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12.09.2024

Entre démocratie et bien-être économique, le cœur des Français balance

En France, en Italie et Allemagne, plus de 80 % des citoyens se disent attachés à la démocratie. Mais lorsqu’on leur demande d’arbitrer entre démocratie et bien-être économique, l’attachement à la démocratie perd de son intensité.

Dans le cadre d’une enquête conduite par le CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po, et l’université Bocconi, le chercheur Luc Rouban a analysé l’arbitrage que les citoyens font entre la démocratie et le bien-être économique, en France, en Allemagne et en Italie. Des résultats inattendus qui tombent à pic.

Cet article est issu de Comprendre, la nouvelle newsletter Linked In de Sciences Po qui donne des clefs pour décrypter les dynamiques politiques du monde contemporain. Abonnez-vous.


Les quatre constats principaux

  1. La mobilité sociale ou l’amélioration de la condition économique viennent davantage en soutien de la recherche du bien-être que de celle de la démocratie,
  2. Le “scénario chinois” dissociant démocratie et bien-être concerne aussi l’Europe et notamment les jeunes,
  3. Le choix entre démocratie et bien-être n'est pas un marqueur des électorats de droite ou de gauche,
  4. Le soutien à l'Union européenne n’est pas le soutien à sa dimension démocratique, mais à sa capacité d’améliorer le bien-être.

Quels critères font la différence ?

L’enquête a exploré ces préférences en fonction de critères tels que la classe sociale, l'âge, les trajectoires de vie, les choix électoraux et les valeurs comme le niveau de libéralisme économique ou culturel.

Voici les principaux résultats :

  • Classe sociale et niveau de vie : en France comme en Allemagne, plus les enquêtés sont aisés, plus ils préfèrent le bien-être à la démocratie. En Italie, le niveau de vie ne joue quasiment pas.
  • Dynamique sociale : en France, 62 % de ceux qui estiment que leur situation s’améliore préfèrent avant tout le bien-être et 26 % seulement préfèrent la démocratie. En revanche, ceux qui se sentent en perte de vitesse préfèrent avant tout la démocratie à 38 % et le bien-être à 37 %. Une tendance similaire est observée en Allemagne alors qu’en Italie, l’attachement à la démocratie reste plus fort quelle que soit la dynamique sociale.
  • L’âge : en France et en Allemagne, le bien-être est privilégié par les moins de 34 ans.
  • Libéralisme économique : en fin de compte, c'est la variable d’attachement au libéralisme économique qui est la plus déterminante. Dans les trois pays étudiés, plus les enquêtés sont orientés vers le libéralisme économique et plus ils favorisent le bien-être. En cumulant avec l’effet “âge” et la classe sociale, c’est 89 % des moins de 34 ans issus d’une famille aisée qui préfèrent le bien-être à la démocratie.
  • Libéralisme culturel : la proportion la plus importante d'enquêtés français préférant la démocratie au bien-être se rencontre chez les enquêtés qui disposent des revenus importants et s’avèrent attachés au libéralisme culturel et, ce, quel que soit l’âge.
La préférence pour la démocratie our le bien-être par tranche d'âge et pays (%) (crédits : Luc Rouban, CEVIPOF, Europe's Future: Youth and the 2024 European Parliamentary Elections in Italy, France, and Germany, 2024.)

La traduction de ces préférences dans les urnes

Lorsque les préférences exprimées sont mises en relation avec les choix électoraux, les résultats fournissent un nouvel éclairage sur les dynamiques politiques :

  • En France, les électeurs de La France Insoumise et des écologistes penchent en faveur de la démocratie, mais avec un intérêt pour le bien-être supérieur à celui des électeurs PS-Place publique et Renaissance, qui sont les seuls à choisir très majoritairement la démocratie.
  • Le bien-être économique est privilégié par une majorité d’électeurs des Républicains (43 %), de Reconquête (46 %) et du Rassemblement national (50 %).
  • En Allemagne, on retrouve un distinguo similaire : les votants pour le parti d'extrême droite AfD penchent plus nettement en faveur du bien-être (45 %) à l'inverse les votants du nouveau parti l’Alliance Sarah Wagenknecht pour la raison et la justice BSW, qui est à la fois socialiste et nationaliste, penchent en faveur de la démocratie (45 %).
  • En Italie, la majorité des électeurs de la gauche modérée, des écologistes et des centristes choisissent la démocratie (80 %). Au sein de l’alliance gouvernementale, les électeurs de Fratelli d’Italia sont proches de ceux de Forza Italia avec environ 45 % en faveur de la démocratie et 35 % pour le bien-être.
Le vote aux élections européennes de juin 2024 en France et la priorité donnée à la démocratie et au bien-être (%) (crédits : Luc Rouban, CEVIPOF, Europe's Future: Youth and the 2024 European Parliamentary Elections in Italy, France, and Germany, 2024.)

L’Europe, un choix porté par le libéralisme économique

  • Parmi les enquêtés français, ceux qui préfèrent le bien-être considèrent à 52 % que l’unification européenne devrait être poussée plus loin, tandis que ceux qui se positionnent sur le point médian entre démocratie et bien-être sont les plus nombreux à considérer que l’unification a été trop loin.
  • Ceux qui préfèrent le bien-être à la démocratie évaluent positivement l’efficacité des politiques européennes concernant le contrôle du flux de migrants venant du sud, la prospérité économique et la défense et la sécurité de l’Europe. Le niveau moyen de cette évaluation est moins marqué en Italie.

> Découvrir l'intégralité de l'enquête du CEVIPOF.

Légende de l'image de couverture : Parc de Holosiivsʹkyy, Kiev, Ukraine, 2018. (crédits : Vladislav Babienko / Unsplash)