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04.08.2016

“J’ai une liberté ici que je n’avais pas chez moi”

Arsh Haque est américain et a rejoint le Master Politiques Publiques de l'École d’affaires publiques de Sciences Po en septembre 2015. Il nous raconte ce qui l’a motivé à venir étudier en France et sa vie quotidienne à Paris.

Qu’appréciez-vous le plus dans la vie étudiante à Sciences Po ?

La diversité du corps étudiant ! Avant d’arriver à Sciences Po - quand j’étais encore en Caroline du Nord - j’étais allé à une conférence sur la littérature dystopique* (ou de contre-utopie, ndlr). On y discutait d’une forme classique de récit, qu’on retrouve notamment dans Vingt Mille Lieues Sous Les Mers. En gros : vous rassemblez un scientifique, un marin harponneur, un domestique nommé “Conseil”, et vous embarquez ce groupe hétéroclite dans une mission colossale.

C’est exactement le sentiment que m’a procuré mon arrivée à Sciences Po ! Vous rencontrez des anciens employés de la Banque Centrale, des philosophes de comptoir, des gens du Nigéria, de Tokyo, Mexico ou Oxford, des étudiants de toutes convictions politiques. Des personnes en tous points différentes qui partagent la même ambition : rendre le monde meilleur.

Entre la pluralité des identités et la singularité de l’objectif, cela devient une véritable aventure de travailler aux côtés de ces étudiants ! Une aventure que j’apprécie chaque jour. Je vais en cours et je fais la fête en sachant pertinemment que c’est avec ces camarades que je me battrai pour la bonne cause le moment venu.

Pourquoi avoir décidé d’étudier en France, et pourquoi avoir choisi Sciences Po ?

Mon père m’a appris à appliquer les techniques de management de la prise de décision. Il s’agit, pour chaque opportunité, de visualiser la chaîne de valeur et de réaliser une analyse coûts-bénéfices. L’opportunité Sciences Po a su me convaincre : l’école combinait histoire et prestige et offrait le capital social nécessaire pour apprendre réussir ses négociations, ses candidatures, et se construire un réseau.

Quant à l'École d’affaires publiques, elle était animée par la fougue d’un programme tout juste créé, et portait l’ambition de sauver le monde sans pour autant tomber dans l’écueil de la naïveté. L'École vantait aussi la diversité internationale des étudiants, ce qui permet de vivre l’expérience de la mondialisation au quotidien, et pas seulement à travers les enseignements.

Ma mère m’a appris l’intuition. Elle m’a appris que les plus grands acteurs politiques sont en fait des artistes, et que l’esprit d’entreprise se nourrit de la Beauté. Ce n’était pas juste Sciences Po que je venais chercher, c’était aussi Paris et la France. Je viens d’une région américaine, avec ses collines, ses champs de tabac et ses métropoles qui s’étendent sur des kilomètres. J’ai choisi d’étudier à Sciences Po pour me plonger dans une esthétique nouvelle. Paris est une machine à remonter le temps : une promenade sur les bords de la Seine suffit pour se replonger au cœur des révolutions artistiques qui ont façonné les siècles. C’est la rencontre entre ces deux visions du monde qui m’a amené ici.

Qu’est-ce qui vous a surpris et que vous n’aviez pas anticipé avant d’arriver en France ?

J’ai une liberté ici que je n’avais pas chez moi. Dans ma précédente école, quand j’imaginais de nouvelles approches, de nouvelles façons de réaliser des choses inédites, je dépensais l’essentiel de mon énergie à essayer de convaincre l’administration de donner suite à mon idée. À Sciences Po, les responsables pédagogiques et les professeurs vont directement m’aider à réfléchir sur les moyens de mettre en oeuvre mon idée.

En Caroline du Nord, si je veux changer d’air, je dois dépenser beaucoup d’essence et passer au moins six heures dans une voiture. Ici il suffit de prendre le métro pour qu’un nouveau monde s’offre à nous. A moins de cinq minutes à pied de mon appartement parisien, il y a cinq magasins bio, quatre magasins de vélos et deux restaurants de sushi...Et peux traverser toute cette métropole cosmopolite en chevauchant mon Vélib’. Il y a tellement de contraintes et de codes que je croyais immuables et qui n'existent tout simplement pas à Paris !

Y-a t’il des choses auxquelles vous avez eu du mal à vous adapter ?

Je ne parle pas un mot de français. Et au cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué, je suis un habitué des longues tirades interminables en anglais... un peu comme dans les romans de Virgina Woolf. Cela a donc été un challenge pour moi de ne pas pouvoir utiliser le vocabulaire que je souhaitais, et de voir tous mes outils de communication amputés. Tenir une discussion mondaine est devenue un travail herculéen, tout comme ouvrir une ligne téléphonique ou un compte bancaire. Il fallait que je me concentre très fort sur ce que je souhaitais dire et trouver quelques mots de français pour exprimer mon idée, au lieu d’entamer un long discours d’éloquence comme je l’aurais fait en anglais.

Cette lutte langagière m’a fait grandir. C’est difficile, mais très enrichissant d’apprendre à compter sur les autres, sur leur gentillesse et leur capacité à vous comprendre. C’est formateur aussi d’apprendre à parler plus simplement.

Que souhaitez-vous faire après avoir obtenu votre diplôme ?

J’aimerais m’engager dans le domaine de l’apprentissage innovant, des enseignements qui cherchent à développer des compétences comportementales et une pensée critique. Je voudrais montrer que l’éducation, c’est bien plus que des notes et des examens. Je souhaiterais montrer qu’il existe des programmes éducatifs qui construisent la démocratie, la santé et la richesse de la prochaine génération. Je veux quantifier les conséquences de l’éducation sur le bien-être, et aider à développer et financer les meilleures méthodes éducatives. J’ai déjà pré-sélectionné quelques programmes de doctorat et quelques ONG qui pourraient m’y aider.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants étrangers qui voudraient venir étudier en France ?

Vous ne serez jamais rassasié ! Gardez des moments “pour vous” pendant lesquels vous pourrez respirer, mais aussi vous perdre dans la ville et le pays. Laissez-vous entraîner par le hasard des rencontres et des opportunités, saisissez au vol l’opportunité du stage que vous pourrez prolonger en année de césure, construisez votre réseau en France pour pouvoir y revenir pour plusieurs années ensuite ! Ne vous pressez pas, ne brûlez pas les étapes, au risque de vous retrouver frustré et  muni d’un billet de retour non-remboursable...

Mais avant tout, ce qui compte, c’est d’arriver !  

*Une dystopie, également appelée contre-utopie, est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur. Une dystopie peut également être considérée comme une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie. L'auteur entend ainsi mettre en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie (ou d’une pratique) présente à notre époque. Source : Wikipedia.

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