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01.09.2016
Les réseaux sociaux, un facteur d'émancipation pour les migrants
Les sciences sociales s’intéressent aux réseaux de toutes sortes, entre des individus ou des organisations. En sociologie des organisations, les analyses de réseaux permettent d’étudier des processus sociaux génériques de l’action collective par l’analyse des interdépendances. Entretien avec Emmanuel Lazega sur les réseaux sociaux, suite à la 2e conférence européenne des analystes des Réseaux sociaux (EUSN) qui s'est tenue à Paris les 14, 15 et 16 juin. Organisée avec le concours de Sciences Po et du CSO, elle a réuni plus de 300 représentants de nombreuses disciplines venus du monde entier.
Qu’est-ce que le numérique a changé dans l’analyse des réseaux sociaux ?
Traditionnellement, en sciences sociales, on étudie des réseaux sociaux pour mieux comprendre la solidarité sociale, le contrôle social, et bien d’autres processus importants qui créent une forme de discipline sociale. Les géants de l’internet que sont Google, Facebook, LinkedIn, etc., créés il y a environ 15 ans sur la base de ces « fondations anciennes », couvrent aujourd’hui des milliards de réseaux personnels, eux-mêmes liés entre eux, et renouvellent donc notre champ de recherche. Néanmoins, l’accès aux données de ces géants est quasi impossible (elles ne sont pas publiques pour des raisons, entre autres, de protection de la vie privée) et la recherche publique accuse un retard important dans la compréhension des relations entre réseaux sociaux au sens traditionnel et réseaux numériques. Seuls les laboratoires de recherche de ces grandes entreprises américaines peuvent systématiquement étudier aujourd’hui les interactions entre ces deux types de réseaux. La conférence s’est ouverte sur la question des migrants.
Qu’apporte l’étude des réseaux sociaux à la compréhension de ce phénomène ?
La catégorie de « migrant » recouvre des réalités sociologiques très diverses. La situation des migrants est variable selon bien des facteurs : leurs conditions économiques et politiques de départ et d’arrivée, leur langue et leur culture, et aussi les soutiens dont ils bénéficient. L’analyse des réseaux sociaux et organisationnels des migrants (composition, structure, résilience, etc. de leurs réseaux personnels) permet par exemple d’observer comment fonctionne leur intégration et de poser la question de ce qu’est une intégration réussie. Les deux chercheurs qui ont inauguré la conférence, Miranda Lubbers et Jose-Luis Molina, ont montré qu’en Espagne, les migrants qui s’intègrent bien (de leur propre point de vue) sont ceux dont au moins un tiers du réseau personnel est composé de personnes originaires du pays d’accueil. Or c’est une situation rare pour beaucoup de catégories de migrants. Des dizaines de millions de personnes devraient migrer en Europe ou vers l’Europe au cours des décennies à venir : il est donc important de mieux connaître le fonctionnement de l’intégration. On a déjà beaucoup écrit sur la spécialisation des migrants sur les emplois des secteurs de l’aide aux personnes, du nettoyage, de la construction, etc. Lubbers et Molina se sont, eux, intéressés notamment au dynamisme économique des migrants, à la manière dont ils développent des entreprises pour sortir de la pauvreté. Ils étudient par exemple comment les migrants s’organisent, au sein de leurs réseaux, pour créer des organisations et des formes d’action collective. Pendant la conférence, certains collègues ont aussi croisé les questions de migration et de santé en observant le cas particulier des migrants âgés ou la gestion des problèmes de santé au sein des réseaux sociaux des migrants. (Pour en savoir plus sur l’apport de l’étude des réseaux sociaux sur les questions de santé)
Les résultats de l’analyse des réseaux sociaux sont-ils manipulables ?
Oui. L’analyse de réseaux offre des méthodes qui renouvellent en partie les sciences sociales (Pour en savoir plus sur l’approche des réseaux dans les différentes disciplines). Les plateformes de réseaux sociaux en ligne augmentent parfois la capacité d’action collective et de mobilisation sociale, voire d’émancipation de populations entières. Mais ces données et ces analyses sont aussi instrumentalisées par des acteurs sociaux, ce qui peut être de plus en plus dangereux. La conférence a bien montré que ces données de réseaux représentent des enjeux de pouvoir importants. Police, armée, cabinets de consultants et grandes entreprises ont désormais leurs propres spécialistes de l’analyse des réseaux sociaux, et en particulier des réseaux en ligne. C’est pour cela qu’il faut aussi s’intéresser aux organisations et réseaux des puissants, à leur capacité d’action collective organisée, basée sur la gestion d’interdépendances personnalisées, collégiales, oligarchiques, qui contribuent à renforcer les groupes assez fermés que sont les élites. Par exemple je regrette qu’il n’existe pas davantage d’études sur la manière dont les employeurs s’appuient sur la connaissance des réseaux sociaux pour exercer un contrôle social sur les travailleurs. Ils sont de plus en plus nombreux à utiliser les réseaux sociaux, notamment pour recruter, assurer une présence en ligne à des fins de marketing, mais aussi empêcher de rendre publiques des informations par souci de gestion de réputation ou pour surveiller des salariés. Les syndicats pourraient s’emparer de ce sujet pour voir ce qui a changé ces dernières années dans ce domaine. Dans le même ordre d’idées, il faudrait aussi mieux comprendre la manière dont les citoyens s’approprient les technologies de reconstitution, de visualisation et d’analyse des réseaux sociaux. C’est l’objet de nouvelles recherches sur ce que l’on appelle la « network literacy » et l’éducation à ces techniques dès l’école. La conférence a été l’occasion de mettre en lumière ce type de problématiques et d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche.
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