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30.01.2025
Les quartiers populaires, moteurs d’une transition écologique équitable ?
Loin d’être uniquement des territoires fragiles, les quartiers populaires apparaissent aujourd’hui comme des espaces stratégiques pour mener une transition écologique ambitieuse et inclusive. Le rapport « La transition écologique dans les quartiers populaires : vers plus de justice environnementale ? », réalisé par l’École urbaine de Sciences Po, éclaire le potentiel de ces zones souvent marginalisées. S’appuyant sur des travaux d’étudiants, il propose des solutions concrètes pour répondre simultanément aux crises environnementales et sociales.
Le constat est clair : les habitants des quartiers populaires, bien qu’exposés de manière disproportionnée aux inégalités environnementales, possèdent des ressources et des pratiques capables de transformer ces défis en opportunités. Leurs initiatives, leurs besoins et leur résilience collective offrent des pistes pragmatiques pour bâtir une transition plus juste.
Un article rédigé par Alexandre Thuet Balaguer, étudiant à Sciences Po.
Des inégalités environnementales marquées
Les quartiers populaires cumulent les conséquences de nombreuses inégalités environnementales : pollution de l’air, précarité énergétique, manque d’espaces verts et exposition accrue aux vagues de chaleur. Ces territoires, souvent localisés en périphérie des grandes métropoles, concentrent les effets du dérèglement climatique tout en ne disposant pas des moyens nécessaires pour y faire face.
Ce paradoxe est souligné dans le rapport : malgré une empreinte carbone inférieure à la moyenne nationale, ces populations restent les plus vulnérables aux impacts climatiques. Cette réalité ne les rend pas passives pour autant. Près de 78 % des habitants des quartiers prioritaires estiment que des politiques environnementales adaptées pourraient améliorer leur quotidien.
Forts de cette prise de conscience, des alternatives au statu quo actuel peuvent être imaginées et instaurées avec l’approbation des habitants. Contrairement à une gestion descendante des politiques écologiques, les quartiers populaires offrent un terreau fertile pour des approches collaboratives. Les projets de renaturation, par exemple, bénéficient largement de la participation des résidents, qui s’impliquent dans la conception, la mise en œuvre et l’entretien des espaces. Cette approche, en intégrant les préoccupations et les savoir-faire locaux, garantit l’adhésion aux initiatives et leur pérennité.
La jeunesse des quartiers, moteur de la transition
Souvent invisibilisés dans les débats, les jeunes des quartiers populaires se mobilisent à leur manière pour relever les défis écologiques. Le rapport insiste sur la nécessité de reconnaître et de valoriser ces engagements. Loin des grands mouvements militants traditionnels, leurs initiatives s’inscrivent dans un quotidien marqué par des enjeux tangibles : santé, cadre de vie, alimentation durable.
Le podcast « Jeunesses Bétons », produit par des étudiants de l’École urbaine, recueille des témoignages révélateurs. À travers ce projet, les jeunes expriment leur vision de l’écologie, façonnée par leurs réalités sociales et économiques. Cette approche, moins reconnue car faisant appel à un répertoire d’actions moins institutionnalisé, démontre une créativité indispensable pour enrichir les dynamiques locales.
Le rapport appelle à leur proposer des espaces d’expression et d’action, tout en intégrant leurs perspectives dans les politiques locales.
Repenser la gouvernance pour une transition inclusive
Bien plus globalement, il met également en lumière les bénéfices d’une gouvernance plus inclusive, où les habitants sont autant des bénéficiaires que des acteurs à part entière. Des initiatives comme CUT (Connected Urban Twins), reliant Lyon et Munich, montrent l’intérêt des plateformes numériques pour inclure les habitants dans la planification urbaine. Ces outils permettent de recueillir et d’intégrer les idées des résidents, favorisant une démarche plus collaborative et transparente.
Cependant, des obstacles demeurent. Les démarches administratives complexes, le manque de financement pérenne et la méfiance vis-à-vis des institutions freinent encore l’adhésion et la participation des habitants. Simplifier ces processus, établir une communication claire et renforcer les dispositifs d’accompagnement seront essentiels pour instaurer une véritable coopération entre les acteurs locaux et les populations concernées.
