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19.07.2016

Emmanuel Macron, plus proche de Juppé que de Hollande dans les urnes virtuelles

Emmanuel Macron défraye la chronique électorale depuis plusieurs mois en revendiquant le rôle d’un modernisateur de la vie politique, épris d’un réalisme économique qui dépasserait le clivage gauche-droite traditionnel. Son ascension dans les sondages d’opinion semble confirmer la demande des électeurs pour un personnel politique rajeuni, peu enraciné dans le monde de la politique professionnelle et ayant l’expérience du secteur privé. La question se pose néanmoins de savoir de quel électorat potentiel dispose Emmanuel Macron, qui se présente comme un homme de gauche, s’il était candidat à la présidence de la République en 2017.

Pour répondre à cette question, on s’appuiera ici sur les résultats de la quatrième vague de l’Enquête électorale française du Cevipof menée entre le 13 et le 23 mai 2016 auprès d’un échantillon de 19 455 personnes.

Nous avons posé la question « Quelles sont les chances que vous votiez pour les personnalités suivantes si elles étaient candidates à l’élection présidentielle de 2017 ? » en demandant aux enquêtés de se placer sur une échelle allant de 0 à 10 et en leur offrant une liste de dix personnalités. On considère ici comme une « forte chance » de voter en faveur d’une personnalité le fait de se placer entre 7 et 10.

En troisième position

Une première observation tient au fait qu’Emmanuel Macron se positionne en troisième position avec 15,4 % de fortes probabilités de choix derrière Alain Juppé (28,6 %) et Marine Le Pen (23,3 %). Viennent ensuite Nicolas Sarkozy (15 %), Nicolas Hulot (12 %), François Bayrou (11,5 %), Jean-Luc Mélenchon (10,8 %), François Hollande (10,3 %), Bruno Le Maire (9,6 %) et Manuel Valls (9 %).

Ce positionnement d’Emmanuel Macron au sommet des choix électoraux est confirmé par ailleurs par les résultats d’une question de la vague 3 bis des enquêtes du Cevipof demandant spontanément aux enquêtés quelle serait leur personnalité préférée pour l’Élysée en 2017. Comme les choix ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, on peut encore remarquer que les enquêtés ayant de fortes probabilités de voter pour Emmanuel Macron ont également de fortes probabilités de voter par ordre décroissant pour : Alain Juppé (47 % de l’électorat potentiel d’Emmanuel Macron), Manuel Valls (32 %), François Hollande (22 %), François Bayrou (21 %), Bruno Le Maire (20 %), Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen (19 % chacun), Nicolas Hulot (18 %) et Jean-Luc Mélenchon (8 %). La fluidité de l’électorat entre Emmanuel Macron et Alain Juppé est donc assez forte.

Un ministre qui séduit un électorat peu fidèle à la gauche. Christophe Pelletier/Flickr, CC BY-NC-SA

La comparaison de ces deux électorats potentiels montre effectivement une forte proximité en termes de profils sociaux : 26 % de l’électorat de potentiel Macron ont au moins un niveau Bac +4 (contre 25 % pour celui d’Alain Juppé), 20 % sont des seniors de 65 ans au moins (contre 23 %), 31 % appartiennent aux classes supérieures définies par le revenu fiscal par foyer et les éléments de patrimoine (contre 30 %).

L’électorat potentiel d’Emmanuel Macron est un peu plus « bourgeois » que ceux de François Hollande ou de Manuel Valls (respectivement 29 % et 28 % de catégories supérieures), nettement plus que celui de Nicolas Sarkozy (25 %), bien plus que celui de Jean-Luc Mélenchon (18 %), mais beaucoup moins que celui de Bruno Le Maire (32 %). Cependant, il faut bien reconnaître que l’analyse en termes de « vote de classe » s’avère peu discriminante en général, sauf pour la gauche contestataire et le FN.

Un électorat flottant

L’analyse électorale montre, quant à elle, que les électeurs potentiels d’Emmanuel Macron ont voté au premier tour de la présidentielle de 2012 à hauteur de 39 % pour François Hollande (suffrages exprimés) mais aussi à 31 % pour Nicolas Sarkozy, à 13 % pour François Bayrou, à 9 % pour Marine Le Pen contre 4 % pour Jean-Luc Mélenchon, 2 % pour Éva Joly comme pour Nicolas Dupont-Aignan et 1 % pour Nathalie Arthaud et Philippe Poutou.

Il apparaît surtout que les électeurs potentiels d’Emmanuel Macron qui ont pu voter à gauche ne sont pas des électeurs fidèles de la gauche. On a construit un indice de vote à gauche (tous partis de gauche) mesurant le nombre de votes à gauche à la présidentielle de 2012, aux européennes de 2014 et aux régionales de 2015. L’indice va donc de 0 à 3.

Un profil assez éloigné de celui de François Hollande ou Manuel Valls. Business France/Flickr, CC BY-NC-SA

Or il s’avère que l’électorat potentiel d’Emmanuel Macron est assez flottant puisque 50 % de ses membres n’ont jamais voté à gauche lors de ces scrutins alors que ce niveau 0 ne réunit que 25 % de l’électorat potentiel de Manuel Valls et 7 % de celui de François Hollande. Inversement, 22 % de l’électorat potentiel d’Emmanuel Macron a toujours voté à gauche contre 42 % de celui de Manuel Valls et 62 % de celui de François Hollande.

Un candidat de droite

L’étude des valeurs confirme cette analyse. On utilisera ici un indice de libéralisme économique (réduire le nombre des fonctionnaires, faire confiance aux entreprises, faciliter les licenciements), un indice de libéralisme culturel (il y a trop d’immigrés en France, l’immigration est une richesse culturelle, rétablissement de la peine de mort) et un indice de pouvoir régalien (durcir les peines pour les délinquants, renforcer les moyens de la police, mettre un homme fort à la tête du pays).

Chaque indice va donc de 0 à 3 et fait l’objet d’une dichotomisation pour ne retenir que les niveaux 2 et 3. Comme le montre le tableau ci-après, on voit que l’électorat potentiel d’Emmanuel Macron est très proche de celui d’Alain Juppé dont il ne se sépare que par une propension un peu plus grande au libéralisme culturel. Que soit sur le plan économique, culturel ou sur le terrain du pouvoir régalien, cet électorat s’éloigne sensiblement de l’électorat socialiste de François Hollande ou de Manuel Valls.

Les valeurs des électorats potentiels ( %)

L. Rouban, Cevipof, Enquête électorale française vague 4, mai 2016, Author provided

Au total, il semble bien qu’Emmanuel Macron attire surtout un électorat âgé, libéral, assez favorisé socialement, peu fidèle à la gauche, séduit en grande partie par Alain Juppé. Emmanuel Macron serait donc potentiellement davantage un candidat de droite qu’un candidat de la gauche « modernisatrice ».

Par Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po - CEVIPOF

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation 

Légende de l'image de couverture : OFFICIAL LEWEB PHOTOS/Flickr, CC BY