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28.11.2016
"L’audiovisuel public est le garant des valeurs démocratiques"
Face à une offre de contenus diversifiée, des plateformes multimédia et le développement des réseaux sociaux, quel rôle joue encore l’audiovisuel public pour informer, cultiver, divertir ? Pour Mathieu Gallet, président-directeur général de Radio France qui vient en débattre ce soir à Sciences Po avec ses détracteurs, il est avant tout le garant des valeurs démocratiques. Interview
Face aux défis posés par les nouveaux médias, les relais individuels (Twitter, Facebook, Snapchat, Google) et les plateformes d’information continue sur les chaînes privées, en quoi l’audiovisuel public reste-t-il légitime ?
Il ne faut pas confondre technologie et média, tuyaux et contenus. Il est évident que les nouvelles technologies transforment les usages et changent notre relation avec les médias. Le défi est donc le même pour tous les médias, qu’ils soient privés ou publics : accomplir leur mue numérique, investir les nouveaux réseaux de communication pour rester au plus près de leur publics. Cela constitue un enjeu de société et un enjeu politique majeur, parce que les médias de service public offrent une information de référence, à la fois pluraliste et indépendante, qui permet aux sociétés démocratiques de fonctionner. Toutes les études montrent que les médias publics constituent la colonne vertébrale de nos identités collectives, partout où ils sont affaiblis, on assiste à un malaise identitaire et à une perte de valeurs et de références. C’est la raison pour laquelle le gouvernement canadien vient de décider d’accompagner les mutations numériques de Radio Canada avec un programme de crédits supplémentaires de 650 millions d’euros sur les 5 ans qui viennent. De la même manière la réforme du mode de perception de la redevance en Allemagne a permis à nos voisins de doter l’audiovisuel public d’un peu plus d’un milliard d’euros supplémentaires au cours des 5 dernières années. L’enjeu politique et culturel que représente la dissémination sur les nouveaux réseaux des programmes produits par les Médias publics est stratégique pour nos sociétés démocratiques dans les dix ans qui viennent. Il n’y a qu’en France que cet enjeu stratégique est ignoré ou occulté par une grande partie des élites, alors que les résultats d’audience nous prouvent mois après mois que le public plébiscite nos radios, France Inter en tête avec plus 6 millions d’auditeurs chaque jour. Radio France vient d’afficher la meilleure part d’audience de son histoire avec 25%, soit plus de 14 millions d’auditeurs par jour! Nos audiences connaissent une progression continue depuis 2014, avec 1,3 million d’auditeurs en plus depuis l’arrivée de mon équipe.
Informer, cultiver, distraire : pourquoi cette triade mérite-t-elle d’être incarnée par l'audiovisuel public ?
Radio France est de très loin le premier producteur culturel de France : ce sont plus de 500 concerts ou émissions culturelles en public que nous produisons nous-mêmes à la Maison de la radio chaque année. Les groupes privés de taille significative ne produisent pas le dixième de ce volume de programmes culturels. Les études indépendantes réalisées par le secteur de la musique ont démontré que le nombre d’artistes produits ou exposés par Radio France dépassait les 10 000 alors que les réseaux privés fondent la moitié de leur programmation musicale sur moins de 50 artistes, les plus connus. Radio France est le premier employeur de comédiens en France, pour les besoins de nos fictions radiophoniques et d’un nouveau genre audiovisuel, le « concert-fiction », où une histoire est racontée illustrée et spécialement adaptée pour une production musicale impliquant l’un de nos formations, Orchestre national de France ou Orchestre Philharmonique de Radio France. L’an dernier, Mouv’ a réalisé une première mondiale avec la soirée hip hop symphonique où les grands noms du rap français se sont produits avec l’Orchestre philharmonique de Radio France. Ce fut un succès spectaculaire et nous travaillons sur une deuxième édition. La première manifestation de soutien aux Livres et à la Lecture à Paris, après le Salon du Livre de la Porte de Versailles, c’est « Radio France fête le livre » à la Maison de la radio, et nous avons ce dernier week-end de novembre plusieurs milliers d’auditeurs et lecteurs qui se pressaient autour de plus de 200 écrivains. Ce n’est pas un hasard, parce que tous les libraires vous diront que les réseaux qui font le plus pour la diffusion d’un ouvrage, ce sont France Inter, France Culture, France Info, France Bleu, France Musique, et bien sûr, sur leurs publics spécifiques, Mouv’ et FIP. Tout ce travail fait partie des obligations de service public, et il n’est aucunement réalisé par les réseaux privés concurrents. La réponse à cette question est toute simple : écoutez nos radios pendant une journée et vous verrez que Radio France infuse en permanence des éléments culturels dans son programme !
Comment défendre la mission de l’audiovisuel public face aux propositions émanant notamment de la note d' Olivier Babeau pour Fondapol qui souhaiteraient aujourd’hui le voir disparaître ?
Nous sommes dans une époque compliquée, désorientée, où une grande partie de la population s’interroge sur nos valeurs collectives, alors même que des forces hostiles aux valeurs républicaines et démocratiques tentent de manœuvrer les Français les plus vulnérables avec des discours de soupçon et de défiance vis-à-vis à la fois de nos convictions, de nos modes de vie, de nos principes communs. Est-ce vraiment le moment de disloquer nos médias publics, alors qu’ils fournissent les éléments fédérateurs essentiels dans cette période, alors qu’ils sont l’expression quotidienne des valeurs collectives de tolérance et de dialogue qui permettent de mettre en échec les attitudes communautaristes et régressives ? L’esprit public, l’opinion, ne peuvent pas se forger exclusivement dans le flux à la fois instantané et invérifiable des réseaux sociaux et des moteurs de recherche, qui nourrissent une cacophonie répétitive, dictée par des algorithmes invisibles. Nous avons plus que jamais besoin du travail de compréhension et d’explication, de hiérarchisation de l’information, qui permet au citoyen de prendre de la distance par rapport aux événements et de construire sa propre vision du monde, sans être ballotté à la surface du Web comme un bouchon. Le rôle civique et démocratique des médias publics au service de l’information, nous en prouvons le bien-fondé cette année avec le lancement de franceinfo, la première plate-forme numérique à la fois radio, télé, internet. Franceinfo est présente sur tous les supports. Ce nouveau média invente une information adaptée aux usages et aux attentes de nos contemporains de toutes générations. En matière médiatique, la meilleure preuve, c’est l’action. Si aujourd’hui Radio France dans son ensemble bat des records d’audience sur tous les réseaux, sans jamais abdiquer notre exigence de qualité, c’est bien que les Français ne doutent pas de l’utilité de nos radios !
En savoir plus
- L'audiovisuel public est-il encore utile ? Débat le lundi 28 novembre à Sciences Po 19h15-21h00
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Olivier Babeau - Refonder l'audiovisuel public, Fondapol, septembre 2016