Accueil>"Faire un double doctorat aux États-Unis a tout changé !". Entretien avec Juliette Galonnier
19.04.2015
"Faire un double doctorat aux États-Unis a tout changé !". Entretien avec Juliette Galonnier
Juliette Galonnier est doctorante en sociologie à Sciences Po et à l’Université de Northwestern à Chicago (États-Unis). Sa thèse porte sur l’expérience comparée des convertis à l’Islam en France et aux Etats-Unis. Elle a obtenu en 2014 le prix Robert F. Winch du Département de sociologie de Northwestern University pour son “second year paper”, ainsi que le “Presidential Fellowship” de l’université en 2015. Entretien avec une chercheure des plus prometteuses.
- Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la recherche ?
On peut dire que je suis un « pur produit Sciences Po ». J’y suis rentrée directement après l’obtention de mon bac dans un lycée de l’Essonne. Ma troisième année à l’étranger a été décisive. J’ai étudié pendant un an à la Jawaharlal Nehru University (JNU) à New Delhi, en Inde. J’y ai découvert de nouvelles façons de penser. Un sujet en particulier me fascinait tout en me terrifiant, celui des violencesentre Hindous et Musulmans. À mon retour en France, j’ai choisi le master recherche pour pouvoir poursuivre de façon plus systématique des recherches à ce propos. Et c’est le souhait de m’équiper des bons outils pour enquêter sur un sujet qui m’intéressait qui m’a portée vers la sociologie.
- Que retirez-vous de votre expérience de double doctorat avec Northwestern ?
S’engager dans le double doctorat implique un peu de patience et de souplesse, mais cela en vaut largement la peine ! Il faut satisfaire à des exigences parfois très différentes. Par exemple, alors que Sciences Po encourage des thèses rapides, les doctorants de Northwestern restent dans le programme doctoral pendant 6 ou 7 ans. Mais mon expérience à Northwestern University a tout changé pour moi. La combinaison des traditions française et américaine a renforcé mon imagination sociologique. A Northwestern, j’ai eu l’opportunité de découvrir tout une littérature, notamment afro-américaine, qui abordait de front les questions ethno-raciales, sur lesquelles la recherche française est encore timide. Mon séjour à Northwestern m’a permis d’avoir une approche plus critique sur cette question et de l’aborder de façon plus sereine.
- Pourquoi avoir choisi ce sujet des convertis blancs à l’Islam pour votre thèse ?
Pour ma thèse, j’ai choisi de transposer les questionnements nés de mes recherches en Inde, aux cas français et américain. Je m’intéresse à la construction sociale des catégories raciales et comment elles contraignent les expériences des individus. Dans ce projet, je porte une attention particulière aux cas où la différence religieuse est investie de considérations raciales. Le cas de l’Islam est emblématique puisque, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, la figure du « Musulman » amalgame plusieurs caractéristiques, qui incluent certes des croyances religieuses, mais surtout une origine nationale, une appartenance ethno-raciale et une apparence physique particulières. Ainsi dans mes recherches, je n’étudie pas la conversion à l’Islam en tant que telle. Mais j’utilise la conversion à l’Islam pour comprendre le rôle de la religion dans la construction de la différence.
Les convertis blancs que j’ai interrogés suscitent souvent l’étonnement, l’incrédulité, voire de véritables paniques morales puisqu’ils ne correspondent pas à l’image stéréotypée et racialisée du « Musulman ». Ils apparaissent comme des figures anomaliques, anormales, absurdes et du coup, ils viennent dévoiler le caractère construit des assignations raciales. C’est cela, fondamentalement, qui m’intéresse. Que se passe-t-il quand des individus font un choix spirituel qui va à l’encontre des constructions racialisées de la religion vieilles de plusieurs siècles ?
Parmi les convertis « blancs » que j’ai interrogés, il est aussi intéressant de voir que lorsqu’ils revêtent les signes d’appartenance visible à l’Islam, ces individus qui jusqu’ici n’avaient pas particulièrement eu à souffrir de discriminations, sont subitement exposés à des formes d’insulte explicitement racistes.
Mes enquêtés sont des citoyens français et américains, très bien intégrés à la société, qui choisissent de se convertir à l’Islam pour des raisons extrêmement diverses et variées. La violence des réactions qu’ils suscitent semble tout à fait disproportionnée au regard du caractère très ordinaire de leurs vies quotidiennes. C’est cela aussi qui m’intéresse : des individus qui font des choix personnels et qui se heurtent à tout un ensemble de déterminismes et de contraintes sociales.
- Une brillante carrière de chercheuse s’offre à vous, en témoignent les 2 prix prestigieux que vous avez reçu coup sur coup ! Quels sont vos projets ?
Les deux prix que j’ai obtenus à Northwestern montrent que les chercheurs américains apprécient le travail des doctorants français. C’est surtout une belle reconnaissance pour la formation en sociologie offerte par l’École doctorale de Sciences Po : c’est une des meilleures en France, elle est très ouverte à l’international, avec des possibilités de séjour dans de nombreuses institutions, et des ressources financières mises à disposition des doctorants beaucoup plus importantes qu’ailleurs.
Je souhaite poursuivre une carrière académique : en réalité, c’est la seule chose que je sais faire ! Outre l’aspect « recherche », la dimension « enseignement » est aussi très importante. Le dialogue avec les étudiants implique une constante remise en question et un effort de clarification qui permet de faire avancer considérablement la recherche. C’est sans doute la partie la plus gratifiante de ce travail. Je souhaiterais donc trouver un poste qui me permette de poursuivre des recherches tout en enseignant. Mais les places sont chères ! Ne nous leurrons pas, elles le sont tout autant aux États-Unis. Il y a d’autres pays en Europe, comme l’Allemagne et la Suisse qui me paraissent recruter beaucoup plus.