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04.01.2017

Les données du savoir

Dans le cadre du Sommet mondial d’un Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) qui s’est tenu à Paris début décembre, Soufiane Lemqari, alumni Sciences Po, revient sur les enjeux de partager en toute transparence les données et les biens numériques. Surtout en matière d'éducation. En écho à sa start-up, créée dans son pays d'origine le Maroc, avec pour objectif, l’accès au savoir et à l’enseignement pour tous. Interview

Après vos années d’études à Sciences Po, vous avez choisi de revenir au Maroc pour y créer votre entreprise. Pourquoi ?

Si j’ai choisi de revenir dans mon pays de naissance et dans ma ville natale afin d’y poursuivre mon projet entrepreneurial, c’est principalement parce que j’ai fait le constat que le Maroc connaît une véritable crise en matière d’éducation. Je me suis rendu compte qu’après quelques années passées à Sciences Po dans le cadre du Programme Europe-Afrique puis d'un Master à l'École de communication devenue aujourd'hui École du management et de l'innovation, je disposais des clefs pour changer les choses. Sur 144 pays sondés par The Global Competitivness Report, le Maroc est au 102ème rang, du fait d’un faible investissement dans l’enseignement public et d’un réel manque d’infrastructure. Dans un contexte ultra-libéral, les moyens financiers de chacun déterminent de la qualité de l’enseignement reçu, mais aussi la langue dans laquelle il sera dispensé. Il faut aussi préciser que l’enseignement primaire et secondaire se fait en arabe, alors que les études supérieures se font en français. Cela crée une importante dissonance chez les étudiants, une inégalité structurelle lors de l’entrée à l’université et enfin de toute évidence, une discrimination à l’embauche. C’est un malheureux héritage du Protectorat français. Face à cela, il existait deux solutions : intégrer une école française hors de prix, ou bien aller dans une école privée qui prépare à l’enseignement supérieur dispensé en français, inaccessible à la majeure partie de la population. C’est pour cette raison, qu’aujourd’hui, j’ai lancé Lawla Education, pour permettre à tous d’apprendre le français. Ce que je souhaite, c’est de donner à tous les Marocains les chances d'apprendre, et ce indépendamment des ressources financières ou des origines sociales.

Avec votre plateforme mobile, vous démocratisez l'enseignement pour tous les Marocains, même sans connection à l'Internet ?

Lawla Education est une plateforme de mobile-learning, un MOOC, qui a vocation à préparer les marocains de tous âges à réussir les tests et certifications de la langue française. Ma plateforme fonctionne sans internet grâce aux technologies mobiles de messagerie instantanée : SMS et USSD. Elle permet ainsi aux élèves d’accéder à du contenu éducatif où qu’ils soient et quand ils le souhaitent. Elle donne aussi aux professeurs la possibilité de communiquer à distance avec les apprenants et de les suivre de manière personnalisée. C’est une nécessité dans un pays où le nombre de décrocheur (qui sont d’ailleurs souvent des décrocheuses) est en hausse du fait du manque de proximité des écoles et de la quasi inexistence de transports scolaires dans les milieux ruraux.

Début décembre, vous avez participé à Paris au Sommet mondial d’un Partenariat pour un gouvernement ouvert (GPO). En quoi ce lieu, qui favorise les bonnes pratiques pour le partage des données, s'inscrit-il dans le sens de votre démarche ?

La thématique du GPO apporte des solutions concrètes au problème que j’essaye de résoudre. Une transparence accrue des données en matière d’éducation, une numérisation et une publication des ressources du ministère de l’Éducation nationale marocain me permettrait de mener ma mission dans de meilleures conditions. Si ces données étaient publiques, il me serait en effet possible à travers ma plateforme de rendre des ressources éducatives disponibles à l’ensemble de la population et partout sur le territoire marocain grâce au réseau de téléphonie mobile. Je pourrais offrir une plateforme d’éducation harmonisée et égalitaire, ce que je ne réussis pas encore à proposer aujourd’hui.

Les États ne partagent pas leurs données avec la même transparence. Qu'est-ce que cela implique ?

Le problème que je rencontre face à la manière dont le GPO est organisé se trouve finalement dans la lenteur de l’implantation de l’open-data et de l’open-gouvernement par certains États participants, dont le Maroc. Dans la mesure où chaque nation est libre de participer ou non au partenariat, il n’est pas souhaitable, ni possible, d’imposer des approches. Il existe en effet pour certains pays des questions sensibles, comme les questions de sécurité intérieure et de défense, qu’il n’est pas encore possible de révéler au grand jour. Cependant, je pense que sur des sujets tels que l’éducation et la santé, nous devrions pouvoir avoir accès à l’ensemble des données dont un État dispose pour proposer des solutions, car il s’agit ici de l’humain. Cela va dans le sens de l’innovation.

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Légende de l'image de couverture : © Soufiane Lemqari