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21.08.2015

Étudiantes et mères : défi ou galère ?

Être parent - et surtout mère - en étudiant : est-ce une « galère » ou simplement un mode de vie différent ? Un peu les deux, nous répond Aden Gaide qui a consacré son mémoire de recherche à ce sujet. Un mode de vie si mal exploré que la portée de son travail lui a valu de recevoir le 1er prix de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE). Échographie.

Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Aden Gaide : Je m’intéresse aux normes sociales, aux rapports que l’on entretient avec elles, mais aussi aux questions de genre. Après avoir exploré plusieurs thématiques, j’ai repéré une sorte d’angle mort des politiques publiques, comme de la recherche en sciences sociales, une anomalie : les étudiants parents. Peu de travaux y sont consacrés, aucune brochure ou site institutionnel évoquant des dispositifs spécifiques pour cette population… La parentalité étudiante apparait comme un non-dit. À l’étranger, ce n’est pas tellement mieux, à l’exception des études sur les « Mature Students » au Royaume-Uni qui dès 1990 se sont intéressées au phénomène des reprises d’étude et, par ce biais, aux mères étudiantes. Au total, le manque de travaux sur ce sujet m’a semblé devoir être comblé.  Il faut savoir que rien qu’en France, ce sont 100.000 étudiants* qui sont concernés.

La maternité étudiante semble donc vécue de manière problématique ?

A. G. : Si l’on parle du quotidien des étudiants ayant un enfant, les choses sont loin d’être simples, du fait notamment de l’absence de cadre institutionnel. Il n’y a pas de statut officiel, les gens sont renvoyés de la CAF au CROUS, les mutuelles étudiantes se désintéressent de la question… Dans les universités ou grandes écoles, alors qu’avoir des frères et sœurs étudiants est pris en compte, il n’y a pas de case « je suis parent » ! Il n’y a aucune visibilité pour les personnes dans cette situation, car la « norme » assimile l’étudiant à un statut célibataire qui n’a pas encore bâti de foyer stable.

Comment expliquez-vous ce que l’on pourrait appeler un déni de réalité?

A. G. : C’est à nouveau une norme, implicite, qui présuppose un ensemble de conditions pour construire une famille : un couple stable, un projet parental, une sécurité professionnelle... Dans cet esprit, il y aurait un « bon moment » pour avoir un enfant  et celui-ci serait après les études.

En conséquence, rien n’est fait pour accompagner ou faciliter la parentalité étudiante. Les Cité U ne sont pas conçues pour accueillir des enfants, les aménagements de cursus sont laissés au bon vouloir du personnel d’encadrement des études. On impose parfois une année de césure ; et bien souvent on n’aura aucun report possible pour bénéficier d’une bourse ou passer un examen. Vivre de manière positive ou déplaisante cette maternité dépendra donc des relations interpersonnelles avec les équipes de l’établissement…

Comment avez-vous pu identifier et rencontrer cette population ?

A. G. : Cela s’est avéré difficile et a demandé pas mal de pugnacité. C’est un sujet délicat à aborder car il recèle des questions intimes. Par ailleurs, il est souvent traité de manière caricaturale dans les médias. In fine, cela crée une méfiance envers le chercheur qui viendrait les « épier ».   

Il m’a donc fallu investir plusieurs lieux virtuels ou réels : les réseaux sociaux (Twitter, Facebook), les forums assez spécialisés où les étudiantes échangent questions angoissées et conseils pratiques, les sites plus généralistes comme celui de l’émission de France 5 « Les maternelles », mais aussi les listes de diffusion de chercheurs, les petites annonces des universités ou la visite de crèches étudiantes, qui sont très rares, évidemment. Les mères étudiantes apparaissent assez isolées, elles ne se connaissent pas entre elles. Il est en particulier très symptomatique que les forums contiennent énormément d’interrogations sur la « faisabilité » d’une grossesse et d’une parentalité pendant les études. Beaucoup de questions sont concrètes, voire triviales, en rapport avec l’absence de dispositifs publics ou de relais d’informations. On recherche l’entraide, l’expérience d’autrui.

J’ai connu pas mal de déconvenues pour trouver des volontaires qui acceptent un entretien. Ceci a conforté mon sentiment d’avoir à faire à une « population invisible », difficile à saisir, ce qui n’a fait que renforcer ma détermination de chercheur !

