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11.10.2016

“La Colombie : des lendemains qui déchantent”

Le 2 octobre dernier, les Colombiens ont rejeté par référendum l’accord de paix signé le 26 septembre avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). La perspective de voir quatre années de négociations s’envoler en fumée a provoqué stupeur et incompréhension. Comment le pays peut-il prendre le risque d’un retour à une guerre qui en un demi siècle a déjà provoqué la mort de 220 000 personnes et le déplacement forcé de 5,7 millions d’autres ?

Les craintes d’un accord de paix

Les Colombiens qui ont voté “Non” ont estimé que les FARC allaient bénéficier d’un traitement trop favorable et d’une quasi impunité en dépit de crimes de guerre avérés. Ils ont été choqués à l’idée que des sièges de député leur soient réservés. Ils ont craint à terme de les voir gouverner le pays, après l’avoir mis à feu et à sang. Avec ce “Non”, ils désapprouvent aussi les procédures de répartition de terres, arrêtées pour satisfaire la revendication historique des FARC d’une justice distributive. Ils craignent enfin que le processus de paix ne soit financé par une hausse des impôts, alors même que les FARC ont accumulé des richesses colossales grâce au trafic de drogue. L’ancien président Álvaro Uribe (2002-2010) a par ailleurs mené une campagne efficace pour le “Non”, arguant qu’il était un défenseur de la paix, mais pas de l’accord négocié à la Havane avec les FARC. Il n’a pas manqué de faire un parallèle avec l’accord qu’il avait négocié avec les paramilitaires qui prévoit des peines de prison pour les auteurs de crimes. Le pays sort de ce référendum profondément divisé. Un peu plus de 50 000 voix séparent les deux camps, sur un total de 13 millions de votants.  La Colombie qui a voté “Non” est exaspérée et inquiète, mais au moins a-t-elle, comme celle qui a voté “Oui”, exprimé une opinion. Ce n’est pas le cas d’une très large majorité de Colombiens : le taux d’abstention a atteint 62,8%.

La démocratie colombienne en question

Que penser de cette autre Colombie qui n’a tout simplement pas daigné se déplacer pour voter ? Comment expliquer que 22 millions de Colombiens se soient désintéressés d’un scrutin qui engage à ce point leur avenir ? Au-delà du débat qui déchire partisans et adversaires de l’accord de paix, le plébiscite interroge la démocratie colombienne. Il y a soixante ans, la Colombie avait mis un terme à une période de violence par une dictature militaire puis, en 1957, par un accord de partage du pouvoir. Entre 1958 et 1974, ce régime dit du “Front national” a stabilisé la démocratie sur une base excluante : deux partis alternaient au pouvoir pendant que des forces de gauche prenaient les armes pour défendre leurs idées. La classe politique colombienne est aujourd’hui tout autant isolée qu’à l’époque du “Front national”. L’appel à voter, pour des options opposées, des deux dirigeants politiques qui ont occupé la présidence depuis 2002 n’y a rien fait. Le divorce entre le pays “réel” et la politique est consommé. Même l’Eglise catholique, qui a appelé à un “vote de conscience”, n’a pas été suivie. La construction de la paix en Colombie passe par une revitalisation de sa démocratie, ce qui requiert une pédagogie de longue haleine. La leçon vaut aussi pour la guérilla. L’enjeu pour elle est de réussir son intégration à la vie politique sans épouser ses modes opératoires que les Colombiens rejettent. Le président Santos a obtenu le prix Nobel de la paix. Il lui reste à construire le “post conflit” sur la base d’un intérêt général dans lequel les Colombiens se retrouvent.

Par Olivier Dabène, Professeur des universités, Agrégé de science politique 

En savoir plus

  • Le site du Ceri
  • Le site de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC)

 

Légende de l'image de couverture : DeptfordJon