Accueil>L'urgence : une longue histoire

27.04.2015

L'urgence : une longue histoire

Charles-Antoine Wanecq est agrégé d’histoire, diplômé du master recherche et actuellement doctorant au Centre d'histoire de Sciences Po. Sa spécialité ? L’histoire de l’urgence. Dans la foulée de son mémoire de recherche intitulé Le 15 contre le 18 : histoire de l'urgence médicale, qui lui a valu le prix 2014 du Comité d’histoire de la sécurité sociale, il poursuit son enquête sur ce champ inexploré : comment l’action publique s’est-elle emparée des soins d’urgence ?

  • Pourquoi écrire cette “histoire de l’urgence” ?

Charles-Antoine Wanecq : Pour faire son travail, l’historien a besoin de sources. J’ai eu la chance de découvrir pour mon mémoire de recherche un fonds d’archives passionnant, celui du “bureau des secours d’urgence”. Dans cet obscur service du Ministère de la Santé, un fonctionnaire - René Coirier - à dévoué sa vie entière à l’organisation des secours d’urgence en France, quasiment à lui tout seul...et dans l’ombre. À travers ses archives, j’ai pu étudier une période très importante, qui s’étale de 1965, l’année de création des ambulances médicalisées (SMUR), à 1979, qui officialise la création du 15, le numéro d’appel pour les secours médicaux.

  • En quoi cette période est-elle fondamentale pour la politique de l’urgence ?

C-A. W. : C’est entre ces deux dates que va se structurer la politique de l’urgence en France, avec un moment-clé en 1972. Cette année-là, le nombre de tués sur les routes atteint un niveau sans précédent en France, avec 16 000 morts. Ce triste record crée une prise de conscience politique : l’État va véritablement s’emparer du sujet à ce moment-là. On connaît les actions de prévention qui ont été lancées dès cette époque, mais beaucoup moins l’autre versant de cette politique : l’organisation par les pouvoirs publics du secours aux accidentés.

  • Cet épisode raconte aussi l’histoire d’une époque, celle de la France des 30 Glorieuses...

C-A. W. : Oui, c’est une ère de prospérité, l’État avait des moyens importants, et a décidé de les investir pour sauver des vies. C’est aussi un calcul rationnel : dès cette époque on évalue le coût social de ces accidents. Il est énorme, et il concerne les “forces vives” de la modernisation : des hommes jeunes, en pleine force de travail.

Alors que la mortalité par maladie a considérablement diminué, ces nouveaux risques accidentels représentent le revers de la modernité, le versant sombre du progrès, avec ses voitures rapides, et ses usines dangereuses où les accidents du travail demeurent fréquents.

  • Face à ces victimes de la modernité, la France a inventé un “modèle” de secours particulier ?

C-A. W. : Les pouvoirs publics français ont créé avec les SMUR un modèle tout à fait spécifique, qui le reste encore aujourd’hui. En résumé, c’est un modèle qui mise sur la réponse médicale : on déplace le médecin jusqu’au blessé, pour pouvoir commencer les soins médicaux le plus tôt possible. Dans les pays anglo-saxons, la priorité, c’est de transporter le blessé jusqu’aux soins. Ce sont les “paramedics” - une sorte de super ambulancier - qui interviennent en premier. L’imposition de ce système en France ne s’est pas fait sans heurts entre les pompiers et les médecins du SAMU...Entre le “18” et le “15”, la coordination prédomine aujourd’hui, mais cela n’empêche pas les ambiguïtés…

  • Votre thèse poursuivra cette histoire des secours d’urgence en France, sur une période plus large. Quelles sont les nouvelles questions que vous allez tenter de résoudre ?

C-A. W. : Je continue à enquêter sur la façon dont l’État a peu a peu investi ce champ de l’urgence, de la fin du XIXème siècle à la fin du XXème. Je m’intéresse notamment aux périodes de guerre, et à la façon dont on transpose en temps de paix les progrès nés sur les champs de bataille ou dans les bombardements. Par exemple, durant la 2ème Guerre mondiale, les ambulancières de la Croix Rouge ont mis en place leur propre programme de formation à la conduite et aux premiers soins. Elles ont posé les jalons d’une véritable filière professionnelle, dont l’État s’est inspiré après-guerre. Bien plus tôt, à la fin du XIXème siècle, les localités avaient anticipé la future politique publique des secours en créant leur réseau d’ambulances municipales.

Ce qui m’intéresse dans ce travail, c’est de raconter comment, peu à peu, l’État a intégré et organisé cette responsabilité nouvelle, celle de la vie humaine dans ce qu’elle a de plus fragile. Et de voir comment la société en a pris sa part, à travers la diffusion du secourisme notamment.

En savoir plus

Légende de l'image de couverture : Source gallicalabs.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France