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20.03.2025
Diversité : des parlements européens à la traine
Les personnes d’origine étrangère restent sous-représentées dans les parlements nationaux européens, d’après une étude comparative menée en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse, à laquelle a contribué Laura Morales, chercheuse au Centre d’études européennes et de politique comparée (Sciences Po / CNRS). En particulier, les personnes issues de l’immigration restent sous-représentées par rapport à leur part dans la population générale. C’est d’ailleurs aussi le cas en France, d’après de précédentes recherches de Laura Morales.
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Les députées et députés issus de l'immigration restent sous-représentés dans les parlements nationaux des principaux pays européens, selon la récente étude REPCHANCE Europe. Portant sur cinq démocraties européennes – l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suisse – et sur la période 2012-2021, l’étude définit les personnes issues de l’immigration par celles nées à l’étranger de nationalité étrangère, ou dont au moins l’un des parents remplit cette condition. L’étude révèle que, malgré des progrès au cours de la décennie, la proportion de personnes issues de l’immigration parmi les parlementaires nationaux reste inférieure à leur part dans la population de chacun de ces pays. Le constat est d’ailleurs valable pour la France, que Laura Morales a étudiée dans un autre projet financé par Sciences Po, InclusiveParl.
Des disparités de représentation de la diversité sociale dans le temps et l'espace
Si, à la date de 2021, les Pays-Bas arrivent en tête avec la plus forte proportion de députés issus de l'immigration (19 %), cette proportion reste inférieure au pourcentage de personnes issues de l’immigration dans la population générale (24,6 % selon StatLine). Il en est de même pour tous les autres pays étudiés, dont la Suisse (14 % au Conseil national, contre 39,5 % dans la population selon BFS), l'Allemagne (11 % au Bundestag, contre 27,2 % dans la population selon Destatis).
Pour l'Espagne, la France et le Royaume-Uni, seule la proportion de personnes nées à l'étranger ou de nationalité étrangère est connue. Ces chiffres (extraits des statistiques de l'OCDE pour mieux les comparer), qui sous-estiment donc la population d'ascendance étrangère, restent supérieurs ou au mieux équivalents à la part des élus d'origine immigrée dans les parlements nationaux : le Congrès des députés espagnol en comprend 2 % d’élus d’origine immigrée (contre 15,4 % de résidents nés à l'étranger), l'Assemblée nationale française 9,8 % (contre 13,3 %) et la Chambre des communes britannique 15 % (contre 14 %). Les écarts seraient beaucoup plus élevés si l’on prenait en compte aussi les descendants des personnes nées à l'étranger de nationalité étrangère dans la population générale.
La représentation parlementaire des personnes d’origine immigrée a progressé au cours de la période, mais de manière très inégale selon les pays (voir graphique ci-dessous).
Par comparaison avec ces cinq pays, la part des députés d'ascendance étrangère à l'Assemblée nationale était 7,5 % dans la XIVe législature (2012-2017) et 9,8 % dans la XVe (2017-2022). Ces chiffres positionnent la diversité parlementaire en France à un niveau similaire à celui de l'Allemagne pour cette période.
« Ces évolutions contrastées de la diversité dans les parlements européens sont, en partie, dues aux temporalités et taux d'immigration propres à chaque pays – une histoire migratoire plus ancienne au Royaume-Uni, une immigration plus intense en Suisse – mais également à l'intérêt que les partis politiques portent aux questions de diversité dans leurs rangs et candidatures, explique Laura Morales, professeure des universités au Centre d’études européennes et de politique comparée et responsable de l'étude pour l’Espagne et le Royaume-Uni. L'importance de l'action des partis politiques se manifeste dans la progression non linéaire de la diversité dans les parlements hollandais et suisses, et dans le manque de progression réelle en Espagne, malgré la diversité sociale croissante dans tous ces pays. »
Des obstacles persistants
Une autre partie de l'étude REPCHANCE Europe repose sur des entretiens avec des élus issus de l’immigration au niveau national, régional ou local. Elle permet de comprendre comment ces personnes s’engagent en politique et quels obstacles elles font face. Ainsi, les personnes issues de l’immigration se présentent plus fréquemment sous les couleurs d’un parti de gauche, en particulier en Allemagne et en Suisse, et dans une moindre mesure au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. La décision de briguer un mandat politique est souvent influencée par le fait d'avoir grandi dans une famille engagée politiquement, mais la mobilisation par des responsables de partis joue aussi un rôle très important. Leur élection effective dépend toutefois de facteurs tels que la circonscription attribuée ou la place sur la liste dans le cas de systèmes de vote proportionnels.
Une fois en fonction, les élus d'origine étrangère sont souvent confrontés à des discriminations (pour les femmes, le sexisme s’ajoute fréquemment au racisme), voire à des discours de haine ou à une instrumentalisation à des fins symboliques (tokenism), selon l'étude. En outre, on attend souvent de ces élues et élus qu’ils et elles se consacrent (voire se cantonnent) aux questions de migration et d'intégration, même sans expertise préalable sur ces questions.
Pour une meilleure inclusion politique
Dans leur rapport, les chercheurs et chercheuses proposent des mesures concrètes pour atteindre une représentation plus équilibrée des personnes issues de l’immigration. Ces recommandations incluent l'extension du droit de vote pour certains scrutins (par exemple municipaux ou régionaux), des initiatives éducatives, mais surtout des mesures à destination des partis : un recrutement plus actif de personnes d’origine immigrée, un renforcement de la lutte contre les discriminations, ainsi qu’un accent sur la formation, qui bénéficierait d’ailleurs à toutes les personnes novices en politique.
Ferdinand Mirbach, expert à la Robert Bosch Stiftung, souligne que « l'augmentation de la représentation politique des personnes d'origine immigrée est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Les partis politiques, la société civile et les institutions doivent activement créer des opportunités et supprimer les obstacles pour s'assurer qu'une variété de voix soient entendues dans la prise de décision. »
> Pour en savoir plus, accédez au rapport comparatif REPCHANCE Europe.