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25.11.2015

L'université, entre autonomie et centralisation

La dimension territoriale des politiques universitaires françaises est tout sauf anecdotique. Ainsi, les pôles « régionaux » - PRES & COMUE* - créés en 2006 prennent aujourd’hui une importance considérable dans les perspectives universitaires. Jérôme Aust, chercheur au Centre de sociologie des organisations, nous éclaire sur le rôle des villes et des régions dans ce secteur stratégique et revient sur sa dimension historique.

Les pouvoirs locaux jouent un rôle important mais mal connu dans la construction de l’offre universitaire française. En quoi consiste-t-il ?  

Jérôme Aust : Tout d’abord, il me semble que l'idée que l'intervention des collectivités locales ajoute de nouvelles tutelles à celle de l'État n'est pas tout à fait juste. Il ne faut d'abord pas oublier que seul l'État a la compétence juridique en matière d'enseignement supérieur et de recherche.  Ensuite, les élus locaux et leurs services évitent d'intervenir trop directement dans les affaires universitaires. Ils cherchent surtout à favoriser l'émergence de projets à l'échelle des sites, des établissements ou des laboratoires de recherche. L'action des pouvoirs locaux, ces vingt-cinq dernières années, a surtout eu pour effet de consolider les établissements et les institutions qui représentent les sites (les PRES hier, les COMUE aujourd'hui *). L'action des collectivités locales a aussi joué un rôle sur le potentiel scientifique de certains territoires : en allouant des fonds, en demandant aux scientifiques de travailler ensemble, les pouvoirs locaux ont participé à la structuration de certaines thématiques scientifiques.

Certaines disciplines, comme la physique et la chimie, ont intégré le champ universitaire grâce aux pouvoirs locaux.  La France ayant formé 13 prix Nobel rien qu’en physique, on ne peut que saluer cette intervention ! Comment expliquer l’intérêt des collectivités locales pour ce type de développement ?

J. A. : C’est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe que cet intérêt a été sans doute le plus manifeste. Les élus locaux mais aussi les représentants des intérêts économiques se mobilisent alors pour permettre le développement de certaines disciplines, comme la chimie ou certaines spécialités de la physique. Des chaires d'enseignement, des cours du soir, des locaux universitaires et des laboratoires sont financés.  C’est le cas par exemple à Grenoble où les premiers cours d’électricité industrielle ont été soutenus par la municipalité. Cette intervention locale a joué un rôle essentiel dans certains cas : des disciplines soutenues dans ces conditions sont devenues des domaines d'excellence de ces sites.

On a ensuite assisté à un retrait des pouvoirs locaux et une montée en puissance de l’État. Quel fut l’impact de cette redistribution des cartes ?

J. A. : Après la Seconde Guerre mondiale, l’intervention locale est moins forte. C’est l’État qui intervient massivement. Pour autant, la dimension territoriale reste cruciale. Il y a une volonté, notamment dans les années 1960, de réduire le poids de la capitale dans le paysage scientifique français. Sous l’égide de la DATAR et du Commissariat général au Plan, il s’agit de favoriser le développement voire l’émergence de grands centres universitaires en région pour contrebalancer le poids jugé excessif  de la région parisienne. Il y a tout un travail pour définir des métropoles de recherche, disposant d’une taille critique suffisante et pour identifier des spécialités  qui doivent orienter les investissements. Les efforts portent en particulier sur Lyon, Grenoble, Toulouse, Aix-Marseille, Nantes, Rennes et Lille. Cette politique d'aménagement du territoire a été mise en œuvre avec beaucoup de volontarisme, mais a rencontré aussi des difficultés. On peut en mesurer les limites en comparant la carte scientifique française du début des années 1960 à celle des investissements d'avenir aujourd'hui : toutes deux sont marquées par le poids de la région parisienne et du Sud Est de la France, et une densité d'institutions scientifiques moindres dans le Nord et sur la façade Atlantique. Comme si finalement, l'action de l'État n'avait pas, ou en tous les cas pas complètement, réussi à atteindre ses objectifs de rééquilibrage. Dans cette période, c'est l'État qui domine ces politiques, mais il n'est pas tout puissant.

Les villes et les régions avaient-elles encore un mot à dire ?

J. A. : Oui, mais différemment qu’auparavant. D'abord, certaines villes continuent à soutenir le développement universitaire ou scientifique de leur territoire. C'est le cas à Grenoble, pour la recherche, ou à Tours pour l'université. Dans d'autres territoires, l'inaction des élus a aussi de nombreux effets sur les projets étatiques. Par exemple, après mai 1968, le ministère de l'Éducation nationale a cherché à favoriser la constitution de campus de taille moyenne, mieux insérés dans le tissu urbain. Ce projet s’est heurté au manque de soutien des élus locaux qui n'ont  pas intégré les bâtiments universitaires dans leurs opérations d'urbanisme. Il faut attendre les  années 80 et surtout les années 1990 pour que les collectivités locales réinvestissent réellement, l'enseignement supérieur et la recherche.  

