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08.04.2022

L'immigration : problème politique insoluble ou sujet symbolique ?

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(crédits : ©asiandelight_Shutterstock)

Le 30 mars 2022, les professeurs James Hollifield, Nonna Mayer et Virginie Guiraudon, se sont réunis pour évoquer la question de l'immigration dans le cadre du contexte politique actuel. Cette discussion interculturelle organisée par le Centre d'études européennes et de politique comparée (CEE) et l'École d'affaires publiques (EAP) de Sciences Po, a été l'occasion de discuter de l'appréhension politique de la notion d'immigration et de son instrumentalisation dans le discours politique.

Comme souligné par la présidente de séance, Virginie Guiraudon, directrice de recherche CNRS au CEE de Sciences Po, dans ses propos introductifs, "l'immigration est un marqueur idéologique", mais la question demeure : est-elle révélatrice de comportements réels de vote ? Dans un contexte politique de plus en plus polarisé où les taux d'abstention ont atteint des niveaux sans précédent, les experts ont analysé ce phénomène pour tenter d’y donner un sens et établir des liens avec le sujet de l'immigration.

Le cadrage politique de l'immigration

Comme l’on peut s'y attendre, l’appréhension du thème de l'immigration varie radicalement selon les partis et les affiliations politiques. De plus, le poids du sujet lui-même pour les électeurs - selon James Hollifield, Ora Nixon Arnold Professor en économie politique internationale et directeur du Tower Center à la Southern Methodist University (SMU) à Dallas (Texas) et professeur invité à l'Institut d'études avancées (IAS) de Paris, et Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CEE de Sciences Po - n'est peut-être pas aussi important que sa représentation dans les médias. Au cours de la discussion, Nonna Mayer a analysé le contexte politique français en matière d'immigration, affirmant que "l'offre et la demande politiques" de discussions sur ce sujet "sont totalement inégales"; soulignant par là même, les façons dont le système politique est déconnecté des intérêts des électeurs et électrices. Pour elle, la question la plus importante pour les Français est très éloignée de celle de l'immigration : "le pouvoir d'achat est la principale préoccupation, suivi de la santé. L'immigration vient beaucoup plus tard."

James Hollifield s'est rallié à cette idée, notant que cette tendance n'est pas propre à la culture française. Selon lui, du point de vue des États-Unis, "l'immigration ne fait pas partie des dix principaux problèmes des électeurs", l'économie et la santé ayant plutôt tendance à retenir l'attention des électeurs américains. Selon les deux intervenants, le seul groupe pour lequel l'immigration est la question la plus importante est la droite, et plus spécifiquement, l'extrême droite.

Pourtant, si l'immigration n'est pas l'un des sujets les plus importants pour l'électeur ou l’électrice moyen, pourquoi reste-t-elle l'un des sujets les plus discutés ? Selon Nonna Mayer, le problème réside dans "l’appréhension de la droite et de l'extrême droite" par les médias. Comme elle l'a noté, "on n'entend plus la perspective de la gauche", ce qui a conduit à une couverture biaisée des élections. Le fait que la droite soit plus présente dans les médias a donné l'impression que l'immigration était l'un des thèmes les plus importants de l'élection, alors que les statistiques utilisées tout au long de l'événement suggéraient le contraire.

"La question de l'immigration imaginée"

L'idée d'une "question d'immigration imaginée", mise en avant par Nonna Mayer, pointe vers la manière dont les discours politiques ont exploité les peurs économiques et culturelles pour créer un spectre de l'immigration. Bien qu'elle puisse être imaginée, selon Nonna Mayer, "la menace imaginaire est aussi importante que la menace réelle", dans la mesure où elle a toujours une influence sur les opinions et les discours politiques. "Les récits migratoires ont un impact sur les attitudes, les opinions et parfois même sur le comportement électoral'' a noté, pour sa part, Virginie Guiraudon. 

Qu'est-ce qui est, alors, à l'origine de cette menace imaginaire ? Selon Nonna Mayer, une réponse possible est que "la droite se présente comme les défenseurs des perdants de la mondialisation", s'appuyant sur des préoccupations économiques ("ils prennent nos emplois") et des craintes culturelles ("ils prennent le pouvoir"), toutes encadrées par le discours politique conservateur. James Hollifield a développé cette idée en ajoutant la perspective des États-Unis, en utilisant l'idée d'anomie de Durkheim – la théorie selon laquelle l'absence de normes communes dans une société résulte en une désorganisation sociale - pour comprendre les raisons de la montée des candidats d'extrême droite. "Dans les sociétés d'aujourd'hui, nous observons des niveaux très élevés d'anomie, en particulier parmi les personnes de la classe ouvrière, parce que les vies qu'elles connaissaient ont disparu", a précisé le professeur américain Pour lui, la phrase souvent employée par la classe ouvrière des États-Unis, "ce n'est plus mon pays", est une expression de cette anomie, qui consiste à avoir le sentiment que, selon ses termes, "votre monde a été mis sens dessus dessous et à l'envers".

Ce sentiment croissant d'aliénation a été de plus en plus repris par l'extrême-droite pour être utilisé à des fins politiques. James Hollifield a fait référence à l'ascension de Trump au pouvoir, affirmant que l'homme politique "savait comment exploiter cette anomie", soulignant "l'augmentation des inégalités, le sentiment d'être laissé pour compte", la sensation que "personne ne parle en mon nom" qui étaient en jeu dans l'élection de 2016. Comme le note Hollifield, "il ne fait aucun doute que Trump a comblé un vide politique" - un vide qu'il a tenté de soulager en stigmatisant les immigrants. De même, pour Nonna Mayer, en France "Zemmour et Le Pen pèsent sur l'élection", donnant l'impression que la France fait une fixation sur les questions d'immigration, alors qu'en réalité, c'est surtout l'extrême droite qui se mobilise sur cette question.

Une tendance à la tolérance

Comme l'a souligné Nonna Mayer, selon le Baromètre racisme de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), "l'opinion sur les immigrés et les minorités s'est améliorée au fil du temps". S'appuyant sur des statistiques tout au long du débat, elle a illustré que cette tolérance est liée au renouvellement des générations, c'est-à-dire que "chaque nouvelle cohorte est plus tolérante que la cohorte précédente", ainsi qu'au niveau d'éducation des électeurs. Statistiquement, le renouvellement des générations et une société qui devient plus progressiste sont deux facteurs qui contribuent à augmenter l'indice de tolérance ; "la France est devenue une société plus multiculturelle", ce qui joue également un rôle important dans le changement observé.

Lorsqu'il s'agit du contexte des États-Unis, la situation semble être tout à fait similaire. "Les États-Unis ne sont pas aussi contrariés par l'immigration qu'on pourrait le croire", a précisé James Hollifield. Ce fossé apparent entre l'opinion publique et les discours politiques, indique une crise au sein même des partis politiques. Pour Nonna Mayer, "les élites politiques sont en désaccord avec l'opinion publique et les demandes des électeurs".

Dans le contexte politique actuel, quatre Français sur dix ne savent toujours pas pour qui ils vont voter, ce qui, comme souligné par Virginie Guiraudon, constitue un record. Pourtant, en ce qui concerne la question de l'immigration, les statistiques montrent que l'on passe progressivement à un taux de tolérance plus élevé et que les immigrés sont mieux acceptés. À l'heure où la France s'apprête à choisir son nouveau président, il peut donc être utile de garder à l'esprit que ce qui est dépeint dans les médias ne reflète pas toujours l'opinion des électeurs et électrices.

L'équipe éditoriale de Sciences Po

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