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15.07.2016

La Grande-Bretagne en pleine crise brexistentielle

Le Brexit est une blessure que les Britanniques se sont auto-infligée. Ses conséquences sont véritablement ontologiques, car elles menacent l’existence même de la Grande-Bretagne en tant qu’espace politique et économique unifié.

Le plus tragique, c’est que ceux qui ont bouleversé l’ordre britannique en votant en faveur du Brexit, le 23 juin dernier, n’ont certainement pas pris la mesure des conséquences de ce choix. La sortie de l’Union européenne va sans doute précipiter dans la récession une économie britannique déjà fragilisée – ce qui pourrait alors conduire à l’éclatement de la Grande-Bretagne. Pendant ce temps, l’Écosse se prépare à un second référendum sur son indépendance. En clair, la crise du Brexit est existentielle.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Dans un contexte d’austérité, d’incertitude du marché du travail, de fracture sociale, d’inégalité et de fragilité économiques, la propension à tenir les autres pour responsables peut devenir irrésistible. Parmi ces « autres », on trouve les travailleurs immigrés avec qui les nouveaux « précaires » se sentent en compétition face à la pénurie d’emplois, par ailleurs mal rémunérés. Mais aussi les eurocrates de Bruxelles qui n’ont pas su anticiper la crise de la zone euro et ont plongé l’Europe du Sud dans la misère tout en compliquant les mouvements des travailleurs immigrés au sein de l’Union. Enfin, parmi lesdits « responsables » figurent la classe politique et leurs experts qui prétendent savoir ce qui est le mieux pour nous…

La volonté de Brexit, en d’autres termes, était forte. Elle l’a été d’autant plus chez ceux qui rejetaient les discours alarmistes de ces mêmes experts : critiqués pour n’avoir vu les précédentes crises survenir, ces derniers ont tenu à être les premiers, cette fois-ci, à alerter des dangers d’un vote en faveur du Brexit, une perspective qui leur paraissait inéluctable. Hélas, il semble bien que, dans ce cas précis, ils aient vu juste.

Où en est la Grande-Bretagne ?

En un mot comme en mille, dans les limbes. Elle semble avoir pénétré dans une sorte de zone transitoire, à l’instar du célèbre « équilibre catastrophique » de Gramsci. C’est le moment – souvenez-vous – où l’ancien est en train de mourir alors que le nouveau n’est pas encore né – période où l’on retrouve « une grande diversité de symptômes morbides ».

Ce qui surprend le plus, c’est que de nombreux chefs de file du camp du « Leave » – en particulier Boris Johnson – semblent bloqués dans une phase de déni mêlé de stupéfaction depuis le référendum. Les partisans du Brexit commencent à réaliser que leur vote pourrait ne pas tourner à leur avantage. C’est le cas, paradoxalement, de nombreux défenseurs fervents du « Leave », dont Johnson lui-même donc.

Mais revenons aux experts, qui pourraient profiter de ce contexte pour prendre leur revanche. Ils semblent opérer une subtile marche arrière sur les revendications fondamentales liées au Brexit, ainsi que sur la physionomie possible de la sortie de l’UE. Les principaux « brexiteurs » du parti conservateur s’efforcent ainsi de se montrer conciliants afin d’obtenir l’accès au marché unique européen comme base de négociation des futures relations entre la Grande-Bretagne et l’Europe – peu importe les concessions qu’elle devra accepter sur l’immigration.

Il y a, bien sûr, une logique économique à l’œuvre derrière cela – la vengeance des experts, en quelque sorte –, mais aussi un vrai risque politique : en effet, l’UE n’autorisera l’accès privilégié au marché unique qu’à condition que la Grande-Bretagne respecte la liberté de circulation des travailleurs immigrés. Or c’est justement pour rejeter une telle possibilité que la plupart des « brexiteurs » pensaient voter, suivant ce que leur a fait croire la campagne pro-Brexit. Leurs attentes ne seront donc pas faciles à satisfaire.

Car, avouons-le franchement : ils se moquent bien des échanges commerciaux. Ce qui leur importe, c’est l’immigration. Par conséquent, plus la situation de Brexit ressemblera à celle que connaissait autrefois la Grande-Bretagne membre de l’UE, moins la volonté d’en sortir aura été satisfaite, et moins ceux qui ont voté pour le Brexit auront le sentiment d’avoir été entendus.

Cela ne peut que générer plus de compétition politique, opposant ceux qui affirment exprimer la voix « authentique » du Brexit, et qui tiennent à la faire pleinement respecter, à ceux qui ont été convaincus par la possibilité d’un « Brexit allégé ». Il est facile de deviner de quel côté de la barrière UKIP se positionnera – même sans son ancien leader, Nigel Farage – et comment il saura exploiter à son profit ce nouveau paysage politique.

Qu’en est-il du traumatisme brexistentiel ?

La situation est critique. L’Écosse et l’Irlande du Nord ayant clairement voté pour rester dans l’UE, il paraît difficile de concevoir le Brexit sans un éclatement consécutif de la Grande-Bretagne – bien que le résultat d’une telle séparation soit encore plus difficile à imaginer.

Prenons l’Écosse – la situation géographique empêchant de cerner correctement la complexité du scénario post-Brexit pour l’Irlande du Nord. Si le vœu de la majorité de ses habitants est exaucé, alors l’Écosse restera dans l’Union européenne. Or, ce ne sera possible qu’en rompant avec l’union britannique.

Cette rupture pourrait se dérouler de deux façons. Premier scénario, peu probable selon moi, Bruxelles respectera le souhait de l’Écosse – comme certains membres de la Commission européenne l’avaient suggéré avant le vote. Dans ce cas, c’est le vote pro-Brexit lui-même qui produira de facto l’indépendance – puisque l’Écosse restera soumise à la législation européenne, tandis que le reste de la Grande-Bretagne ne le sera pas. Dès lors, la souveraineté sur les domaines de compétences concernés sera transférée de Westminster à Holyrood (siège du Parlement écossais). Dans un tel cas de figure, l’indépendance de l’Écosse se produira sans besoin d’un référendum.

Mais ce qui paraît acceptable au nord de la frontière anglo-écossaise est peu probable au sud. D’ailleurs, les voix favorables à cette option au sein de la Commission européenne se sont tues depuis la publication des résultats du vote. D’où la seconde option, quasi incontournable : un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse.

Alyn Smith, député écossais au Parlement européen, demande à l’UE de ne pas laisser tomber l’Écosse.

Les répercussions de tout cela sont considérables. Une « post-Grande-Bretagne » n’est pas une perspective séduisante ni politiquement, ni économiquement parlant – sans même parler des dommages collatéraux sur le continent européen et au-delà. Par ailleurs, l’Angleterre et le Pays de Galles semblent lancés dans une interminable querelle sur la nature même du Brexit, tandis que leur économie part en lambeaux. Et pendant ce temps, l’Écosse – et vraisemblablement l’Irlande du Nord – font face à un avenir incertain, essayant de s’adapter à un Espace économique européen « post-britannique » qu’ils n’ont pas choisi de leur plein gré.

Traduit de l’anglais par Diane Frances.

par Colin Hay (eng.), Professeur de sciences politiques - Centre d'études européennes

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Légende de l'image de couverture : Pikakoko, CC BY-NC-ND 2.0