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22.07.2024

Médailles, finances, transports : Paris 2024 vu par la recherche

Combien de médailles la France peut-elle espérer gagner ? Quel sera l'impact financier des Jeux ? Que faire après avoir été un athlète professionnel (pour ceux qui n'ont pas pensé au statut de sportif de haut niveau de Sciences Po) ? Et si le football olympique avait permis la création de la Coupe du monde ?

L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences Po a sorti sa dernière revue intitulée : Paris 2024, (en)jeux olympiques : un regard pluridisciplinaire

Découvrez l'introduction des chercheurs de l'OFCE, Sarah Guillou et Vincent Touzé, et de chercheurs partenaires, Luc Arrondel et Richard Duhautois.


L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024 est l’occasion d’en mesurer les enjeux et de s’interroger sur diverses questions que suscite leur organisation par les grandes cités mondiales.

La Charte olympique rappelle que son but « est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ». L’idéal olympique se confronte cependant à chaque fois à la réalité de la compétition qui oppose les pays et les quêtes individuelles d’exploits sportifs, aux contraintes d’urbanisme et organisationnelles, et finalement à des enjeux financiers de plus en plus importants qui conditionnent tant le succès de l’édition en cours que la poursuite des éditions à venir.

Ce numéro de la Revue de l’OFCE fait suite à la conférence « Paris 2024, (en)Jeux olympiques : un regard pluridisciplinaire » qui a été organisée à l’OFCE les 22 et 23 juin 2023. Son objectif était d’apporter un éclairage pluridisciplinaire sur les implications sociétales et humaines associées au Mouvement olympique.

Ce numéro de la Revue de l’OFCE rassemble six articles réunis autour de trois thèmes : la compétition entre les nations, l’organisation et l’impact financier ainsi que l’histoire des Jeux et des sportifs. Plusieurs champs disciplinaires sont couverts : l’économie, la sociologie, l’histoire, la géographie et l’urbanisme.

Compétition entre les nations

La communion des nations par le sport que porte le projet olympique s’accompagne des rivalités entre pays qui transitent via leurs champions. « Ciltius, altius, fortius » est la devise olympique. La force symbolique des victoires entraîne une comptabilité des médailles et un grand intérêt aux projections anticipées pour construire le narratif qui précède les Jeux.

Mais est-il possible de prévoir le nombre de médailles ? Le numéro s’ouvre donc sur un article intitulé « La prévision économique des médailles par nation aux Jeux olympiques de Paris 2024 ». Wladimir Andreff, Nicolas Scelles, Liliane Bonnal, Madeleine Andreff et Pascal Favard relient le nombre de médailles obtenues aux caractéristiques économiques et sportives des nations.

Ils s’appuient sur un modèle économétrique qui a été testé sur les palmarès des précédentes olympiades. Il explique le nombre de médailles par la taille de la population, le PIB par habitant, le nombre d’athlètes alignés, le nombre de médailles remportées aux Jeux olympiques (JO) précédents net des disqualifications pour dopage, ainsi que des indicateurs concernant le régime politique, la spécialisation sportive, le fait d’être le pays hôte des prochains Jeux et le fait d’avoir été l’hôte des JO précédents.

Le modèle prédit ainsi que les quatre nations récoltant le plus de médailles sont, dans l’ordre : les États-Unis, la Chine, les athlètes russes et la Grande-Bretagne. Selon ce modèle, la France remporterait entre 47 et 48 médailles, avec des intervalles de confiance allant de 43 à 60 médailles. L’équipe de France se classerait alors à la 5e ou 6e place au classement des médailles selon les variantes du modèle. L’objectif politique initial affiché de 70 à 80 médailles apparaît donc statistiquement improbable. Mais l’objectif révisé de la 5e place est jugé atteignable.

Les rivalités ne s’expriment pas seulement dans les stades mais également en amont pour participer aux Jeux ou les organiser. Les Jeux ont été dès le départ instrumentalisés pour donner un écho à des tensions géopolitiques et une tribune à des questions sociétales. Ils sont aussi le théâtre des rivalités des organisations internationales et de la gouvernance mondiale du sport.

