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13.03.2017

La campagne présidentielle et le web

Finies les longues nuits passées par les militants dévoués à coller des affiches ! Activisme en ligne, vidéos sur YouTube, campagnes Twitter... Internet est désormais devenu le terrain de jeu privilégié des candidats à la présidentielle pour se rendre visibles. Mais cela contribue-t-il pour autant à la qualité du débat démocratique ? Thierry Vedel, chercheur CNRS au Centre d’études politiques de Sciences Po (CEVIPOF) s’intéresse aux transformations contemporaines de la communication politique. Il nous détaille quels rapports entretiennent aujourd’hui le web et la campagne présidentielle.

Internet a-t-il contribué à court-circuiter les schémas traditionnels de la politique ?

Thierry Vedel : Depuis une vingtaine d’années, internet a substantiellement modifié le fonctionnement des systèmes politiques : il a considérablement accru et diversifié les sources d’information des citoyens, il offre des espaces inédits (forums, blogs, réseaux sociaux) pour l’échange des opinions individuelles et, dans certains cas, il a facilité des mouvements sociaux, notamment en réduisant les coûts de mobilisation. Il offre de nouveaux outils pour la démocratie, mais reste à savoir si ces outils sont bien utilisés ou suffisants. Par ailleurs, la démocratie ne se réduit pas à la discussion, mais implique aussi des choix. Or, si internet est un fabuleux instrument d’expression, on voit moins bien comment il peut contribuer à la construction de choix collectifs et au renouvellement des procédures de décision politique.

Pourrait-il être un remède à l’abstention électorale et au vote contestataire ?

T. V. : L’une des questions les plus débattues entre chercheurs est de savoir si l’internet a élargi l’espace public en intéressant de nouveaux publics, et tout particulièrement les jeunes. Les travaux sur le sujet ne sont pas univoques mais tendent de plus en plus à suggérer que ce sont les citoyens les plus politisés qui sont les plus actifs en ligne : internet renforcerait les capacités d’action de ceux qui ont déjà du pouvoir, et servirait surtout à « prêcher les convaincus » pour reprendre la formule de la politologue américaine Pippa Norris. Une autre question est celle de la signification de l’engagement en ligne qui n’a pas forcément le même degré d’implication que la participation politique traditionnelle.

Pourtant, la façon de faire de la politique a changé ?

T. V. : La communication politique s’est adaptée aux nouveaux outils numériques. Lors d’une campagne électorale, les candidats sont présents sur tous les réseaux sociaux. Le militant dévoué qui colle des affiches appartient au passé. Aujourd’hui est apparu un nouvel activisme en ligne. Mais de quel engagement s’agit-il ? Certains comme le chercheur Evgeny Morozov critiquent ce “clicktivism”, la pratique qui consiste à signer des pétitions en ligne ou à rejoindre des groupes Facebook sans réellement s'impliquer. Enfin, le vote électronique perçu comme un symbole de la nouveauté lié aux nouvelles technologies, me paraît difficilement envisageable pour les grandes élections aux enjeux importants.

Internet n’est-il pas un lieu de débats et de discussions ?

T. V. : Jamais dans l’histoire de l’humanité il n’a été aussi facile de diffuser ses opinions. Le problème aujourd’hui n’est pas de s’exprimer mais d’être entendu. Les réseaux sociaux servent de supports à des conversations politiques qui ont toujours existé, mais qui autrefois n’étaient pas visibles. Toutefois, les réseaux sociaux ne sont pas forcément représentatifs de ce que pense l’ensemble de la population. Sur 85 % d’utilisateurs réguliers d’internet, les deux tiers utilisent Facebook et 15% sont sur Twitter. Parmi ceux-ci, 35% seulement suivent les débats politiques. Les réseaux sociaux constituent certainement une nouvelle arène politique, mais qui n’est pas un reflet de la société et qui draine également des idées racistes ou liberticides.

Peut-on considérer internet comme un nouvel espace public ?

T. V. : L’espace numérique est devenu une arène supplémentaire de la compétition électorale. Et à ce titre, il fait l’objet de stratégies visant à occuper l’espace numérique pour maximiser la visibilité de candidats, contrôler l’agenda des discussions ou mettre en cause des adversaires. Si une part des commentaires, des likes, des posts qu’on trouve sur les réseaux sociaux émane bien de simples citoyens, d’autres sont produits par les équipes de campagne ou des militants, voire des robots. En politique, il est sain de faire jouer son esprit critique, mais c’est encore plus nécessaire lorsqu’on est sur l’internet.

Déplacer le débat sur YouTube, est-ce une bonne stratégie ?

T. V. : YouTube présente plusieurs avantages : c’est un moyen de communication quasi gratuit, et en tout cas bien plus économique que d’autres supports tels que les affiches ou les tracts. Il permet de délivrer un message politique en toute liberté, en s’affranchissant des formats imposés par les médias, ou des contraintes réglementaires qui s’imposent à ceux-ci (règles de pluralisme politique qui obligent les médias audiovisuels à respecter un équilibre dans les temps d’antenne consacrés aux différents candidats). Enfin, être présent sur YouTube permet d’attirer l’attention des médias, qui s’intéressent beaucoup aux stratégies de campagne et de communication (ce sujet représente jusqu’à 40% de la couverture médiatique d’une campagne).

YouTube, et plus généralement les réseaux sociaux, permettent-ils de mieux atteindre les jeunes électeurs ?

T. V. : Traditionnellement, les jeunes citoyens s’intéressent moins à la politique et participent moins aux élections que leurs aînés. On pourrait penser que l’internet permet de mieux entrer en contact avec eux. Les enquêtes du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) montrent que seuls 12 % d’entre eux utilisent les réseaux à des fins politiques.

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Légende de l'image de couverture : Shutterstock / Gunnar Pippel