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31.01.2017
La longue marche de Benoît Hamon
Par Bruno Cautrès, chercheur au CEVIPOF. On aurait tort de réduire la victoire de Benoit Hamon à l’issue de la primaire de la « Belle Alliance populaire » à une simple réaction mécanique d’une gauche souhaitant montrer qu’elle peut encore compter dans la présidentielle. Ce résultat nous dit des choses importantes sur les perspectives de court et de long terme du PS et sur les perspectives de « reconstruction » de la gauche après la présidentielle. Sauf, bien sûr, si Benoît Hamon gagnait cette élection, ce qui au jour d’aujourd’hui n’est pas l’hypothèse la plus probable.
S’il faut être prudent dans ce domaine, on peut néanmoins observer que les conséquences du résultat de la primaire vont s’exprimer avant tout dans les rapports de force à gauche et au sein du PS.
Retour vers des valeurs de gauche
Le surcroît de participation par rapport au premier tour traduit sans aucun doute que quelque chose a (un peu) bougé pour le PS. Les motivations du vote Hamon, selon le sondage Elabe réalisé le jour du vote, sont avant tout le retour vers les valeurs de la gauche. Manuel Valls n’est pas parvenu à imposer l’idée qu’il s’agissait de choisir le candidat pouvant engranger le plus de votes pour la présidentielle car les électeurs de la primaire voulaient avant tout renouer avec leurs valeurs économiques de gauche et « refaire gauche » avant de « refaire présidentiel à tout prix ».
Cet électorat a sans doute été fortement perturbé par le quinquennat et le renoncement de François Hollande. Il y avait dans le vote de dimanche une dimension de vote sanction par procuration contre François Hollande, à travers Manuel Valls. Dans ce contexte, il convient de se demander si la nouvelle donne créée par la victoire de Benoît Hamon a des chances de modifier les dynamiques d’opinion pour la campagne présidentielle.
Il faut dire que la situation du PS, à la veille de la primaire, semblait virer à l’agonie. Ce parti qui a subi une véritable « hémorragie » de militants depuis 2012, à l’image d’autres partis sociaux-démocrates européens depuis 2008, fait face à l’une des plus importantes crises de son histoire. S’il s’est déjà remis de crises très graves, comme 1993 ou 2002, sa situation politique semblait dans une relative impasse : isolé, divisé, tiraillé entre des projets politiques très opposés, sans ligne claire à présenter à ses militants et électeurs.
Par rapport à cette situation très difficile, le résultat de la primaire semble permettre une forme de « clarification » qui n’est pas celle que Manuel Valls a appelé constamment de ses vœux. Mais derrière l’apparence se cache un chemin difficile. Le « rassemblement » tant souhaité par les deux finalistes de la primaire s’annonce en effet très compliqué. Cela n’est pas seulement dû aux antagonismes personnels ; cela est avant lié au fait que le contexte économique et les engagements européens de la France ne donnent pas les marges de manœuvre dont Benoît Hamon a besoin pour crédibiliser son programme auprès d’une majorité d’électeurs le 7 mai prochain.
L’objectif de sa campagne est d’ailleurs peut-être davantage de prendre date pour la reconstruction de la gauche après la présidentielle que de gagner celle-ci. Et certainement que l’objectif prioritaire est de « sauver la face » du PS le 23 avril en occupant une place sur le podium ou proche du podium.
« Une majorité gouvernementale sociale, économique et démocratique »
Le résultat de la primaire nous dit aussi des choses très importantes sur cette reconstruction de la gauche. En appelant hier soir au « rassemblement », Benoit Hamon a adressé un signal non seulement au PS et aux autres acteurs de la primaire mais aussi aux autres composantes de la gauche. Prenant grand soin de ne pas inclure Emmanuel Macron dans le périmètre de la gauche (et se différenciant ainsi d’autres membres de la direction du PS, comme Ségolène Royal), il a prononcé une phrase qui définit son projet politique pour l’après-présidentielle et qui va baliser le chemin difficile qu’il souhaite emprunter :
« Je proposerai à Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon de construire une majorité gouvernementale sociale, économique et démocratique. »
Depuis 2012 et l’élection de François Hollande, c’est sans doute la première fois qu’un membre important du PS, son candidat à la présidentielle à présent, inclut aussi nettement le leader de la France insoumise dans une perspective de « majorité gouvernementale ». Ce mot-clef renoue avec une matrice politique que le PS connaît bien, celle de « l’union de la gauche » élargie ou de la « gauche plurielle » avec les écologistes.
