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03.02.2016

"J'ai fait mon année de césure en zone de guerre"

Étudiant à l’École de journalisme de Sciences Po, Pierre Sautreuil suit son master 2 en apprentissage au sein de l’Agence France Presse. Son année de césure, il l’a passée en Ukraine sur le front, avec les séparatistes pro-russes. Une expérience de reporter de guerre à 21 ans qui lui a valu le prix Bayeux Calvados du Jeune reporter en octobre 2015. Rencontre.

Comme beaucoup d’étudiants qui entrent à Sciences Po, avez-vous toujours eu envie de devenir journaliste ?

Pierre Sautreuil : En fait, je n’ai jamais eu de “vocation” pour le journalisme. Pour moi, c’est un métier, pas une vocation : je me méfie de cette mystique de la profession... J’ai grandi dans un milieu où on consommait peu de médias, j’ai commencé très tard à m’informer : je n’étais pas du genre à citer Albert Londres comme gourou en arrivant (ndlr : célèbre journaliste du début du XXeme siècle). En fait j’y ai pris goût en intégrant l’équipe de La Péniche en 1ère année (le journal des étudiants). Des lectures et des discussions ont fait le reste.

Comment est né votre intérêt pour la Russie ?

P. S. : J’ai commencé le russe en 2è année à Sciences Po. Pour l’année à l’étranger, j’ai procédé par élimination : je voulais aller plus loin que l’Europe proche, mais dans un pays où je ne porterais pas ma condition d’étranger sur le visage. Et en voyant la Russie sur la carte, je me suis dit : voilà un immense territoire sur lequel nous avons d’immenses préjugés. J’ai eu envie de découvrir cette réalité de mes propres yeux, et je suis parti à l’université MGIMO (Moscow State University of International Relations) de Moscou pour la 3è année à l'étranger. Je n’ai pas été déçu : c’est un pays fabuleux.

Comment s’est déroulée cette année à Moscou ?

P. S. : La formation en langues à MGIMO était passionnante, de même que les cours de philosophie russe ou de relations internationales. J’ai fait aussi du reportage : je considère que c’est le meilleur moyen de découvrir un pays et de sortir du milieu des expatriés. Pour entrer en master à l’École de journalisme, je me suis appuyé sur cette expérience et j’ai défendu mon projet : continuer à faire du reportage sur l’Europe de l’Est et l’espace post-soviétique.

Après avoir intégré l’École de journalisme, vous avez souhaité compléter votre apprentissage en partant en année de césure avant le master 2 ?

P. S. : Oui, j’avais envie d’approfondir cette spécialisation et de pratiquer le russe. Je voulais multiplier les stages en rédaction pour mettre plus de chances de mon côté après le diplôme. J’ai commencé mon année de césure en mai 2014 à Moscou, par un stage au Courrier de Russie...qui s’est terminé prématurément en raison d’un gros désaccord sur la ligne éditoriale. Autrement dit, je me suis retrouvé sans visa en juin, avec trois jours pour quitter le pays. On m’a alors conseillé de partir en Ukraine, et c’est ce que j’ai fait.

Votre année de césure a alors pris un cours bien différent de ce que vous aviez prévu...Vous devenez correspondant sur la zone de conflit à l’Est de l’Ukraine.

P. S. : Oui, j’avais remarqué que les hebdomadaires n’avaient pas de correspondants sur place. J’ai couvert pour l’Obs le conflit entre les séparatistes pro-russes et l’armée ukrainienne. Au total, j’ai passé 7 à 8 mois de cette année de césure en Ukraine, et 3 à 4 mois en zone de guerre. J’y ai vécu l’épreuve du feu, à tous les sens du terme. Je me suis retrouvé à 21 ans au milieu d’une guerre qui est aussi une guerre d’information : c’est l’expérience professionnelle la plus formatrice que j’ai pu vivre.

Qu’avez-vous appris sur le métier de journaliste ?

P. S. : Dans ce genre de contexte, c’est rumeur sur rumeur. Il faut savoir s’écouter et écouter les autres. Discuter avec les autres journalistes présents sur place est vital. Il faut vérifier tout ce que l’on vous dit, ne jamais publier quoi que ce soit sans avoir trois sources concordantes. Et il faut bien sûr apprendre à évaluer le danger, et prendre des décisions très vite en gardant la tête froide. Mes vrais modèles en journalisme, je les ai découverts sur le terrain : les reporters que j’ai rencontré sur place m’ont beaucoup aidé. Ils sont devenus des amis. Sans cette solidarité, je n'aurais pas réussi à tenir.

Après avoir vécu pareille aventure, est-ce que cela a été difficile de revenir sur les bancs de l’école en septembre dernier ?

P. S. : Cela n’était pas évident. Le jour de la rentrée, un photographe que je connais s’est fait blesser là-bas. Je me suis demandé ce que je faisais ici. Et aussi parce que j’avais envie de continuer à apprendre par la pratique : c’est pour cela que j’ai choisi de faire mon master 2 en apprentissage. Pour la suite, je n’ai pas de plan de carrière, mais ce qui est sûr, c’est que je veux continuer à faire de la presse écrite, et à couvrir l’international. Mon expérience en Ukraine m’a rendu plus optimiste pour la suite : travailler à la pige ne condamne pas nécessairement à la précarité, comme on l'entend si souvent.

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Légende de l'image de couverture : @Ukraine Crisis Media Center