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15.01.2025
Discours devant l’Assemblée : François Bayrou échappera-t-il à la censure ?
François Bayrou a prononcé son discours de politique générale devant les députés ce mardi 14 janvier. Peu d’annonces concrètes ont marqué ce discours, plutôt orienté vers une philosophie générale mettant en avant la lutte contre l’endettement, la « débureaucratisation », l’éducation ou le contrôle migratoire. La réforme des retraites sera renégociée par les partenaires sociaux – il s’agissait d’un point clé pour obtenir la « non censure » du Parti socialiste. Alors qu’insoumis, écologistes et communistes voteront la censure cette semaine, le PS n’a, pour l’instant, pas tranché. François Bayrou connaîtra-t-il un sort plus favorable que son prédécesseur Michel Barnier ?
Entretien avec Luc Rouban, directeur de recherche CNRS au CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po, initialement publié par notre partenaire The Conversation.
Le discours de politique générale du premier ministre François Bayrou avait une importance particulière. Quels étaient les enjeux ?
Luc Rouban : Ce discours s’inscrit dans un contexte tout à fait particulier parce qu’on est certainement au cœur de la crise politique la plus grave de la Ve République. Il arrive après la censure qui a frappé le gouvernement Barnier et dans une situation où, au fond, les mécontentements se conjuguent puisque tout le monde a gagné et que,en même temps, tout le monde a perdu. Le Nouveau Front populaire est arrivé en tête en nombre de sièges aux législatives de juin mais il n’a pas pas pu accéder à Matignon. De l’autre côté, le Rassemblement national est arrivé en tête en nombre de voix mais il est aussi mis de côté. On n’avait jamais vu un tel décalage entre la composition des gouvernements – Barnier puis Bayrou – et le résultat des élections.
Ce discours de politique générale n’était donc pas simplement un catalogue de mesures, il répondait au moins à deux grands enjeux. Le premier était de garantir la stabilité du système institutionnel et tout simplement la démocratie en France. François Bayrou a beaucoup insisté dans son discours sur cette question de la stabilité. Le deuxième enjeu, c’était de faire une sorte de bilan du macronisme. Bayrou a évoqué le fait que le travail n’est pas suffisamment récompensé, que la mobilité sociale est entravée, que les entreprises ont des problèmes avec les normes. Il a parlé de l’école, de la santé, de la bureaucratie – avec une orientation libérale pour le coup. Il a également parlé des gilets jaunes et du problème du mépris social. Ces questions de fond que nous étudions dans nos enquêtes d’opinion sont des moteurs pour le vote Rassemblement national. Ce discours ressemblait à celui d’un candidat à la présidence de la République plus qu’à un classique discours programmatique de premier ministre. Certains commentateurs l’ont trouvé décalé. Mais on peut se demander si François Bayrou n’a pas déjà en tête la présidentielle.
Est-ce que François Bayrou a répondu à ces enjeux ? On lui a immédiatement reproché d’être extrêmement vague avec très peu d’annonces concrètes, chiffrées, pas de planning…
L.R : L’un des objectifs de François Bayrou, c’était de gagner du temps et donc de ne pas provoquer une censure immédiate. Bayrou est un faux malhabile, un homme qui sait jouer d’un certain flou pour ménager tous ses adversaires – et il en a de tous côtés. Le point central, c’était la réforme des retraites, qui était le casus belli du Parti socialiste et la condition de la « non censure » de ce dernier. Sur ce sujet, il a proposé une solution qui consiste à dire « on va organiser une discussion des partenaires sociaux et essayer d’élaborer une nouvelle réforme dans un délai relativement court de trois mois ».
La décision du PS n’est pas arrêtée à ce stade, mais, avec cette proposition, il est difficile pour ce parti de censurer le gouvernement.
Boris Vallaud, chef du groupe PS, lui a reproché l’absence de réponses concrètes sur la fiscalité des hauts patrimoines, sur les dépenses de santé, sur les postes à l’hôpital et dans l’éducation nationale, pour le budget des outre-mer. Or le PS est le parti pivot avec lequel Bayrou a négocié pour élargir son socle de soutien.
L.R : Effectivement, un certain nombre de décisions précises sont renvoyées au débat budgétaire qui sera difficile, parce que, dans le fond, il faudra choisir d’augmenter soit les dépenses, soit la fiscalité. Est-ce qu’il y aura des possibilités de compromis avec la droite pour augmenter, par exemple, un certain nombre d’impôts sur les rémunérations importantes et certains patrimoines ? C’est toute la question.
Pensez-vous que Bayrou va échapper à la censure que proposera LFI dès jeudi ?
LR : Le coût politique d’une censure est plus élevé pour les oppositions qu’il y a quelques mois. Ce qu’a dit Bayrou, en s’adressant aux Français, en leur parlant de stabilité, c’est que ceux qui décideront de voter la censure prendront des risques politiques considérables au plan électoral. Si le Parti socialiste décidait de voter la censure, cela risquerait de lui coûter très cher. Ce qui se joue, c’est le discrédit, alors que les Français commencent à être excédés par cette situation d’incertitude. Et je ne parle pas des chefs d’entreprise, des investisseurs étrangers, des marchés financiers… Bayrou est, paradoxalement, dans une situation plus confortable que Michel Barnier, parce qu’une deuxième censure ouvrirait la porte à une crise de régime.
Quel était l’enjeu des longues négociations que le PS, les écologistes et les communistes ont menées avec François Bayrou ?
L.R : Il s’agissait de négocier un pacte de « non censure », mais il y avait aussi un enjeu interne à la gauche. Le Parti socialiste sait bien que, à terme, le macronisme, c’est terminé, or une grande partie des électeurs macronistes viennent du PS. Ce parti a donc intérêt à les retrouver en rompant avec LFI et le Nouveau Front populaire. Quant aux écologistes, qui voteront la censure, ils vont, par ce choix, basculer du côté de LFI, comme force d’appoint de la gauche radicale.
Quelle sera la posture du RN vis-à-vis du gouvernement Bayrou ?
L.R : Le RN garde toujours les cartes maîtresses en main. Même si le PS vote finalement la censure, le gouvernement ne tombe pas tant que le RN le soutient. Or, je ne pense pas que le RN soit disposé à voter à nouveau la censure comme il l’a fait avec Michel Barnier. Désormais, et surtout après la disparition de Jean-Marie Le Pen, le RN est dans la nécessité de mettre en avant un profil de parti de gouvernement. Ils vont essayer de pousser les feux sur le sujet de l’immigration, mais ils auront en quelque sorte des « relais » avec les ministres Bruno Retailleau et Gérald Darmanin. Ces derniers ne sont pas leurs représentants, mais ils portent des idées proches.
On a pu croire que les négociations avec une partie de la gauche signifiaient un déplacement du centre de gravité politique de ce gouvernement, avec une tentative de se libérer de l’emprise de l’extrême droite : ce n’était donc pas le cas ?
L.R : François Bayrou s’est acheté un filet de sécurité en négociant avec le PS. Il s’est donné de l’air, mais, si ça ne marche pas, il garde ses appuis au centre, à droite et au RN. Tant que le RN reste neutre, la gauche ne peut pas le faire tomber. La meilleure assurance-vie du gouvernement Bayrou reste le RN.
Légende de l'image de couverture : François Bayrou lors du premier Conseil des ministres du gouvernement Bayrou au Palais de l'Elysée à Paris, 3 janvier 2025. (crédits : Antonin Albert / Shutterstock)