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09.03.2017
La campagne… dans la campagne présidentielle
Peu présents dans les programmes des candidats à la présidentielle, les agriculteurs ont vu changer drastiquement leurs conditions de vie et leurs modes de travail ces dernières années. Pour qui leur vote va-t-il pencher ? De l’alimentation à l’écologie, en passant par les enjeux industriels et économiques, comment les candidats répondent-ils à la crise qui les touche ? Martial Foucault et François Purseigle, du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), se sont penchés sur le monde rural. Interview croisée.
À chaque renouvellement de mandat présidentiel, le salon de l’Agriculture offre aux candidats une occasion d’afficher leur intérêt pour les agriculteurs. Quelle est la réalité de cet intérêt ? L’agriculture est-elle réellement représentée dans leur programme ?
Martial Foucault : Le salon de l’Agriculture est un lieu de passage obligé des candidats à une élection présidentielle pour des raisons à la fois historiques et électoralistes. Depuis 1965, les principaux candidats ont foulé le pavé du salon avec plus ou moins d’entrain (une seule visite pour François Mitterrand en mars 1981) ou de fidélité (Jacques Chirac reste le visiteur le plus régulier). L’intérêt de telles visites prend racine dans une France rurale des années 1960 où chaque candidat considérait l’électorat agricole comme un électorat pivot capable de faire ou défaire une élection. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas mais le monde agricole reste attentif aux propositions des partis politiques. En 2017, l’agriculture occupe une portion congrue des programmes des candidats. François Fillon promeut le statut d’entrepreneur pour les agriculteurs pour simplifier leur réalité administrative, thème partagé par Marine Le Pen qui insiste sur le patriotisme économique des produits agricoles sur fond de souveraineté alimentaire. A l’inverse Emmanuel Macron, par la voix de François Patriat, insiste sur un principe de mondialisation agricole où les secteurs agricoles et agroalimentaires doivent gagner en compétitivité par une baisse des charges liées au travail. Quant à Benoît Hamon, il défend une fibre agro-écologique misant sur les circuits courts et les coopératives et un ciblage des aides à fort contenu écologique.
François Purseigle : Les thèmes agricoles sont effectivement peu présents dans les programmes comme dans les discours, et les candidats ont, d’une manière générale, une relative méconnaissance du monde agricole. Cela peut s’expliquer par le fait que peu d’entre eux, désormais, sont issus ou proches du milieu rural. Mais je pense aussi que leurs discours ne sont pas en premier lieu pensés pour séduire le monde agricole. Les politiques préfèrent se positionner sur des thématiques qui séduisent une large partie de l’électorat, comme par exemple le bio et les circuits courts. Mais ces propositions sont en grande partie déconnectées de la réalité des agriculteurs. Même si ce sont indéniablement des voies prometteuses, tous les agriculteurs n’ont pas les ressources pour se reconvertir. Passer en circuit court, par exemple, ce sont souvent des exploitations qu’il faut totalement reconfigurer car ce n’est pas le même type de production. Et puis, il faut être proche des centres urbains pour vendre sa production, aller sur les marchés… Ce n’est pas le même métier. Bref, dire que le bio et le circuit court vont résoudre tous leurs problèmes, c’est un peu simpliste.
Y a-t-il une spécificité du vote des agriculteurs ? Comment a-t-il évolué ?
Martial Foucault : Traditionnellement ancré à droite, le vote des agriculteurs évolue et participe d’un mouvement de défiance vis-à-vis des représentants des partis traditionnels. Selon la dernière vague d'enquête du CEVIPOF (février 2017), Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote au sein de cet électorat, avec 35% des agriculteurs exploitants certains d'aller voter qui disent vouloir lui donner leur suffrage. Viennent ensuite François Fillon (20%), Emmanuel Macron (20%) et Benoît Hamon (18%), tandis que les autres candidats se répartissent les miettes. Par son ampleur, cet engouement de l'électorat agricole pour le Front national est nouveau. Pour la présidentielle de 2012, Marine Le Pen n'avait pas autant d'avance puisque les les agriculteurs avaient voté à près de 20% pour la présidente du FN, soit quasiment dans la moyenne de l'électorat national (18%). Le résultat le plus intriguant concerne le faible taux de participation annoncé des agriculteurs. En février 2017, seule la moitié d’entre eux (48,5%) se déclarent certains d’aller voter. En ce sens, ils se rapprochent du faible taux de participation d’autres catégories socioprofessionnelles elles-mêmes exposées à différentes crises.
On dit le monde agricole en crise, de quelle nature est cette crise ? Quelles seraient les solutions ?
François Purseigle : Si les politiques ont autant de mal à cerner le monde agricole, c’est aussi parce que celui-ci est très éclaté. Il y a une très grande diversité de situations : des niveaux revenus très différents, avec, à la fois des chefs d’entreprise prospères et des gens en situation de pauvreté… mais aussi une coexistence d’agricultures diverses qui font qu’il est très compliqué de construire un programme politique agricole. La crise est en fait multifactorielle. A une crise économique s’ajoute une crise qu’on peut qualifier de morale. La pratique professionnelle des agriculteurs est remise en cause, ils doivent sans cesse s’expliquer sur ce qu’ils font, tout en ayant conscience que, demain, ils pourraient disparaître. Quant aux solutions, il convient de penser et d’accompagner politiquement l’entrée dans le métier mais également le retrait et la sortie. Il faut penser les métiers de l’agriculture comme étant des métiers sujets à la requalification professionnelle. Comme ailleurs, les jeunes qui entrent dans la vie active agricole peuvent aspirer à changer de métier suite à leur installation. Il faut penser l’installation agricole comme une éventuelle étape dans une trajectoire professionnelle. »
Voir les travaux de Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po
Voir les travaux de François Purseigle, directeur du département de Sciences économiques, sociales et de gestion de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse (INP-ENSAT) et chercheur associé du Centre de recherches politiques de Sciences Po