut pour cela des actions volontaristes, il nous faut aussi former des chercheurs, créer des équipes et renforcer celles qui existent sur ces sujets. Beaucoup reste à faire.

Le HCC s’est  exprimé récemment en mettant en écho crise sanitaire du Covid-19 et crise climatique. Quelle relation y a-t-il entre ces deux phénomènes ?

Il faut être très prudent sur les liens, ou même les analogies, que l’on peut faire entre les deux crises. Cela ne relève pas de mon domaine d’expertise, mais ce que cet épisode révèle, c’est d’une part que les deux crises peuvent être concomitantes, et d’autre part que les vulnérabilités de nos sociétés face aux crises sanitaires constituent aussi des vulnérabilités face à la crise climatique.

La crise du Covid agit, de ce point de vue, comme un révélateur qui doit nous permettre de réagir collectivement. C’est pour cette raison que le « rapport exceptionnel » du HCC sur santé et climat est important. Il vise à tirer les enseignements de la crise sanitaire pour renforcer notre résilience face à la crise climatique. Par exemple, les deux crises appellent à un renforcement des systèmes d’alerte précoce et à un rôle plus fort de la science dans ces systèmes d’alerte. Elles montrent aussi que les inégalités sociales constituent des vulnérabilités importantes, pas seulement pour les individus les plus fragiles, mais aussi pour les sociétés toutes entières et leurs capacités de résilience. Le HCC alerte aussi sur la nécessité de prendre en compte l’urgence climatique dans les mesures de sortie de crise : les plans de relance ne sauraient se faire sans conditionner les aides à des engagements forts des entreprises pour le climat...

La crise du Covid et le choix de confiner la population ont-ils permis d’amorcer des changements bénéfiques à la lutte contre le changement climatique ?

Il ne faut pas se tromper sur la manière d’interpréter les effets de la présente situation sur le climat. Pendant le confinement, les émissions de GES ont baissé de 30 %, ce qui, soit dit en passant, nous fait revenir au niveau de 2006... Cette baisse est totalement artificielle : elle résulte de l’arrêt brutal et contraint d’un nombre très important d’activités économiques dont certaines, comme le transport aérien, représentent une part importante des émissions. Mais il n’y a eu aucun changement structurel qui permettrait de garantir une transition majeure. En outre, certaines activités très émettrices ont continué à fonctionner, comme les transports routiers de marchandise, même si on note que le fret ferroviaire a fait preuve d’une capacité d’adaptation remarquable pour se maintenir à 60 % de son activité habituelle.

Mais si cette crise n’a pas produit de changements structurels, elle a probablement jeté des bases importantes pour la transition, à condition que l’on prenne enfin au sérieux la crise climatique. Les discours politiques ont changé, mettant davantage en avant la nécessité d’un État social vigilant face aux inégalités et soulignant la nécessaire conditionnalité des aides aux secteurs économiques. On entend, au sein du gouvernement, un discours moins acquis aux intérêts économiques dominants. Bien entendu il ne s’agit pas d’être naïf tant que les actes ne sont pas à l’œuvre, mais ce changement de ton ouvre de nouveaux horizons, et l’on sait que le monde économique, comme nos sociétés, ont besoin d’horizons pour se projeter. 

Du côté des individus, on a aussi vu s’exprimer de nombreuses aspirations à une vie plus lente, plus proche de la nature. Là aussi ne nous y trompons pas, il y aura certainement un grand écart entre ces aspirations et de réelles transformations radicales dans nos modes de vie. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les retours en arrière provoqués par la crise, comme par exemple le risque que les gens soient à l’avenir davantage tentés de prendre leur voiture plutôt que les transports en commun. Nos sociétés sont potentiellement en train de s’accorder sur d’autres valeurs. Ces changements normatifs joueront un rôle, mais il faut aussi des changements structurels profonds, dans les aménagements du territoire et des villes, dans les modèles économiques et dans l’organisation de la vie sociale, qui reposent quant à eux sur une forte volonté politique.

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Légende de l'image de couverture : Sophie Dubuisson-Quellier © Celine Bansart / Sciences Po