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07.02.2025

Femmes et sciences : où en est-on ?

Montserrat Botey, chercheuse postdoctorante en économie au sein du Programme d’études sur le genre de Sciences Po, répond à nos questions à l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, organisée depuis 2015 par l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).

Pourquoi une Journée internationale des femmes et des filles de science ?

Parce que l’égalité femmes-hommes dans la formation et sur le marché de l’emploi n’est pas encore au rendez-vous. Même si les femmes sont aujourd’hui plus diplômées que les hommes (en 2021, 55,8% des diplômes de l’enseignement supérieur en France tous domaines et tous niveaux confondus ont été attribués à des femmes), les inégalités persistent. La création d’une journée dédiée à la place des femmes dans les filières et les métiers scientifiques, en particulier dans les STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) met l’accent sur une disparité qui a longtemps été peu examinée au niveau mondial. 

La tech est sans doute le secteur le plus porteur dans l’économie actuellement, et l’un des secteurs où les salaires sont les plus élevés. Malgré un contexte économique défavorable post-crise sanitaire du Covid, l’emploi dans le numérique progresse 2,5 fois plus vite que dans les autres secteurs. Il est donc impossible de parler d’égalité salariale et de présence des femmes sur le marché du travail sans évoquer l’innovation et la recherche.

Ce problème n’est pas nouveau : historiquement, les femmes n’ont pas eu la même place et ne sont pas représentées de la même façon que les hommes dans la hiérarchie académique et professionnelle. Cela renvoie au phénomène de leaky pipeline : au fur et à mesure des progressions de carrière, les femmes quittent leur secteur, et “gouttent” du “tuyau percé” (leaky pipeline). Ce terme anglo-saxon décrit donc ce processus de décrochage des femmes au cours de leur carrière professionnelle. Et cela commence dès les études supérieures. Ce phénomène de leaky pipeline est particulièrement marqué dans les secteurs des STEM où les femmes sont les plus représentées, comme la biologie. Et paradoxalement ce "leak" est moins marqué dans les domaines comme l'ingénierie, où les femmes sont moins nombreuses.

Cette tendance est aussi palpable dans le monde académique : alors que 45% des doctorats sont attribués à des étudiantes, seulement 30% des chercheurs actifs et 18% des professeurs titulaires sont des femmes dans l’Union européenne en 2022. Ces tendances prennent une tournure plus dramatique dans les disciplines STEM : bien que les femmes représentent 38% des diplômés de doctorat dans l'Union européenne (UE) dans les disciplines STEM, l'écart de genre se creuse à mesure que les niveaux de séniorité augmentent : seules 17,9% des postes de professeur titulaire en ingénierie et technologie sont occupés par des femmes.

Il faut aussi regarder l'insertion des femmes dans le marché du travail : d’après Eurostat, en 2023, seulement 21,4% des femmes diplômées en Europe (18,4% pour la France) ont obtenu un diplôme dans les filières du numérique, et seules 17%  de ces diplômées travaillent dans ces filières. Il n’y a jamais eu plus de 20% de femmes parmi les personnes employées dans la tech, ni en France, ni en Europe.  En effet, les femmes n’ont pas dépassé le 20% des personnes employées dans la tech pendant la dernière décennie, ni en France, ni en Europe.

Le fait que ce soient les Nations unies qui portent cette campagne démontre d’ailleurs qu’il s’agit d’une problématique globale. Par exemple, aux États-Unis en 2024, parmi les personnes salariées du secteur numérique il n’y avait que 33% de femmes.

Est-ce que beaucoup de choses ont changé depuis l’institution de cette Journée internationale il y a 10 ans ?

Non, c’est une lente progression. Malgré des initiatives de l’Union européennes telles que Girls Go Circular ou l’Action 13 du Plan d'action en matière d'éducation numérique (2021-2027) qui visent à former les filles à des compétences digitales et les encourager à choisir des filières STEM pour leurs études supérieures, les résultats ne sont pas immédiats.

En France, par exemple, le taux des diplômes féminins en STEM de troisième cycle est passé d’à peine 31,5% en 2015  à 32% en 2021. Et parfois la situation régresse : en 2024 seulement 16% des personnes admises à Polytechnique étaient des femmes, contre environ 20% de candidates et 20% d’admises les années précédentes.

Quant au secteur de la tech, d’après un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), 50 % des femmes quittent le secteur du numérique avant l’âge de 35 ans, comparé à 20 % des femmes dans d’autres secteurs. Un chiffre qui n’a pas beaucoup bougé ces dernières années…

Finalement, j’ajouterais que nous assistons aussi à un paradoxe dans plusieurs pays développés : plus un pays est égalitaire, moins les femmes y choisissent des carrières dans le champ des STEMUne étude menée par des chercheurs de la Chaire Femmes et Sciences de l'Université Paris Dauphine-PSL souligne que le stéréotype associant mathématiques aux hommes se ferait plus sentir dans les pays plus égalitaires et développés.

Sur quoi travaillez-vous pendant votre post-doctorat au sein du Programme d'études sur le genre de Sciences Po ?

Je développe actuellement deux volets de recherche. D’un côté, un volet expérimental, où l’on souhaite tester les différents canaux de communication possibles pour créer de la conscience des biais de genre au niveau académique, en particulier dans les STEM à travers des expériences randomisées. De plus, nous cherchons à étudier dans un cadre longitudinal l’évolution, en France, de la place des femmes dans les institutions de recherche en STEM  en partant de l’observation que c’est souvent au niveau du post-doctorat que les femmes quittent le milieu académique. 

Comment faire pour que les femmes soient mieux représentées ?

Agir sur les stéréotypes sociétaux, sans doute. Les stéréotypes véhiculés par les proches ont un impact non-négligeable dans les choix d’orientation des élèves après leurs études secondaires. Et ça ne peut pas être directement pallié par des initiatives et politiques formelles. Par exemple, d’après le dernier baromètre GenderScan publié en février 2024, 4 étudiantes sur 10 en école d’ingénieur disent avoir été découragées de poursuivre des études scientifiques. Dans la même étude, 33% des étudiantes dans le milieu du numérique évoquent le fait que leurs proches leur soulignent le fait qu’en tant que femmes c’est un milieu qui “leur sera hostile” et qui ne rentre pas dans la catégorie de “métiers de femmes”. Les enseignants, pour leur part, sont cités comme la première source de découragement par presque 60% des étudiantes en STEM.

Ces résultats sont similaires à ceux d’une étude menée par Ipsos dans une école d’informatique : seulement 33% des filles sont encouragées par leurs parents (principaux référents pour les jeunes) à s’orienter vers les métiers du numérique face à 61% pour les garçons.

En savoir plus

Montserrat Botey est chercheuse postdoctorante au sein du Programme d'études sur le genre de Sciences po.

Légende de l'image de couverture : Montserrat Botey, postdoctorante à Sciences Po (crédits : VT / Sciences Po)

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