Accueil>Décryptage : élections sénatoriales 2023

25.09.2023

Décryptage : élections sénatoriales 2023

Les élections sénatoriales ont toujours offert une information importante sur l’état de la vie politique en France. Luc Rouban, (CEVIPOF, Sciences Po / CNRS), spécialiste des mutations de la fonction publique et de la réforme de l’État, auteur de La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po (2022) livre ses analyses des résultats des sénatoriales du 24 septembre 2023.

Annonce de changement en période de troubles

Les élections sénatoriales annoncent très souvent des changements dans les grands équilibres entre forces politiques et les signaux faibles qu’elles envoient, faibles car provenant des élus locaux qui en constituent l’électorat et non pas directement des citoyens, doivent être décodés avec attention. Celles de septembre 2023 constituaient une étape importante sur le chemin qui mène à l’élection présidentielle de 2027, avant les élections européennes de 2024 et les municipales de 2026, alors même que le temps politique semble s’être raccourci et que des prétendants émergent pour assurer la succession d’Emmanuel Macron. Elles sont intervenues dans une période de grand trouble politique, marqué par une succession de crises inédites (les Gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites, les émeutes de juillet 2023) et un degré de méfiance politique rarement atteint au sein de l’opinion à l’égard du personnel politique et de sa parole. 

Le Sénat, un contre-pouvoir ?

Ces élections sénatoriales se révèlent être importantes car elles touchent à l’un des mécanismes régulateurs de la Vᵉ République. Le rôle du Sénat a profondément évolué ces dernières années. Il s’est transformé en un organe de contrôle particulièrement actif, multipliant les commissions d’enquête sur les pratiques du pouvoir exécutif, comme avec l’affaire Benalla ou le recours aux cabinets conseils privés pour élaborer ou évaluer les politiques publiques. Politiquement, à bien des égards, le Sénat est devenu un contre-pouvoir de plus en plus écouté à mesure que l’Assemblée nationale sombrait parfois dans le ridicule, notamment lors du débat sur la réforme des retraites, donnant l’image soit d’une chambre d’enregistrement soit d’une arène où se donnaient des joutes grossières et sans intérêt, ce qui laissait tout loisir au gouvernement de multiplier l’usage de l’article 49.3 de la Constitution et de renforcer le poids de l’exécutif alors même qu’il n’avait qu’une majorité relative.

Ordinairement considérées comme secondaires, les élections sénatoriales se sont chargées cette fois de nouveaux enjeux : tester dès à présent la solidité des alliances, organiser un ancrage territorial afin d’asseoir des stratégies de conquête du pouvoir sur la réalité sociale du pays.

Analyse détaillée

Ces élections sénatoriales ont vu se renouveler 170 sièges de sénateurs de la série 1, soit les sièges des sénateurs des départements 37 (Indre et Loire) à 66 (Pyrénées orientales) auxquels s’ajoutent ceux des huit départements d’Île-de-France, ceux de six territoires d’outre-mer et la moitié des douze sièges attribués aux Français de l’étranger. 

Sur ces 170 sièges, 34 dans 18 circonscriptions, soit 20 %, se sont fait élire au scrutin majoritaire alors que le reste, 136 dans 27 circonscriptions, donc 80 %, se sont fait élire au scrutin proportionnel puisqu’ils se trouvent dans des départements fortement peuplés. En tout, 1 829 candidats, dont 47 % de femmes, ont brigué un mandat de sénateur (trice). L’un des enjeux de cette élection tenait précisément à l’éventuel progrès de la féminisation du Sénat puisque celui-ci était jusque là composé de 34 % de femmes (contre 37,3% à l’Assemblée nationale). Le fait que le scrutin de liste implique une répartition en alternance des femmes et des hommes n’a pas changé grand-chose au fait que les têtes de listes fussent largement dominées par les hommes (59 listes sur 227 avaient une femme comme tête de liste). À l’issue du scrutin, sur la base de ce que l’on sait le lundi 24 septembre au matin (manquent les résultats de la Martinique et de la Guadeloupe), les femmes comptent désormais pour 35,9% des sénateurs, ce qui n’est pas une avancée spectaculaire.

Une première question était de savoir si les équilibres politiques allaient être bouleversés. Tenu en permanence par la droite (sauf entre 2011 et 2014 lorsque la gauche socialiste a obtenu la majorité des sièges), le Sénat reste cette institution notabiliaire, plutôt âgée, ce conseil des anciens qui permet de stabiliser le fonctionnement de la Vᵉ République dont la légitimité est de plus en plus mise en cause. Il est devenu en permanence le caillou dans la chaussure du macronisme car son poids est décisif en cas de commission mixte paritaire et un filet de sécurité pour les LR qui ont vu leur présence fortement amoindrie à l’Assemblée après les élections législatives de 2022. Avant les élections de 2023, le Sénat était largement contrôlé par la droite puisque le groupe LR avaient 145 élus alors que l’Union centriste en avait 57, soit 202 sièges sur les 348 du Sénat. Cette situation d’ensemble n’a pas évolué, même s’il faut attendre le décompte final et le choix des sénateurs, puisque la droite conserve la majorité même si elle recule très légèrement (le groupe LR perdrait 4 sénateurs mais l’Union centriste passerait à 60), ce qui permettra à Gérard Larcher de briguer à nouveau la présidence. 

Mais ces élections ont permis également de se compter et de tester les alliances. À gauche, l’unité de la NUPES, déjà mise en cause par les polémiques entre Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel ou la préparation des élections européennes, se trouve encore plus menacée. Pour les sénatoriales, La France insoumise est restée en dehors de l’accord PS-PCF-EELV et a présenté des listes dans tous les départements. 