Quelle est l’importance de cette population ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ses caractéristiques ? Est-elle homogène ?

A. G. : Comme je vous le disais, en France c’est environ 100 000 étudiants qui sont parents, soit 4,4% des étudiants. Ça fait du monde ! Au passage, il faut savoir que dans certains pays du Nord de l’Europe, comme la Suède, cette proportion peut aller jusqu’à plus de 20%.

Pour revenir à la France, ce que l’on constate, c’est qu’une bonne moitié des étudiants parents ont plus de 35 ans : ils ont repris des études. Autre fait à relever, seuls 19% des parents  sont célibataires contre 78% pour les étudiants sans enfants. Enfin, autre évolution à noter : d’une manière générale  les scolarités sont de plus en plus longues et les étudiants plus âgés : 13% des étudiants français ont aujourd’hui plus de 27 ans.

Est-ce un problème « genré » ?

A. G. : Les femmes représentent les 2/3 des étudiants parents, et leur conjoint travaillent souvent. D’ailleurs, il m’a été très difficile de rencontrer des pères étudiants… Ils se mettent volontiers en retrait, se sentant peu concernés.

Au-delà,  on retrouve des  problématiques qui se posent à tous les couples, notamment les questions d’articulation travail/vie de famille. En pratique, ce sont les mères qui prennent la responsabilité de rendre compatible le fait d’avoir un enfant et de faire des études.

Malgré son hétérogénéité, vous avez réussi à dégager 3 grands types de population ?

A. G. : Oui, les entretiens m’ont permis de distinguer 3 grands profils. D'abord des femmes de moins de 23 ans, très jeunes par rapport à la « norme » et qui n’ont pas de projet parental. La découverte de la grossesse est pour elles un choc mais l’avortement leur semble trop dur. Ensuite, des femmes de 23 à 25 ans qui jugent que c’est le bon moment d’avoir un enfant et dont le conjoint travaille. Elles ont généralement anticipé les difficultés possibles et se sont organisé en conséquence. Enfin, on trouve des femmes de plus de 25 ans (plus de 90% des mères étudiantes) qui ont « l’âge » de devenir mères. Elles sont dans la norme tant du point de vue de l’âge que de leur mode de vie. La seule condition de la “norme” qui n’est pas remplie : la stabilité professionnelle.  

Vous avez évoqué à plusieurs reprises l’absence de politique publique sur cette question. Pensez-vous qu'un jeune chercheur en sociologie puisse éclairer la décision publique, susciter un intérêt auprès de décideurs, faire bouger les choses ?

A. G. : Tout à fait, et le prix que m’a décerné l’Observatoire de la vie étudiante en est le reflet. Ce travail a rencontré un grand intérêt, bien au-delà de celui attendu d’un mémoire de Master 2. Le Centre National des Œuvres Universitaires et Scolaires (CNOUS) s’est intéressé à l’étude, qui est aujourd’hui  publiée sur le site de l’OVE. La Caisse Nationale d’Allocation Familiale m’a attribué une bourse doctorale me permettant d’approfondir ces travaux à l’Observatoire sociologique du changement. C’est une belle opportunité ! Sciences Po, au titre de son programme pour l’égalité femmes / hommes réfléchit à des dispositifs d’accompagnement pour prendre en compte ces situations. Il faut dire aussi que petit à petit, les choses évoluent. L’information émerge, le problème gagne l’espace public.      

Justement, comment le travail de thèse que vous avez débuté depuis quelques mois, va-t-il prendre le relais de ces recherches exploratoires ?

A. G. : Les problématiques ont été posées dans le mémoire de M2. J’interroge toujours la « norme étudiante » aux prises avec la parentalité. Mais je souhaite me concentrer sur quelques points encore mystérieux comme le rôle des pères, l’influence de la massification de l’enseignement supérieur, ou les différences entre filières ou établissements. 14% des étudiants en école d’infirmière sont des parents, contre 1% dans les classes préparatoires aux grandes écoles.

* Statistiques de l’Observatoire de  la vie étudiante, 2010

Propos recueillis par Bernard Corminboeuf, responsable de la valorisation à l’OSC

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Légende de l'image de couverture : DR