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13.06.2024

Dissolution de l’Assemblée nationale : quels sont les scénarios possibles ?

Les élections européennes du 9 juin 2024 ont vu triompher en France le Rassemblement National, mené par Jordan Bardella, qui a récolté 31,4 % des suffrages exprimés. À la suite de ces résultats, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale et la mise en place d’élections législatives.

La France risque-t-elle d’être plongée dans un chaos parlementaire ? Le pays aura-t-il bientôt à sa tête un gouvernement d’extrême droite, à l’image de l’Italie ?

Interview avec Marc Lazar, Professeur émérite de sociologie politique au Centre d’histoire de Sciences Po, qui vient de publier le rapport “Union européenne : portée et limites des nationaux-populistes” pour l’Institut Montaigne et de participer à la septième édition des Dialogues franco-italiens pour l'Europe, intitulée "France et Italie : l'Europe et la Méditerranée" à Sciences Po.

Vous avez prédit avant les élections européennes “une poussée des partis d’extrême droite en Europe, mais pas une vague”. Dans le cas de la France, peut-on parler de vague ?

Oui, il s’agit même d’un déferlement inédit, puisque le RN est le premier parti à l’issue des élections européennes en France. Il creuse un écart considérable (17 points) avec la liste de la majorité présidentielle.

Ce qui est surtout frappant, c’est l’homogénéisation sur le territoire du vote pour Jordan Bardella et l’extension sociologique du vote. Si les piliers de la base électorale se trouvent toujours chez les ouvriers et les employés, on assiste à une extension de cette base (enquête IPSOS, juin 2024), y compris chez les cadres. Cette percée est inédite. On observe également une quasi-homogénéisation entre générations, incluant les électeurs les plus âgés, qui jusque-là votaient peu pour RN.

Les deux seules catégories qui échappent à ce raz de marée sont les retraités CSP+ et les personnes les plus aisées. En revanche, on voit apparaitre un discriminant culturel : l’écrasante majorité des électeurs du RN ont un niveau d’instruction bas. Le parti n’arrive pas à s’adresser aux catégories qui ont fait études supérieures (enquête IPSOS, juin 2024).

Le Président Emmanuel Macron a décidé la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation d’élections législatives les 30 juin et 7 juillet prochain, quels sont les scénarios possibles ?

Avant toute chose, soyons prudents. Il y a beaucoup d’inconnues. Quels effets aura la campagne sur les électeurs : les incitera-t-elle à se rendre aux urnes, voire à changer leurs intentions de vote ? Combien de candidats seront présents dans les circonscriptions ? Comment se comporteront les électeurs sachant que les élections législatives ne sont pas similaires aux élections européennes (ce n'est pas le même mode de scrutin, ce ne sont pas les mêmes enjeux) ? 

Mais tentons quand même d'esquisser quelques scenarii.   

Le premier, celui qu’Emmanuel Macron espère (conférence de presse du 12 juin) est l’émergence d’un “bloc central” qui résisterait au vote RN et au vote pour une gauche selon lui sous l’influence de LFI. Il aurait alors la majorité absolue à l’Assemblée.

Comment ce scénario, assez irréaliste, pourrait-il advenir ? Le Président pense que l’hypothèse d’avoir Jordan Bardella comme premier ministre modifiera la donne. Certains électeurs qui auraient voté pour lui aux européennes y réfléchiraient à deux fois pour ce scrutin. Hypothèse peu fondée, en vérité. En revanche, il compte sur un réservoir de votes qui existerait encore. En effet, il y a 6,1 M d’électeurs qui n’ont pas voté pour la liste de Valérie Hayer, mais qui avaient choisi Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2022.

Le 2e scénario est celui d’une majorité absolue du RN. Cela semble difficile, mais dans le contexte actuel, tout peut arriver. Dans ce cas, le Président devra appeler Jordan Bardella à Matignon, pour une cohabitation.

Le 3e scénario, possible, serait une majorité relative du RN, qui n’atteindrait pas les 289 sièges nécessaires. Il faudra alors trouver un chef de gouvernement qui bénéficie d’une majorité parlementaire. Celui-ci cherchera à se tourner vers les députés LR qui ne se sont pas ralliés à RN, en espérant que ceux-ci acceptent de soutenir le gouvernement sans y participer ou bien de convaincre certains d’entre eux à accepter des postes ministériels. Les LR pourraient être tentés de jouer cette carte afin de stabiliser la situation politique nationale et de modérer les ardeurs du RN. Il s’agirait ici aussi d’une situation de cohabitation.