Ce regain d’intérêt s’accompagne d’une évolution de la nature des politiques. Qu’y-a-t-il de nouveau ?   

J. A. : La politique que nous connaissons aujourd’hui a commencé à se mettre en place dans des années 1990, à travers une série de plans d’investissement - comme le plan Université 2000 - qui ont favorisé la coopération entre les établissements qui jusqu’alors s’ignoraient. Cette coopération s’est institutionnalisée en 2006 avec la création des PRES, transformés COMUE en 2013*. Initialement, le développement de ces coopérations n’est pas adossé à un projet de concentration des fonds. Il est d’avantage animé par un souci de rationaliser la carte des formations et de développer des projets communs entre les établissements. À partir du milieu des années 2000, s’y ajoute la conviction que la fragmentation institutionnelle est un obstacle majeur à la visibilité internationale de nos établissements et qu’il faut concentrer des fonds pour surmonter ce problème.

Ailleurs, notamment en Grande Bretagne et en Allemagne, les relations État-pouvoirs locaux-Universités sont organisées différemment.  Quelles sont ces différences?

J. A. : En Grande-Bretagne, même si les autorités locales ont historiquement joué un rôle pour soutenir certaines franges du système académique, elles n’interviennent aujourd'hui que très peu. En Allemagne, à l’inverse, les politiques sont conçues et suivies en étroite coopération entre les Länder et le niveau fédéral.

Malgré ces différences, il est remarquable que dans ces pays, tout comme en France, les milieux académiques sont soumis à des injonctions comparables. On y trouve le souci des pouvoirs publics de renforcer l’autonomie universitaire, la mise en place de nouveaux instruments d’évaluation (et de contrôle!) et la volonté de concentrer plus nettement les ressources sur des établissements reconnus comme étant les plus performants.

Le développement des systèmes universitaires dans ces trois pays serait donc standardisé ?

J. A. : Pas vraiment, car les modalités de mise en œuvre sont très différentes d’un pays à l’autre. Prenons le cas des ressources et des programmes qui visent à concentrer les fonds. En France, c’est l’État qui est le maitre d’œuvre du Programme des investissements d’avenir. Les collectivités locales soutiennent souvent des projets élaborés dans ce cadre, mais elles ne sont associées ni à leur sélection ni à leur suivi. En Allemagne, l’Excellenz Initiative est conduite en partenariat entre le Bund et les Länder qui y sont pleinement associés. En Grande-Bretagne, la concentration des ressources est organisée par le Research Excellence Framework (REF) qui sert, entre autres, à définir une part importante de la dotation versée aux établissements. Ce dispositif est mis en œuvre par une agence qui dépend de l’État.

Est-ce qu’au final, les résultats sont-ils différents ?

J. A. : La différence se constate sur le plan « institutionnel » : la politique française de concentration des ressources vise à renforcer, voire à faire émerger de nouvelles institutions s’appuyant sur des consortiums réunissant des établissements géographiquement proches. En Allemagne et en Grande-Bretagne les politiques s’appuient sur les établissements déjà constitués. Est-ce que ces différences auront un impact en termes d'enseignement et de recherche ? Il est trop tôt pour en juger, en France et en Allemagne au moins. Mais le souci de concentrer les fonds sur les établissements et les équipes les plus performantes ont eu déjà des effets tangibles en Grande-Bretagne. Elles ont bien sûr renforcé la hiérarchie entre les établissements, mais elles ont aussi modifié la structuration des départements des universités et accru la stratification de la profession académique, comme le montrent bien deux thèses*** soutenues récemment à Sciences Po. En France et en Allemagne, ce n'est qu'à moyen terme que l'on pourra juger des effets de ces politiques.

*Il s’agit des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) créés en 2006 et transformés  en Communauté d’universités et d’établissements (COMUE) par la loi Fioraso (2013).

**Sciences Po est membre la COMUE (Communauté d'universités et établissements) Sorbonne Paris Cité (USPC). En savoir plus ici

*** Simon Paye - Différencier les pairs. Mise en gestion du travail universitaire et encastrement organisationnel des carrières académiques (Royaume-Uni, 1970-2010).

Felipe Camerati - Les universitaires britanniques face aux instruments d'évaluation et de financement de la recherche. Les départements de géographie et d'informatique de deux universités face au Research Assessment Exercise et au full Economic Costing en Grande Bretagne

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