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11.10.2016
“Snowden a montré une autre réalité d'internet”
L'internet change-t-il vraiment notre rapport à la politique ? S’il est l’occasion d’un nouvel activisme en dehors des partis politiques, en quoi améliore-t-il le processus de décision? A l’occasion du colloque “Refaire la démocratie” le 6 & 7 octobre à l’Assemblée nationale, Thierry Vedel, chercheur au CEVIPOF Sciences Po revient sur les enjeux du numérique. Interview
L'internet change-t-il notre rapport au politique ?
Internet pénètre toutes les dimensions de la société, a fortiori, le politique. Depuis une vingtaine d’années, l’internet a généré de nouvelles interactions entre acteurs politiques et citoyens. Les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) ont ouvert de nouveaux espaces d’expression. Pour autant, l’internet a-t-il changé en profondeur les systèmes politiques? A-t-il élargit significativement l’espace public, notamment en intégrant davantage les jeunes citoyens? Et en quoi les informations qui circulent sur internet aident à se forger une opinion, à s'engager et à débattre ? L’économiste Julia Cagé a démontré que 75 % des informations que l’on trouve sur internet est de l’information recyclée.
Pourtant, la façon de faire de la politique a changé ?
La communication politique s’est adaptée aux nouveaux outils numériques. Lors d’une campagne électorale, les candidats sont présents sur tous les réseaux sociaux. Le militant dévoué qui colle des affiches appartient au passé. Aujourd’hui, est apparu un nouvel activisme en ligne. Mais de quel engagement s’agit-il ? Certains comme le chercheur Evgeny Morozov critiquent ce “clicktivism”, la pratique qui consiste à signer des pétitions en ligne ou à rejoindre des groupes Facebook sans réellement s'impliquer. Enfin, le vote électronique perçu comme un symbole de la nouveauté lié aux nouvelles technologies, me paraît difficilement envisageable pour les grandes élections aux enjeux importants.
L'internet n’est-il pas un lieu de débats et de discussions ?
Jamais dans l’histoire de l’humanité il n’a été aussi facile de diffuser ses opinions. Le problème aujourd’hui n’est pas de s’exprimer mais d’être entendu. Les réseaux sociaux servent de supports à des conversations politiques qui ont toujours existé, mais qui autrefois n’étaient pas visibles. Toutefois, les réseaux sociaux ne sont pas forcément représentatifs de ce que pense l’ensemble de la population. Sur 85 % d’utilisateurs réguliers d’internet, ⅔ utilisent Facebook et 15% sont sur Twitter. Parmi ceux-ci, 35% seulement suivent les débats politiques. Les réseaux sociaux constituent certainement une nouvelle arène politique, mais qui n’est pas un reflet de la société et qui draine également des idées racistes ou liberticides.
L'internet est aussi un outil de surveillance…
C’est ce qu’a montré Snowden. Le fantasme paranoïaque d’un État qui nous surveille est devenue une réalité avec l’internet. Et il s’agit ici d’une surveillance de masse. On voit bien ici comment l’internet est un système ambivalent qui apporte à la fois des bénéfices et des menaces. Prenez l’exemple de l’Open data. Il s’agit de permettre l’accès à de gigantesques stocks de données pour promouvoir une plus grande transparence de l’action publique. Mais paradoxalement, l’outil peut être utilisé pour rendre l’action publique plus opaque en submergeant les citoyens d’informations. Ce qui importe plus que l’accès aux données, c’est leur intelligibilité.
Comment ?
Les cartes, les graphiques, tout ce qui est dynamique, interactif, de l’ordre de la visualisation permet ce nécessaire décryptage. On a besoin d’un filtre qui explique et met à distance l’information. En cela, le journalisme n’est pas mort. Même dans une société numérique qui facilite la communication directe, nous avons besoin de médiateurs - journalistes, associations, syndicats, etc. - qui synthétisent, traduisent, structurent et bien sûr portent un regard critique sur un environnement informationnel de plus en plus complexe.
En savoir plus
- Le site du Cevipof
- Thierry Vedel, chercheur CNRS au CEVIPOF