Dans un second article intitulé « Les Jeux olympiques, objet et vitrine des relations internationales », Pascal Gillon analyse la façon dont l’organisation des JO a mis le sport au cœur des relations internationales depuis le début du XXe siècle. Ces Jeux sont organisés par le Comité international olympique (CIO) et impliquent des sphères sportive, économique, de régulation et géopolitique. Les États utilisent le sport pour exercer leur influence internationale, tandis que les ONG et les athlètes utilisent des stratégies comme le « naming and shaming ».

Le CIO essaie de maintenir le contrôle en exerçant son droit de reconnaissance et d’exclusion, tout en développant une diplomatie économique et sportive pour contrer les influences extérieures et se rapprocher de l’ONU.

Organisation et impact des Jeux

Le second thème du numéro entre dans la réalité pratique de l’organisation. Se pose tout d’abord la question du coût net des gains que le pays hôte espère. Les études d’impact sont en général commandées en amont des Jeux afin de valider leur tenue.

Dans « Retombées économiques des Jeux olympiques : splendeurs et misères des études d’impact », Jean-Pascal Gayant revient sur la méthodologie de ces études et explique comment elle s’est affinée au fil du temps et comment ces études sont devenues des outils précieux pour les décideurs publics et les citoyens. La validation de l’organisation des Jeux nécessite des estimations des coûts et bénéfices engendrés et donc de la viabilité économique. Les nombreuses études d’impact, quasi systématiques depuis une quarantaine d’années à l’approche des grands événements, visent à mesurer l’activité économique supplémentaire générée par ces manifestations dans la région concernée.

Pour rester crédibles, l’auteur montre qu’elles doivent respecter certaines règles : se concentrer sur une zone géographique bien définie, s’inscrire dans un cadre temporel court (maximum 12 mois autour de l’événement), utiliser un multiplicateur raisonnable adapté au périmètre et aux dépenses de l’événement, et éviter les spéculations irréalistes sur le tourisme induit ou les investissements directs étrangers futurs. Contrairement aux études à court terme, les études à long terme sont souvent peu convaincantes, tout comme les évaluations de l’impact des grands événements sportifs sur l’emploi.

En respectant ces précautions méthodologiques, Jean-Pascal Gayant évalue l’impact économique des Jeux olympiques de Paris 2024 à un peu plus de 4 milliards d’euros, à comparer avec un coût pour le contribuable estimé à plus de 3,1 milliards d’euros. Derrière le coût se cachent des engagements d’infrastructures et les défis organisationnels ne manquent jamais. En général, organiser les Jeux présente un défi logistique pour les villes d’accueil.

Pour Paris, la question des transports était critique et les polémiques n’ont pas manqué de s’exprimer. Dans « Des “trains” et des “Jeux” : les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 peuvent-ils se passer d’une politique ambitieuse de transports publics ? », Alexandre Faure montre que la candidature parisienne a imbriqué des engagements préexistants de la Ville de Paris et des engagements spécifiques à l’échéance des Jeux, ce qui a compliqué l’exécution et la tenue des délais.

L’article analyse le projet de transport associé à Paris 2024, en examinant les candidatures françaises depuis 1992 et l’évolution du contexte régional. Bien que le projet du Grand Paris Express soit lié à la candidature et à la préparation des Jeux, depuis l’élection de Paris en 2017, il s’est avéré impossible pour les concepteurs et les institutions publiques de respecter les objectifs politiques d’ouverture des nouvelles lignes de métro et de RER avant 2024.

En étudiant les temporalités politiques et urbanistiques, ainsi qu’en analysant la littérature grise, les documents de candidature et les rapports, Alexandre Faure met en lumière la difficulté d’aligner le projet olympique avec les projets d’aménagements et de développement existants.

