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18.04.2017

La Boussole présidentielle : une arme contre l’indécision

Dans cette campagne où le débat de fond a bien souvent fait les frais des révélations sur les affaires, la Boussole présidentielle mise au point par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en partenariat avec 20 Minutes, a déjà aidé plus d’un million de citoyens à retrouver le cap. Un outil scientifique et civique qui replace les programmes au centre du jeu. Explications avec Thomas Vitiello, doctorant au Cevipof, qui travaille sur l’outil depuis 2012.

À quoi sert la Boussole présidentielle ? Comment l’avez-vous mise au point ?

Thomas Vitiello : C’est de la science politique appliquée ! Il s’agit tout d’abord d’un site d’aide au vote qui rend service au citoyen et c’est aussi un outil de recherche en science politique. La Boussole présidentielle compare les positions des utilisateurs avec celles des candidats à l’élection présidentielle. Les utilisateurs sont ainsi positionnés dans un espace politique bidimensionnel en fonction de leurs réponses et peuvent comparer leur positionnement à celui des candidats. La Boussole présidentielle n’est pas un jeu, mais il faut tout de même qu'elle soit ludique et plutôt simple pour être utilisée par le plus grand nombre possible d’électeurs. L’élément central de la Boussole présidentielle est la représentation graphique des résultats. Une équipe de chercheurs a construit un espace politique à deux dimensions : une dimension socio-économique et une dimension culturelle.

Comment sait-on que ce sont ces deux dimensions qui structurent nos choix politiques ?

T. V. : Ce sont les études électorales menées en France et en Europe depuis vingt ans qui nous l’enseignent : la première dimension, qui oppose l’interventionnisme étatique au libéralisme économique, continue de structurer les débats. C’est le clivage droite-gauche classique centré autour de la question de la redistribution des richesses. Mais depuis les années 70-80, une nouvelle dimension culturelle est apparue et contribue à structurer les clivages politiques. Cette dimension fait intervenir les valeurs, entre progressisme et conservatisme. Elle concerne des sujets tels que l’autorité, les moeurs, l’immigration, l’écologie, le sentiment d’appartenance, l’euthanasie ou encore la question européenne. Une fois qu’on a défini cet espace politique à deux dimensions, on établit la liste des enjeux à inclure dans la Boussole.

Comment avez-vous ensuite positionné les candidats ?

T. V. : Pour cette étape, l’équipe de chercheurs a analysé point par point les programmes des partis. Sur chacun des enjeux de la Boussole présidentielle, on positionne les candidats. Et on justifie chacune de ces positions avec des citations précises : ces références, sur chaque enjeu, sont d’ailleurs en accès libre pour tous les utilisateurs sur le site de la Boussole. C’est un travail qui permet de centraliser l’information contenue dans les programmes et, on espère, de remettre un peu de fond dans le débat.

C’est donc pour vous un outil civique ?

T. V. : La Boussole a une mission civique, oui. C’est un outil fabriqué à 100 % avec des idées ! Nous essayons de réinjecter du contenu dans le débat public. Le poids démesuré des affaires nous a fait oublier que les cinq principaux candidats présentent des projets très marqués, des programmes qui, sur le fond, sont très différents les uns des autres. Le climat délétère de cette campagne nous fait passer à côté d’un magnifique débat qui passionnerait les Français ! Nous espérons donc que la Boussole peut éclairer les électeurs sur les positionnements des candidats dans le cadre d’une analyse qui ne se limite pas au seul clivage droite-gauche.

À ce titre, la Boussole est-elle une arme contre l’abstention ?

T. V. : Toutes les enquêtes menées dans les pays où l’effet des sites d’aide au vote a été testé - en Allemagne notamment -  le montrent : ce sont des outils qui permettent de faire diminuer l’abstention, notamment auprès des jeunes. Dans cette élection où l’indécision demeure très forte - comme le montre la dernière vague de l’enquête électorale du Cevipof -, c’est donc plus que jamais un enjeu. Et la Boussole a clairement un effet stimulant sur les électeurs qui s’en servent.

Vous êtes à plus d’1 million de connexions en deux semaines : la Boussole est aussi un trésor pour les scientifiques...

T. V. : Bien évidemment, l’autre grande mission scientifique de la Boussole, c’est de collecter des données pour la recherche. La Boussole n’est pas un sondage car elle ne repose pas sur un échantillon représentatif et ne prétend pas prédire le gagnant de l’élection, mais son grand intérêt, c’est qu’elle permet de collecter des données tous les jours. On suit donc l’évolution en temps réel, de manière très fine, quasiment heure par heure ! Et le nombre de répondants est aussi exceptionnel : plus d’1 million de connexions à ce jour, et plus de 300 000 personnes ont terminé le questionnaire. Cela va nous permettre de faire des analyses approfondies sur des sous-groupes de l’électorat : qui sont les électeurs des  « petits candidats » ? Comment voteront les électeurs de Hollande en 2012 ? Et ainsi de suite. Nous pouvons ainsi dresser des profils et retracer les parcours électoraux de nos utilisateurs. Par exemple, à ce stade de la campagne, près de la moitié des utilisateurs qui ont voté Hollande en 2012 s’apprêtent à voter Macron, tandis que l’autre moitié se partage entre Hamon et Mélenchon.

Ce n’est pas un outil de sondage mais… vous avez tout de même de quoi annoncer une tendance ?

T. V. : L’échantillon ne nous le permet pas. En revanche, le nombre très élevé de répondants quotidiens nous permet d’observer les dynamiques de campagne. Et là, nous observons une dynamique en faveur de Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise, qui se traduit par une hausse des probabilités de vote en sa faveur et une hausse très nette de l’évaluation positive de ses traits d’image : il est de plus en plus perçu comme ayant l’étoffe d’un président de la République. Enfin, l’espace politique de la Boussole présidentielle et les positions des candidats dans celui-ci, nous montrent que cette campagne se caractérise par une forte polarisation de l’offre politique, à la fois sur la dimension socio-économique et sur la dimension culturelle. Les positions de nombreux candidats sont très marquées… et ceci libère de l’espace politique au centre.

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Légende de l'image de couverture : Sciences Po - Thomas Vitiello