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29.05.2024

Comment répondre aux grands défis de santé publique français en 2024 ?

Henri Bergeron, directeur de recherche au Centre de sociologie des organisations (Sciences Po / CNRS), professeur de sociologie et titulaire de la Chaire Transformation des organisations et du travail, a été nommé membre du Comité d’histoire des administrations chargées de la santé par le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités ainsi que membre du Collège scientifique de l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT).

Quel est le rôle de ces instances ? Que peut apporter la sociologie à des institutions qui touchent au domaine primordial de la santé ? À quels grands défis de santé publique doivent-elles faire face en 2024 ? Interview avec Henri Bergeron.

Quand l'histoire de la santé nourrit les politiques contemporaines

Quel est le rôle du Comité d’histoire des administrations chargées de la santé ?

Les comités d’histoire des institutions ont pour but d’avoir un regard rétrospectif sur l’action publique des ministères et, dans le cas qui nous intéresse ici, celui du ministère de la Santé qui a connu à sa tête une série de figures marquantes comme Simone Veil ou Bernard Kouchner.

Le comité dont je fais partie a pour but de revenir sur cette histoire à partir, notamment, de l’organisation de toute une série d’événements. Roselyne Bachelot Narquin préside ce comité composé de personnes compétentes qui travaillent dans les institutions du champ de la santé mais aussi de chercheurs : beaucoup d’historiens et quelques politistes ou sociologues. Nous souhaitons organiser différentes sortes de manifestations afin de sensibiliser à l’histoire des questions de santé, à la façon dont cette histoire peut nourrir la formation et le pilotage des politiques contemporaines. Le passé ne peut qu'être utile au présent et au futur.

 

Quel est l’apport d’un sociologue dans ce comité ?

Les sociologues, sans être historiens, construisent souvent une “sociohistoire”, en particulier quand ils travaillent sur l’action publique. Les institutions de santé ont subi de nombreuses transformations, qui portent les marques de leur temps et du contexte historique dans lequel elles ont eu cours. Les difficultés contemporaines à transformer ces institutions sont en partie un héritage de ce passé. Comprendre comment se sont construits l’hôpital et les soins primaires (médecine libérale généraliste, centre de santé, etc.) en France permet d’expliquer pourquoi il est si difficile de les faire coopérer aujourd’hui. De même pour les domaines du grand âge ou du handicap, qui ont connu une évolution distincte du domaine des soins.

L’accumulation de dispositifs organisationnels a rendu très complexe le paysage de la santé et ses organismes, publics comme privés.

Quels sont les grands défis de santé publique français en 2024 ?

Il est intéressant de noter que des phénomènes qui touchent toutes les sphères professionnelles, et que l'on appelle – à tort ou à raison – la “crise du travail” se sont manifestés dans l’espace public, en particulier dans le champ de la santé. Les médecins que l'on n’arrive plus à recruter, les infirmiers qui démissionnent après le Covid, le sujet de la faible rémunération, de la qualité de vie au travail… Nombre de ces problèmes qui caractérisent la “crise du travail” contemporaine ont émergé dans l’espace public sur les questions de santé et sur le fonctionnement de leurs organisations.

Les défis majeurs auxquels nous devons et devront faire face ? Sans être exhaustif, on peut citer la question de la préparation aux crises sanitaires à venir (souvent conséquences des crises environnementales), et d’une manière plus générale, la santé environnementale, la question de la coopération entre les différents acteurs du soin et les politiques de grand âge et du handicap.

Quand le trafic de drogue devient une menace pour la démocratie

Quel est le rôle du Collège scientifique de l’OFDT (l’Observatoire français des drogues et tendances addictives) ?

C’est un conseil scientifique dont la mission est d'apporter une expertise scientifique en contribuant aux travaux de l’Observatoire.

Aujourd’hui, la question des trafics est devenue extrêmement importante, en volume et en termes de conséquences sur la vie d’un nombre incalculable de français – qu’ils soient consommateurs ou victimes des troubles à l’ordre public liés à l’installation de ce trafic. Ils pourraient également représenter une menace sur la vie démocratique du pays.

Quelles sont les particularités de notre époque concernant les drogues et les addictions ?

Il y a un phénomène, qui n'est pas nouveau mais qui s'est amplifié : la France est une grande consommatrice de produits psychoactifs, licites comme illicites.

On peut légitimement s'inquiéter de l’importance que prend l’organisation des trafics dans certains territoires français et les conséquences qu’ils font peser sur ces territoires et sur le fonctionnement démocratique. Il ne faut pas pour autant négliger l'effet loupe lié à l'intérêt des médias pour ces questions. La polarisation de la politique française autour de ces questions d'ordre public, en vue des prochaines élections, est aussi notable. Le Rassemblement National, notamment, se pose en défenseur de solutions à ces questions.

La question de la légalisation du cannabis est un exemple intéressant. Pour la traiter, il faut sortir de cette tendance à la polarisation, du “tout répressif” contre le “tout laxiste”, pour penser aux mécanismes précis qu’il faudrait mettre en œuvre si nous légalisions. Sur ce sujet comme d'autres (l'accès aux médicaments, par exemple) la réussite des politiques publiques en termes de santé et d’ordre publics est déterminée par les modalités précises de régulation de l'accès, des usages, du prix, du rôle de l’État, etc. qui sont décidées, et qui sont très différentes selon les pays qui ont choisi de légaliser.