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06.08.2016
Mai 68 à Sciences Po rouge
Si Sciences Po n’a pas été le fer de lance de la "révolution étudiante", la vénérable maison a tout de même essuyé la contestation et été confrontée à « maintes péripéties de toute nature » : le refus de composer se muant en grève générale, les meetings succédant aux AG, les banderoles recouvrant les affiches, l’invasion des locaux culminant en occupation... À Sciences Po rouge, rebaptisé Institut Lénine, dans le hall Che Guevara et l’amphi Rosa Luxembourg, la "révolution" fut – un bref instant – en marche.
Le mai des étudiants
Samedi 11 mai 1968 : sommés de plancher sur les épreuves de langue du diplôme, les étudiants refusent de composer : la révolte agite le monde universitaire ; les épreuves n’auront pas lieu. Lundi 14 mai : à la réouverture hebdomadaire, Sciences Po est envahi par « un commando de la Sorbonne ». Ou plutôt par « un certain nombre d’élèves de l’Institut, des étudiants appartenant à d’autres établissements, des éléments n’appartenant pas au monde étudiant [1] ».
Débutent alors sept semaines d’occupation rythmées par les meetings et les manifestations. Les murs se couvrent d’affiches qui proclament « la contestation permanente », « la politique à tous », « le bonheur est une idée neuve à Sciences Po ». Les professeurs sont sommés de « sauter le mur de l’indifférence » et de « participer » ; la rue Saint-Guillaume est barrée d’une banderole qui « dit non à la dictature gaulliste ». Dans l’amphi Che Guevara (ex-Boutmy), l’AG du 16 mai réunit un nombre impressionnant d’étudiants (2 500) qui votent la poursuite du mouvement, la suppression des examens et l’instauration du pouvoir étudiant. Hormis l’intrusion violente et destructrice d’un commando d’Occident le 20 mai, l’occupation se poursuit pacifiquement jusqu’au 29 juin où, vacances obligent, les locaux seront évacués.
Le mai de la direction
La direction n’était pas préparée à prendre de plein fouet la vague étudiante. Le bureau du directeur est envahi ; les secrétaires généraux, Henry-Gréard et Touchard, sont bousculés ;des bagarres éclatent et la police est appelée. L’occupation se fait néanmoins dans le strict
respect d’une « ligne de partage » : si les amphis, le hall et les salles de conférences sont mis à la disposition des étudiants, les bibliothèques, les locaux administratifs et le standard téléphonique restent aux mains de la Direction : « les membres de la Direction, plusieurs professeurs et le personnel des services intérieurs assureront, de nuit et de jour, la protection des locaux administratifs [2]. » Sept semaines durant, ils monteront la garde, dormant sur des lits de camp, prévenant les débordements et maintenant le dialogue avec les locataires indésirables de l’Institut.
“Faciliter le passage de la Révolution à la légalité républicaine”[3]
Dès le 16 mai, la direction reprend l’initiative et ouvre les négociations : le report des examens à la rentrée est acté ; les élections étudiantes sont validées et les 175 représentants du Conseil étudiant reconnus ; les enseignants sont appelés à désigner 55 délégués pour siéger à ces États-Généraux improvisés qu’à défaut d’avoir convoqués la direction tente de contrôler. Le 28 mai, la Commission paritaire étudiant-enseignant entame trois semaines de négociations et élabore deux textes, l’un sur les « libertés syndicales et politiques », l’autre sur le « statut de la cogestion », soumis à l’approbation du corps enseignant, avant d’être passés à la moulinette des Conseils et transmis à la tutelle ministérielle pour y être détricotés...
L’ombre portée de Mai 1968
Si la direction peut se vanter que « le navire ne dériva pas et fut maintenu dans son erre [4] », elle sort profondément traumatisée de la tempête où elle s’est affrontée à ses étudiants et à ses chercheurs. Son autorité a été incontestablement écornée. L’ombre portée de mai 68 s’étirera jusqu’aux années 1980 pesant sur les comportements et les choix des années 1970.
Marie Scot © tous droits réservés
[1] J. Chapsal, BAAEE 1969.
[2] Idem.
[3] Idem.
[4] J. Chapsal, BAAE 1969.
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