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30.05.2015

"Make it work or make it fail ?" : la simulation COP 21 vue de l’intérieur

Robin Dugord, étudiant du Master “Politiques de l’environnement” de l’école des affaires internationales de Sciences Po (PSIA), participe à la simulation de la COP21 qui se déroule actuellement au Théâtre Nanterre-Amandiers, événement phare du projet “Make it work” porté par Sciences Po. Représentant de la Délégation “Amazonie”, il raconte le démarrage des des pourparlers, les espoirs et les doutes qui émergent au fil des heures parmi les acteurs de cette expérience unique en son genre. Récit au soir d’un 2ème jour de négociations particulièrement complexes :

“Je ne suis pas sûr qu’aucun de nous avait conscience de ce qui allait survenir pendant cette simulation de négociation climatique. Mon petit doigt me dit tout de même que Bruno Latour (ndlr : le sociologue, professeur à Sciences Po et organisateur du projet Make it work avec Laurence Tubiana) et l’équipe du SPEAP (programme d’expérimentation en arts et politiques qui a conçu l’événement au théâtre) s’attendaient a ce qui s’est passé cet après-midi du vendredi 29 mai.

Tout part du fait d’intégrer des entités non-étatiques aux côtés des entités du système onusien classique, afin de tenter une nouvelle expérience, après l’échec de Copenhague et de la reproduction qui en avait été faite à Sciences Po en 2009. L’Atmosphère, les Océans, les Sols, les Forêts, le Sahara, les Régions polaires,  l’Amazonie, etc., n’ont-ils pas en effet leur place quand nous parlons dérèglement climatique ?

  • “Les premières réunions laissent entrevoir la possibilité d’un futur souhaitable pour l’Amazonie, dont je suis un représentant”

200 personnes ont donc décidé de bloquer cette dernière semaine du joli mois de mai 2015 pour tenter d’aboutir à un accord ambitieux et contraignant pour ce dimanche 31 mai. 200 étudiants suffisamment concernés par les enjeux environnementaux pour s’engager. Un public jeune, et forcément mieux placé pour réussir, puisqu’il a des convictions que nos dirigeants n’ont pas, d'autant plus que les affinités qui se tissent entre nous aident à l’effort réciproque, au lâcher-prise, au consensus.

Représentant de la délégation amazonienne, je suis donc plutôt content de ce qui se dessine : les discussions informelles auxquelles je participe laissent entrevoir la possibilité d'un futur souhaitable pour le territoire vulnérable au nom duquel je parle. Ce matin, une réunion avec le Brésil, le Pérou et l'Equateur a abouti à une proposition décisive: la création d'un comité transnational pour la gestion de l'Amazonie, qui rassemblerait toutes les parties prenantes et déciderait conjointement et de façon contraignante du taux de déforestation acceptable pour l'année, ainsi que de tous les enjeux concernant ce territoire, dès lors considéré comme un tout. C'est une victoire pour l'Amazonie.

> Lire le récit des dernières négociations sur le site du projet Make it work

Les Etats associés à cette négociation ont été bien obligé de reconnaître qu'une telle entité, pour être efficace, devait avoir un pouvoir de décision s'imposant aux États : ils sont certes associés à la prise de décision, mais plus seuls maîtres à bord. Ce qui en sciences politiques signifie l'abandon d'une part de leur souveraineté nationale, soit la première loi qui commande au monde politique depuis le traité de Westphalie. Évidemment, la COP21 de décembre prochain n'arrivera pas à une telle conclusion !

  • “Pour les Etats, les entités non-étatiques en demandent trop”

Cela ne va pas sans créer de tensions. C’est ce qui s'est ressenti cet après-midi lors d’une confrontation ouverte entre les délégations étatiques et les nouvelles venues - non-étatiques -, accusées par les premières de demander trop. Tout dépend du point de vue, car si on considère les alarmes du GIEC, ce qui est ici réclamé n'est rien de plus que ce qui est nécessaire pour ne pas dépasser le seuil fatidique des 2°C...

Ajoutons à cela une autre crise ouverte lors de la séance pléniere de cet après-midi. Une question par rapport à la représentation de notre vision, ce sur quoi nous travaillons tandis que samedi et dimanche seront consacrés aux moyens d'y parvenir. La proposition d'une déclaration plus visuelle, davantage visionnaire, a reçu un vaste soutien. Avant d'être abandonnée, car dès lors, on sortait du cadre "officiel"...On pourrait pourtant se demander si le cadre onusien, sa forme et ses manières, ne sont pas eux aussi des freins au changement ?

L'impératif temporel nous impose d'aller au plus vite si nous voulons “make it work” et parvenir à un accord dimanche... Ces deux voies ont donc été abandonnées, mais au moins ont-elles eu l'intérêt de chambouler les structures et les individus. Nous sommes donc repartis sur un schéma “normal”, croyant que le but profond de cette simulation est d'accoucher d'un texte, ce qui est loin d’être gagné, tant chaque mot est sujet à d’âpres négociations. Au moins cela nous aide-t-il à prendre conscience de ce que doivent être les négociations quand la “vraie” Australie est autour de la table…

  • “Le but du jeu est-il de trouver un accord ? ou de montrer que sans changer les règles du jeu, aucun accord n’est possible ?”

Cependant, au soir de ce deuxième jour de négociations, une question s’impose à moi. Et  si, au contraire, l'essence de cette simulation était de “make it fail” ? De montrer au public (car pour une fois il est convié à venir découvrir cette "boîte noire") que nous ne pourrons pas gérer l'urgence climatique dans le système international actuel, sans régulations économiques, sans une reconnaissance de la part des Etats que le sujet les dépasse et qu'ils doivent accepter d'abandonner une part de leur souveraineté nationale sur l'autel de la coopération.

Nous avons mis un pied dans la fiction en conviant des entités non-étatiques. La question pour les jours à venir est de savoir si nous continuerons à surfer avec la réalité ou si nous assumerons cette fiction et sauterons à pieds joints dedans."

Robin Dugord, vendredi 29 mai, 23 h

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Légende de l'image de couverture : Sciences Po Make it Work