Le 4e scénario est celui qu’avance “le Front populaire”. À savoir, que celui-ci obtienne la majorité absolue. Mais cela semble très peu plausible au vu des faibles scores électoraux de ces partis qui ne sont unis que pour faire barrage au RN alors qu’ils sont en fait profondément divisés, et ce, sur des sujets essentiels comme la guerre en Ukraine, la situation au Moyen-Orient, l’Union européenne.

Le dernier scénario est celui du chaos parlementaire, une situation de désordre complet où aucun parti ne parviendrait à nouer de coalitions pour asseoir une majorité absolue. Il serait alors très compliqué pour le Président de choisir un premier ministre, et la crise politique serait majeure.

Giorgia Meloni et son parti d’extrême droite, les Fratelli d’Italia, sont à la tête de l’Italie depuis octobre 2022, peut-on comparer les deux contextes nationaux ?

Il est très difficile de comparer les deux pays. Les systèmes politiques comme les modes de scrutin différent. L’Italie est une démocratie parlementaire, la France est un régime semi-présidentiel.

Giorgia Meloni dirige un gouvernement de coalition, avec La Ligue de Matteo Salvini (un parti plus à droite que le sien) et le parti de droite modéré Forza Italia (créé par Silvio Berlusconi en 1994). Pour le moment, il n’y a pas encore en France de coalition des droites. Le RN a refusé l’alliance avec Reconquête, et a conclu pour l’instant des accords électoraux, et non de gouvernement, avec LR.

Ce qui est comparable, c’est que la France aura peut-être bientôt, comme l’Italie, un gouvernement d’extrême droite, l’un qui serait dirigé par le Rassemblement National, l’autre étant dominé par Frères d'Italie, bien plus fort que ses deux alliés. Ces deux partis ont des points communs. Le RN vient de la famille historique de l’extrême droite française, Frères d’Italie du néofascisme. Tous les deux sont des partis souverainistes et nationalistes, prônent une “Europe des nations”, dénoncent “l’immigration massive”, rejettent l’islam et critiquent durement la gauche.

Toutefois, ils ont de vraies divergences qui expliquent pourquoi ils siègent dans deux groupes différents au Parlement européen : le Rassemblement National est membre d’Identité et démocratie, Frères d’Italie appartient aux Conservateurs et Réformistes européens. Ils sont en désaccord sur la guerre en Ukraine, Frères d’Italie soutient Kiev et envoie des armes à l’Ukraine, le RN, après avoir été complètement pro-russe, a pris quelques distances avec Moscou tout en s’opposant aux sanctions et à l’envoi d’armes en Ukraine. Giorgia Meloni est pro-atlantiste, pas le RN.

Elle a fait une campagne au cours de laquelle elle a critiqué l’Union européenne, mais elle se montrera pragmatique pour peser dans le choix du Président ou de la Présidente de la Commission européenne et du Conseil européen. Marine Le Pen soutient une position plus intransigeante et ne veut pas de rapprochement avec le PPE (le Parti populaire européen, de centre droit).

Leurs programmes économiques divergent. Frères d’Italie prône à la fois du libéralisme et du protectionnisme, ce qui est assez contradictoire et l’obligera à un moment à faire des choix, alors que, dans sa rhétorique, le RN se dit défenseur d’un État social, mais réservé aux Français.

Enfin, en matière de valeurs, Giorgia Meloni, comme son ami le Hongrois Viktor Orban, est très conservatrice, ainsi qu’en atteste son slogan “Dieu, famille, patrie”, ce à quoi ne se réfère pas le RN. Cela dit, avant les élections et depuis les élections, Giorgia Meloni et Marine Le Pen semblent se rapprocher quelque peu. Cela ne devrait pas aboutir à la constitution d’un groupe unique au Parlement de Bruxelles et de Strasbourg, mais peut-être à quelques actions communes sur les questions d’immigration et sur le rejet du pacte vert.

Enfin, si le RN arrivait au pouvoir au mois de juillet, incontestablement une nouvelle page des rapports entre ces deux partis s’écrirait même si, à mon avis, de nombreux sujets de friction éclateraient entre les deux gouvernements, par exemple concernant l’immigration, Rome demandant une répartition des migrants ce qu’un exécutif français refuserait. N’oublions pas que Frères d’Italie a voté en faveur du pacte européen d’asile et immigration, mais pas les députés du RN…

(crédits : Assemblée nationale)