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09.05.2016
Jean-Claude Casanova, "l'intellectuel pluridisciplinaire", président de la FNSP de 2007 à 2016
Économiste et intellectuel libéral, Jean-Claude Casanova, à qui Olivier Duhamel vient de succéder à la présidence de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), a participé à tous les aspects de la vie de Sciences Po, où il a enseigné dès 1963. Fervent défenseur de l'autonomie universitaire et de l'originalité du projet éducatif de Sciences Po, il quitte la présidence de la FNSP qu'il assurait depuis 2007. Portrait.
Premier économiste à accéder à la présidence de la FNSP, Jean-Claude Casanova est, comme ses prédécesseurs, un « universitaire pluridisciplinaire… économiste d’appellation contrôlée, juriste patenté – avocat à la cour suivant la tradition paternelle – politiste nourri aux finesses de la vie politique insulaire autant qu’à celles de cabinets ministériels, historien omniscient, philosophe formé à la dure férule de son maître Aron », ainsi que le décrivait Alain Lancelot, directeur de Sciences Po de 1987 à 1996.
Une vision libérale et plurielle de la culture
Élève de la faculté de droit et de l’IEP de Paris, Jean-Claude Casanova est titulaire de trois DES (économie politique, sciences économiques, droit romain et histoire du droit). Docteur et agrégé de sciences économiques, il enseigne à Dijon et Nancy, avant d’être nommé professeur à Sciences Po en 1969. Œcuménique dans ses amours intellectuelles, il professe avec autant d’allant l’économie politique, les relations internationales et la philosophie politique. Lecteur insatiable et homme d’érudition et de culture, « il a un sens extrêmement aigu de tout ce sur quoi repose ce savoir : les bibliothèques, la documentation », soulignait l'historienne Hélène Carrère d'Encausse lors d'un Conseil d'administration de la FNSP en 2007. Cette vision libérale et plurielle de la culture, il la pratique dans ses activités éditoriales, au sein de la revue Commentaire qu’il a contribué à créer en 1978, et à l’Académie des sciences morales et politiques qui l’a accueilli en 1997. Intellectuel libéral, il veille sur l’héritage intellectuel de Tocqueville, d’Elie Halévy et de son maître Raymond Aron dont il supervise les rééditions.
Jean-Claude Casanova a « participé à tous les aspects de la vie de la Fondation et de l’IEP », résumait René Rémond, président de la FNSP de 1981 à 2007. Diplômé de Sciences Po en 1957, il préfère la section Générale à la section Service public. Étudiant de la première heure du Troisième cycle d’études politiques, il compte parmi les tous premiers assistants recrutés en 1958 par le CERI où il assiste Raymond Aron aux côtés de Pierre Hassner. Il enseigne à l’IEP comme maître de conférences dès 1963 puis comme professeur titulaire en 1969, en charge du grand cours d’économie en Année préparatoire. Il est nommé directeur d’études en 1966 et directeur du SEAE, l’unique centre de recherche en économie de la FNSP, en 1967. Très tôt associé aux instances dirigeantes de la maison, il entre au Conseil d’administration de la FNSP en 1971 et en rejoint le groupe des Fondateurs en 1996 et la stratégique Commission des finances. « C’est dire qu’il a une très bonne connaissance de l’ensemble » !, soulignait René Rémond en 2007.
L'indépendance de Sciences Po, clé du succès et gage de l'avenir
Cette connaissance le portera à la présidence de la FNSP en janvier 2007 avec un programme en trois points : d’abord « maintenir l’indépendance de la maison. Elle est essentielle… elle a permis les succès du passé… je pense qu’elle est le gage de l’avenir » ; ensuite, incarner « la fidélité à l’histoire de cette maison » ; enfin défendre la « pluridisciplinarité… Il faut que Sciences Po soit à la fois une institution dans laquelle on se spécialiste et une institution dans laquelle la formation en général, la culture générale, la connaissance de l’histoire en particulier permettent de lier les spécialisations entre elles et de les regarder avec plus de recul. »
Universitaire politique, compagnon de route des partis libéraux de centre droit, Jean-Claude Casanova est un proche de Raymond Barre qui a été son professeur à Tunis et qu’il suit au cabinet ministériel (1959-1961) de Jean-Marcel Jeanneney, lui-même protecteur à Sciences Po. Conseiller pour l’enseignement supérieur du ministre de l’Éducation nationale Joseph Fontanet (1972-1974), il obtient pour l’IEP l’habilitation à délivrer des doctorats en 1974. Conseiller du Premier ministre Raymond Barre (1976-1981), il obtient pour l’IEP des postes de professeurs des universités contribuant ainsi au développement d’un corps enseignant permanent. Ce sont encore ses interventions qui permettent l’augmentation substantielle des indemnités pour les professeurs vacataires (1979) et le rattachement de l’OFCE à Sciences Po en 1980-1981. Membre du Conseil économique et social (1994-2004) et du Conseil d'analyse de la société (2004-2008), cet économiste « multipositionné » mobilise sans cesse ses réseaux politiques et administratifs au service de Sciences Po.
"Je ne connais pas de plus belles institutions que les grandes universités américaines"
« Sa vision d’ensemble de ce que doit être une institution universitaire », Jean-Claude Casanova la doit aux trois expériences fondatrices des facultés de droit, du voyage américain et de la gestion ministérielle. Des facultés de droit, il retient certes l’idéal pluridisciplinaire mais également les travers d’un système facultaire inachevé et les écueils d’une autonomie universitaire formelle. Observateur-participant des mutations de l’enseignement supérieur, il pourfend l’« indéniable faiblesse française en matière d’institutions du savoir », caractérisée par la centralisation et l’uniformité, et défend avec acharnement l’indépendance de la Fondation qu’il préside face à toute intervention ministérielle. De son séjour américain, effectué à Harvard en 1958, il garde un souvenir ébloui – « Je ne connais pas de plus belles institutions que les grandes universités américaines » – et il érige en modèle les « vraies universités au sens propre du terme : autonomes, pluridisciplinaires et riches ». Il sera un fervent supporter des initiatives visant à accroître l’autonomie de Sciences Po, telles l’augmentation des droits de scolarité, les transformations du statut des enseignants-chercheurs ou la constitution d’un capital (endowment). Il a été aussi l’un des plus fervents partisans de la politique d’ouverture internationale prônée par Richard Descoings, « une des plus grandes satisfactions que j’ai éprouvées ».
par Marie Scot, chercheure au Centre d'histoire de Sciences Po