Réinventer les espaces publics
Par ailleurs, les espaces publics, largement sous-exploités dans les quartiers populaires, représentent un formidable levier pour renforcer la résilience climatique tout en améliorant le cadre de vie. Les cours Oasis, déployées dans des écoles à Paris, Marseille ou Montreuil, ont ainsi remplacé le béton par des aménagements végétalisés. Ces projets réduisent les îlots de chaleur tout en procurant des espaces plus accueillants et fonctionnels pour les élèves.
D’autres projets sont également envisageables sur les terrains vacants ou mal utilisés des grands ensembles. Jardins partagés, zones de biodiversité, espaces de détente : ces lieux peuvent être transformés en ressources précieuses, autant pour l'environnement que pour le lien social. Les campagnes de nettoyage collectif ou les aménagements participatifs, souvent portés par les habitants eux-mêmes, témoignent de cette capacité à repenser leur territoire de manière durable et inclusive.
Des logements sociaux au cœur de la transformation écologique
Véritables piliers des quartiers populaires, les logements sociaux se situent au creuset des défis climatiques et sociaux. Leur rénovation est une priorité pour engager une transition écologique ambitieuse, dans laquelle les bailleurs sociaux jouent un rôle central. Ces acteurs, en première ligne, disposent des moyens et de l'expertise pour moderniser le parc existant tout en intégrant des solutions durables.
L’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments est essentielle. Isolation performante, matériaux à faible empreinte carbone, utilisation d’énergies renouvelables : ces interventions ne se contentent pas de réduire l’impact environnemental, elles représentent aussi un soulagement financier pour les habitants, fréquemment confrontés à la précarité énergétique.
À Val-de-Reuil, l’éco-village des Noés mêle innovation architecturale et intégration environnementale, en ayant été conçu pour affronter les crues que subira dans les décennies à venir cette ville affluente de la Seine. Aux Pays-Bas, des logements sociaux ont été végétalisés pour bâtir « la Forêt verticale d’Eindhoven », qui améliore le cadre de vie de l’intégralité du quartier en diminuant la concentration de particules fines par la photosynthèse.
Des emplois verts et une économie circulaire pour transformer les territoires
Enfin, le rapport pointe du doigt les opportunités économiques d’une transition écologique pour ces quartiers. Là où le chômage demeure élevé, des initiatives comme Les Jardins de Cocagne dans l’Aveyron, combinent agriculture biologique et espaces de réinsertion professionnelle. Ces projets, en s’appuyant sur les ressources locales, créent des emplois et offrent du temps de formation aux habitants exclus du marché du travail.
L’économie circulaire, fondée sur le recyclage, la réutilisation et les circuits courts, ouvre également des perspectives économiques dans ces territoires. Ateliers de réparation, centres de tri et coopératives participatives permettent de réduire les déchets tout en générant une activité économique durable. En parallèle, les rénovations énergétiques des logements sociaux, telles que l’isolation thermique et l’installation d’énergies renouvelables, stimulent l’emploi dans le secteur du bâtiment tout en améliorant les conditions de vie des résidents.
Toutes ces initiatives se doivent d’être soutenues par des financements ciblés et une coopération entre l’intégralité des acteurs publics, privés et associatifs. En investissant dans ces projets, ces territoires peuvent devenir des exemples d’innovation où développement économique et durabilité se rejoignent, dessinant les contours d’une transition écologique équitable et riche de bénéfices environnementaux, sociaux et économiques.
Ce contenu est fondé sur le rapport « La transition écologique dans les quartiers populaires », premier numéro de la collection Transformer les Territoires. Les Enseignements du Lab. Issue des résultats des projets réalisés par les étudiants de l’École urbaine de Sciences Po, elle fait le pari d’alimenter le débat public sur les transitions urbaines en mobilisant la réflexion de jeunes professionnels au service des partenaires publics, privés et associatifs. Ces publications s’inscrivent dans le projet TIERED, financé par l’Agence nationale de la recherche au titre de France 2030.