Le PS a tenté de reprendre des forces en visant les sièges de Paris, du Pas-de-Calais, de Seine-Saint-Denis. Il se maintient comme premier groupe d’opposition avec 64 sénateurs (ce qui suscite déjà un conflit interne pour la présidence du groupe). Le succès est sensible pour la gauche où la stratégie d’union hors LFI a payé, permettant d’obtenir huit des douze sièges parisiens.

Les écologistes d’EELV gagne 4 sièges, le groupe devant passer de 12 à 15 sénateurs mais peut-être 17 en fonction des négociations, une avancée marquée notamment par l’arrivée de Yannick Jadot, l’ancien candidat à l’élection présidentielle. 

Le PCF avait 11 sièges sur 15 à renouveler, espérant arriver à 10 afin de pouvoir constituer un groupe. Il devrait passer à 17 avec l’arrivée notamment de Ian Brossat, le porte-parole du parti, un succès appréciable qui permet de se mettre au niveau des écologistes même si le PCF continue de perdre du terrain en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne. Au total, l’ensemble de la gauche devrait pouvoir atteindre le but des 100 sénateurs qu’elle s’était fixé.

La question du local et de l'ancrage territorial

Il ne faut pas non plus oublier que le Sénat c’est le local. Or le local est historiquement d’une importance cruciale en France non seulement dans la construction des trajectoires politiques mais également dans celle des représentations concernant l’action publique, l’économie ou la cohésion sociale. Or la question de la décentralisation a été renouvelée autant par le besoin, par exemple, d’ajuster les politiques de lutte contre le réchauffement climatique à la géographie que par celui de dépasser le modèle des métropoles qui appartiennent à un âge dépassé tant sur le plan du bilan carbone que des conditions de vie. Récemment, les violences inédites contre les maires ont ravivé la question de la vie démocratique et du respect dû aux autorités élues. Les sénateurs sont par définition les porte-paroles de ce local soumis à de nombreuses transformations et où s’ancrent les radicalités politiques que suscitent la raréfaction des services publics, le déclin de la mobilité sociale et la montée de la défiance à l’égard des institutions.

On comprend, dans ces conditions, pourquoi la question de l’ancrage territorial a constitué un enjeu décisif pour plusieurs forces politiques. Tout d’abord, à gauche, pour La France insoumise qui a cherché à nationaliser le scrutin, en s’appuyant sur le mécontentement des maires face à l’inflation, aux difficultés financières voire à l’absence de l’État. Son objectif était d’emporter les sièges de la Manche et des Pyrénées atlantiques. Mais ses positions sur le terrain constitutionnel impliquent… la suppression du Sénat. LFI n’a finalement obtenu aucun sénateur.

La question de l’ancrage territorial se posait également avec force pour Renaissance. Les macronistes qui disposaient jusque-là de 24 élus n’ont pu sceller une alliance nationale avec le MoDem et Horizons qui avait chacun 5 sénateurs, le parti d’Édouard Philippe entendant non pas créer un groupe au Sénat mais affirmer son identité et négocier une certaine distance avec l’Élysée. Dans les Hauts-de-Seine et le Nord, les listes Renaissance, Horizons et MoDem se sont fait de la concurrence. Au final, les macronistes ont subi un recul certain, leur groupe devant passer de 24 à 20 sénateurs. La défaite de la secrétaire d’État Sonia Backès en Nouvelle-Calédonie face à un indépendantiste, n’est pas non plus de bon augure pour la politique présidentielle notamment à l’égard de l’outre-mer. À cela s’ajoute une progression des élus Horizons qui devraient ajouter 4 sièges aux 7 qu’ils détiennent déjà au sein du groupe Les Indépendants. Horizons a clairement joué la carte de l’enracinement local profitant notamment du ralliement d’anciens notables LR comme Arnaud Robinet à Reims.

La dimension territoriale était également centrale pour le RN qui a fait du localisme l’un de ses chevaux de bataille. Le processus de notabilisation ne pouvait réellement se concrétiser pour le RN qu’en disposant de quelques sénateurs puisque le seul qu’il avait, Stéphane Ravier, a quitté le parti en 2022 pour rallier Éric Zemmour. Il visait 4 à 5 sièges. Il va de nouveau être présent au Sénat puisqu’il obtient trois sièges, dans le Nord, le Pas-de-Calais et en Seine-et-Marne, ce qui constitue un record historique puisqu’il n’avait jamais eu plus de deux sénateurs.

Un bilan qui ne surprend pas

Quel bilan d’ensemble peut-on en tirer ? Ces élections sénatoriales ont offert un reflet assez fidèle du paysage politique actuel. La droite et le centre sont majoritaires, le parti présidentiel ne convainc pas, souffre de son absence d’assise territoriale et notabiliaire et voit émerger la concurrence d’Horizons pour la prochaine présidentielle, la gauche socialiste se maintient alors que LFI est devenue un repoussoir, l’écologie politique progresse mais sans doute moins que ce que le réchauffement climatique pouvait laisser penser, le RN, enfin, poursuit sa stratégie de crédibilisation et s’installe de plus en plus dans les institutions.

Légende de l'image de couverture : 11 juin 2019, le premier ministre Édouard Philippe prononce un discours pour l'acte 2 de la politique d'Emmanuel Macron au Sénat. (crédits : Jo Bouroch / Shutterstock)