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27.05.2020

Dans les coulisses de l'élection américaine

Après l’obtention de son diplôme en 2015, l’étudiant américain Mike Schmuhl a poursuivi sa route aux Etats-Unis. De campagnes politiques en missions de conseil, il est devenu directeur de Pete for America (EN), mouvement lancé par le maire de South Bend dans l’Indiana, Pete Buttigieg, lors des primaires démocrates en 2020. Il raconte. 

Vous êtes diplômé de PSIA, l'École des affaires internationales de Sciences Po. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté dans votre parcours ? 

À PSIA, j’ai suivi un master en International Public Management (administration publique internationale) avec une spécialisation sur l’Asie et les pays émergents. Sciences Po était le choix parfait pour moi. Auparavant, j’avais travaillé quelques années dans le journalisme et la politique aux Etats-Unis ; j’étais très heureux de retourner à l’université et de poursuivre des études supérieures à l’étranger. À Sciences Po, je me suis retrouvé entouré de personnes qui venaient des quatre coins du monde. C’était une expérience enrichissante, singulière, et très différente de ce qu’on peut vivre dans une université américaine où le corps étudiant est beaucoup moins international. 

Qu’avez-vous fait après l’obtention de votre diplôme ? Qu’est-ce qui vous a conduit où vous êtes ? 

Quand je suis sorti de Sciences Po, on m’a proposé de rejoindre l’agence de conseil 270 Strategies, qui a été fondée par d’anciens dirigeants des campagnes présidentielles de Barack Obama (“270” désigne d’ailleurs le nombre de votes qu’il faut obtenir au sein du collège électoral des Etats-Unis pour devenir président...). J’ai rejoint le siège de Chicago, qui n’est pas très éloigné de la ville où j’ai grandi, South Bend, dans l’Indiana. 

Dans ce contexte, j’ai travaillé sur plusieurs campagnes - pas seulement des campagnes politiques ou électorales, mais aussi des initiatives menées par des syndicats ou des organisation de défense du droit de vote - ce qui m’a permis d’acquérir plus d’expérience. Après quelques années, j’ai déménagé à New York, où j’ai travaillé comme consultant à mon compte, puis je suis revenu dans l’Indiana pour travailler avec Pete Buttigieg et préparer sa campagne présidentielle. 

Que représentait pour vous le poste de Directeur de campagne de Pete Buttigieg ? Qu’avez-vous appris à travers cette expérience ? 

Pour moi, le plus grand défi de cette campagne résidait dans son échelle, sa cadence, et la complexité du tout. Le système électoral américain - avec ses primaires, ses “caucus” et ses grands électeurs - est vraiment particulier du point de vue de la durée. En France, par exemple, une personne annonce généralement sa candidature quelques mois avant une élection. Aux Etats-Unis, une élection n’est pas un sprint - c’est plutôt un marathon, avec de nombreuses étapes tout au long du parcours. 

Dès le départ, on a dû recruter 550 personnes en très peu de temps. On partait plus ou moins de zéro, si on considère qu’au démarrage, Pete Buttigieg était le maire d’une ville relativement petite (South Bend est la 4e ville de l’Indiana, avec une population d’environ 100 000 habitants) et qu’il était loin d’être aussi connu que d’autres candidats, qui avaient déjà concouru dans des élections nationales. 

L’aspect le plus frustrant - qui est devenu mon adage politique - c’est que dans une course électorale, on ne peut pas tout contrôler. On peut mener une campagne superbe, délivrer un message clair et convaincant : il reste toujours des événements qu’on ne peut pas prévoir. Par exemple, le fait que les résultats des caucus de l’Iowa seraient immédiatement remis en question. Nous avons gagné, mais un problème dans le mécanisme de remontée des suffrages a suscité des délais, puis des erreurs dans le comptage. C’était imprévisible. 

Diriez-vous qu’il est nécessaire de recevoir une certaine formation pour occuper ce poste ? 

Je ne pense pas qu’il y ait de formation spécifique pour se lancer en politique, mais je pense qu’il est important de réunir certains traits de caractère : la curiosité, une grande énergie, et la capacité à se plonger corps et âme dans quelque chose. Certaines des personnes que nous avons recrutées avaient déjà travaillé sur une ou plusieurs campagnes électorales, d’autres n’avaient jamais mis un pied en politique. En fait, ce mélange de nouveaux entrants et de personnes plus expérimentées est, à mon sens, ce qui rend l’aventure d’une campagne si singulière. Ça, et l’équilibre entre tradition et innovation. 

Quels sont les éléments nécessaires pour réussir une campagne ? Y a-t-il des choses que les citoyens ne voient pas, et qu’il serait utile de leur dire pour qu’ils comprennent mieux les mécanismes d’une course électorale ? 

Une chose qui me semble importante à comprendre, c’est l’aspect “physique” du processus. Même en tant que directeur de campagne, il est parfois difficile d’accéder au candidat. On voyage tout le temps, on se déplace d’une ville à l’autre, et cela est déjà, en soi, épuisant. À certains moments, la seule façon d’échanger avec son candidat, c’est de manger un sandwich à l’arrière de la voiture avec lui - ce n’est pas glamour ! 

Ensuite, s’il y a une chose capitale à retenir, c’est le message : pourquoi se porte-t-on candidat à cette élection ? Quelle est la raison d’être de la campagne ? C’est essentiel d’envoyer un signal clair. Si le message est flou, confus, ou qu’il évolue au fil du temps, les gens ne comprendront pas ce que le candidat souhaite incarner. Un message clair nourrit les discours du candidat, la préparation des débats, les interviews, la recherche et le plaisir des échanges avec les votants ! On retrouve le message partout. 

Comment voyez-vous la politique et les élections américaines évoluer dans les prochaines années ? Quelle comparaison établiriez-vous entre les Etats-Unis et la France ? 

Je pense que nous nous dirigeons vers une réforme du processus électoral états-unien. Il y a de plus en plus de citoyens qui s’expriment en faveur d’une réforme du système de nominations, des caucus, ou du fonctionnement de la Cour Suprême. 

Pour ce qui est de comparer les dynamiques politiques, on peut dire qu’aux Etats-Unis, le bipartisme reste une structure extrêmement puissante, tandis qu’en France on a vu émerger de nombreux partis politiques. La façon dont Emmanuel Macron a réussi à créer son parti ex nihilo et à être élu est, pour l’instant, inimaginable aux Etats-Unis. Néanmoins, force est de constater que certaines candidatures (comme celles de Donald Trump et de Bernie Sanders), l’évolution des médias et le degré d’engagement (ou de désengagement) des candidats vis-à-vis des “Américains moyens” ont brouillé les contours traditionnels des courants démocrate et républicain. 

Prévoyez-vous de continuer à travailler dans la politique, sur le plan national ou international ? 

Je prévois d’abord de faire tout mon possible pour aider Joe Biden à devenir président. Tout au long de ma vie professionnelle, j’ai alterné entre des moments d’implication politique intense, et de courtes respirations. Le temps est donc venu de me retrousser à nouveau les manches et de faire de mon mieux pour que Joe Biden batte Donald Trump. 

Mike Schmuhl intervient ponctuellement dans le cours de Lex Paulson à PSIA. 

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Légende de l'image de couverture : Mike Schmuhl et Pete Buttigieg à Mason City, Iowa (été 2019) © Carina Teoh