Histoires de sportifs, histoire d'un sport

Enfin le numéro spécial de la Revue se termine par des perspectives temporelles qui dépassent l’horizon des Jeux : tout d’abord en s’interrogeant sur le devenir des sportifs olympiques, ensuite en retraçant l’histoire d’une de ses disciplines, le football.

Dans l’article intitulé « Les parcours d’insertion professionnelle des ex-sportives et sportifs de haut niveau. Contraintes et opportunités », Cécile Collinet et Jérémy Pierre proposent ainsi une analyse des histoires individuelles de sportifs. Ils rappellent que le devenir professionnel des sportifs de haut niveau est fréquemment débattu dans les médias et suscite l’attention des pouvoirs publics et des sportifs eux-mêmes.

En effet, de nombreux sportifs vivent des difficultés une fois leur carrière arrêtée. La pratique à haut niveau exige un engagement total, rendant difficile la réalisation du double projet classique. Entre rêves de succès exceptionnels et réalités de précarité, il est nécessaire de mener des études approfondies sur le sujet. À travers 61 entretiens biographiques, les auteurs analysent les parcours d’insertion d’ex-sportifs de haut niveau (SHN). Les entretiens réalisés permettent d’examiner les parcours professionnels en relation avec les choix d’orientation, les diplômes obtenus et les opportunités ou difficultés pour trouver un premier emploi.

Leurs analyses révèlent que ces parcours sont marqués par de fortes contraintes, une limitation des incertitudes lors des périodes de transition et un allongement des parcours. Cependant, ils montrent aussi des opportunités grâce aux situations facilitantes offertes aux SHN pour accéder à l’emploi, à condition que celui-ci se situe dans le domaine sportif.

Le numéro se termine par l’histoire du football aux Jeux olympiques, histoire qui est également un condensé des évolutions des Jeux depuis leur création. Dans « Le football aux Jeux olympiques : une histoire de concurrence politique, financière et d’audiences », Paul Dietschy revient sur les 124 ans d’histoire du football olympique. Il explique comment le football a joué un rôle crucial dans l’histoire des JO, cristallisant les tensions géopolitiques, de la guerre froide à la guerre russo-ukrainienne, et soulevant la question de l’amateurisme et de son hypocrisie, les sujets sociétaux d’égalité et de non-discrimination, et les questions d’audience et de notoriété à la source des rentrées financières qui hiérarchisent les disciplines et le pouvoir des fédérations.

Dans les Jeux olympiques de la Grèce antique, s’y pratiquaient des épreuves athlétiques hippiques et de gymnastique correspondant aux pratiques de l’époque. Dans la forme moderne imaginée par le baron Pierre de Coubertin, ce dernier pensait d’abord aux sports dominants à la fin du XIXe siècle. Parmi les sports emblématiques qui seront intégrés aux Jeux olympiques, le football va tenir une place très singulière et, à l’inverse, les Jeux vont être essentiels pour le développement du football international. Malgré une certaine hostilité des dirigeants du CIO, le football a renforcé la viabilité économique des Jeux, conduisant à la création de la Coupe du monde pour les professionnels.

Pendant la guerre froide, le football a mis en lumière les contradictions de l’olympisme avec les faux amateurs de l’Est. Il est aussi devenu une tribune pour les pays africains et les femmes, bien qu’elles n’aient pu participer qu’à partir de 1996. Son statut de sport mondial le plus populaire lui assure une place permanente aux Jeux, alors même que le CIO introduit de nouvelles disciplines comme le breakdance ou le basket à trois.

Les six articles de ce numéro spécial permettent de soulever les questions essentielles que posent l’organisation et la tenue des Jeux, tout comme ils permettent de penser leurs évolutions dans le respect d’une ambition universaliste et humaniste autour du sport et de la performance et en intégrant l’incontournable dimension géopolitique de ce grand événement sportif.

Légende de l'image de couverture : Paris, France, 25 mars 2023 - 5 anneaux symboliques installés devant l'Hôtel de ville de Paris. La France accueillera les JOP à l'été 2024. (crédits : P-Kheawtasang / Shutterstock)