Il ne fait guère de doutes que Benoit Hamon va vouloir également dialoguer avec les radicaux de gauche et avec les communistes afin de montrer sa capacité à incarner le centre de gravité d’une gauche en dynamique nouvelle. Il ne serait d’ailleurs pas impossible que le PC se montre très sensible à cette démarche car elle lui permettrait de ne plus s’en remettre seulement à Jean-Luc Mélenchon.
Une nouvelle union de la gauche ?
Ce cap tracé par Benoit Hamon d’un retour vers les bases de l’union de la gauche est-il susceptible de fonctionner ? Comme l’ont fort bien analysé dans leurs travaux sur l’histoire du socialisme en France Gérard Grunberg et Alain Bergougnioux (L’Ambition et le remords, Fayard, 2005) le clivage entre les visions très différentes portées par les deux finalistes de la primaire rappelle avec force que le socialisme en France connaît depuis ses origines un débat constant entre la ligne réformiste et la ligne de la gauche de rupture.
Le parti fondé par François Mitterrand à Epinay en 1971 prônait d’ailleurs « la rupture » avant que la logique de l’élection présidentielle ne vienne le convertir à l’exercice du pouvoir au sein de la Ve république et d’une économie libérale et ouverte. Ce parti avait su gérer cet écart et cette ambiguïté en menant de front un projet politique d’union de la gauche et un projet politique de suprématie du PS sur cette union afin d’imposer un agenda politique réformiste.
Le « tournant de 1983 » et de la « politique de rigueur » marquait l’entrée définitive du PS dans une perspective social-réformiste dont sont issus d’ailleurs plusieurs des participants de la primaire. Malgré les nouvelles perspectives tracées par Lionel Jospin entre 1997 et 2002, la question de fond posée par ce « tournant » est restée comme une trace indélébile au sein du PS : que veut dire « réformer » la société aujourd’hui ? Et comment l’idéal de la gauche – une société plus égalitaire, plus juste et qui desserre l’étau des stratifications sociales – peut-il se combiner avec l’exercice du pouvoir qui, au sein d’une économie libérale, consiste à respecter (voire favoriser) les logiques des marchés tout en les régulant. Manuel Valls, résumait dimanche soir cette contradiction en espérant que le PS puisse revenir au pouvoir en mettant de côté le « vieux procès lancinant en trahison ».
Effet de levier
Il reste donc un chemin long et difficile à parcourir à Benoît Hamon car les obstacles qu’il rencontrera sont ceux posés par les mutations de l’économie libérale ouverte dans un contexte de globalisation et de changement de paradigmes dans tous les domaines.
Son diagnostic posé sur le travail mérite l’intérêt car au-delà de ce que l’on peut penser du caractère utopiste et faisable ou pas d’un revenu universel (sur lequel je me garderai de me prononcer ayant lu des experts qui ne sont pas d’accord entre eux…), cette question a le mérite de faire effet de levier sur tout un ensemble d’autres questions qui se posent à nos sociétés postindustrielles et postmatérialistes.
Si la dimension matérielle de nos vies continue d’être la source et l’enjeu de toutes les inégalités, il n’est pas interdit de penser l’autre dimension du monde, celle de la qualité de la vie au travail, du calendrier de nos vies entre travail, formation et vie personnelle, de la qualité de la vie en fait. C’est une longue marche qui s’annonce pour Benoît Hamon. S’il parvient à réaliser un bon score à la présidentielle son discours sera le pivot de la recomposition de la gauche après la présidentielle ; s’il n’y parvient pas, tous les scénarios sont possibles pour l’éclatement d’une gauche qui sera prise dans l’étau de contradictions insurmontables et sera alors sous la pression d’Emmanuel Macron. Quoi qu’il en soit, le débat d’idées est lancé à présent que presque tous les acteurs de la présidentielle sont sur scène. Dans un contexte si désespérant et si triste parfois pour notre vie politique, ce grand débat d’idées qui s’annonce est le bienvenu !
Bruno Cautrès, chercheur en sciences politiques (Sciences Po - CEVIPOF)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.