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16.03.2016

La dégressivité de l’indemnisation chômage : une mesure inefficace ?

Sociologue au CSO, Didier Demazière analyse depuis de nombreuses années le chômage et les politiques publiques d’emploi. En 2013, il a co-écrit Être chômeur à Paris, São Paulo, Tokyo (Presses de Sciences Po). La dégressivité des indemnisations chômage, comme le projet de loi sur le travail, fait partie des sujets qui fâchent dans un contexte où le taux de chômage atteint 10,6% de la population active, un seuil qui n'avait plus été atteint depuis 1997. Didier Demazière répond à nos questions…

La dégressivité des allocations est un sujet qui divise. Au regard de vos travaux, faut-il rendre les allocations chômage dégressives, comme cela se pratique dans certains pays européens ? Quelle population serait concernée ?

Didier Demazière : La question de la dégressivité est décalée par rapport à l’état actuel de l’indemnisation des chômeurs. 53% des demandeurs d’emploi soumis à l’obligation de recherche d’emploi ne perçoivent aucune allocation, et pour la plupart des autres le montant de celle-ci est de 57% du salaire brut. Le chômage paupérise, et fortement. De plus, environ 70% des chômeurs indemnisés le sont pour des périodes courtes et ne seraient pas concernés par cette disposition.

Est-ce que cela aura un effet sur le retour à l’emploi et sur le déficit public ?

D. D. : Il faut tout d’abord noter que les partenaires sociaux, gestionnaires de l’assurance chômage, connaissent parfaitement cette situation, et qu’aucun n’a introduit jusqu’ici le thème de la dégressivité. C’est que celle-ci a été mise en œuvre en France entre 1986 et 2001 et que les évaluations réalisées en France, mais aussi dans d’autres pays où la dégressivité a été instaurée comme la Belgique, l’Italie, l’Espagne, montrent que celle-ci ne favorise pas le retour à l’emploi.. Autrement dit, les chômeurs ne sont pas des agents optimisateurs qui attendraient la baisse (ou la fin) de leur allocation pour prendre un emploi. Dans un contexte de chômage massif ils ne sont pas en position favorable pour effectuer des arbitrages entre différentes offres ou pour anticiper des opportunités futures. S’agissant des finances de l’Unedic, l’effet de la dégressivité serait limité, et son prix serait la paupérisation des chômeurs. Mettre cette question à l’agenda contribue aussi à distiller l’idée que les chômeurs sont bien protégés, en profitent, et ne font pas les efforts nécessaires pour décrocher un emploi.

Manuel Valls argue que cette mesure serait accompagnée par un plan massif de formation grâce auquel « 500 000 personnes de plus seront accompagnées vers les métiers de demain ». Quels résultats peut-on attendre ?

D. D. : On connaît bien ce type d’annonces, qui scandent les politiques de lutte contre le chômage depuis 30 ans. Les enseignements issus des expériences précédentes conduisent à pointer un paradoxe de ce programme, annonciateur de son échec : d’un côté il cherche à répondre à un enjeu majeur du chômage, mais de l’autre il emprunte un chemin incertain. De fait,  les populations les plus touchées par le chômage sont moins diplômées et moins formées que les actifs occupés. Les chômeurs ont des parcours scolaires plus courts et ils ont peu bénéficié de la formation continue quand ils travaillaient. Ainsi, ils sont moins armés pour entrer sur le marché du travail et pour s’y maintenir ensuite, ils ne sont pas préparés aux évolutions professionnelles et aux métiers émergents. C’est une inégalité qui est très puissante dans ses effets d’éviction. Un programme ambitieux de formation des chômeurs est donc bienvenu. Mais son objectif prioritaire doit être de réduire ces inégalités, faute de quoi le résultat sera d’aggraver celles-ci, car on retrouvera les phénomènes d’écrémage et de sélectivité observés dans les précédents programmes, accentués encore par l’urgence dans laquelle celui-ci a été inscrit.

Malgré toutes les décisions politiques prises depuis la période des « 30 glorieuses », c’est à dire près de 40 ans, la France peine à inverser la courbe du nombre de ses demandeurs d’emplois. Comment expliquez-vous cette situation ?

D. D. : Le niveau de chômage n’est pas seulement la résultante de décisions politiques en matière économique, dont on pourrait discuter l’efficacité. On oublie trop souvent que le chômage n’est pas l’inverse de l’emploi, et que la croissance de celui-ci ne provoque pas mécaniquement la baisse du chômage. D’ailleurs, depuis le milieu des années 1980, le nombre d’emplois en France a augmenté de plus de 4 millions quand le nombre de chômeurs a progressé de plus d’un million (source INSEE).

Cela n’est pas paradoxal, car le chômage résulte en fait du différentiel entre l’emploi et la population active. Or, celle-ci varie avec les évolutions démographiques et les comportements d’activité (taux d’activité des jeunes, des femmes, des seniors). Dans notre pays, ces paramètres ont contribué à l’accroissement de la population active, et c’est un mouvement structurel. Aussi, ce n’est pas le niveau du chômage qui consacre l’échec des politiques publiques, ce sont plutôt les caractéristiques du chômage, et notamment la croissance du chômage de longue durée et la concentration du chômage sur certaines catégories : les jeunes peu ou pas formés, les minorités visibles, les seniors, les parents isolés, les travailleurs manuels, les habitants de territoires stigmatisés, les travailleurs de secteurs en déclin, etc..

Face à cela, force est de constater l’incapacité politique à organiser les mobilités professionnelles de manière à ce que le chômage soit plus justement réparti et devienne une transition et non un piège conduisant à la relégation ou au déclassement.

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