Accueil>"Mes mentors m’ont dit : “Sois courageux ! Lance-toi !”

03.01.2017

"Mes mentors m’ont dit : “Sois courageux ! Lance-toi !”

Karim Goessinger est de nationalité égyptienne et autrichienne. En 2011, il assiste à la révolution égyptienne depuis Paris où il étudie en master à Sciences Po. Spectateur d’événements qui ont transformé pour toujours les mentalités égyptiennes, il rentre au Caire à la fin de son Master et crée CILAS, le premier Liberal Arts College égyptien. Rencontre

Comment vous est venue l’idée de créer un Liberal Arts College au Caire ?

En 2011, quand il y a eu la révolution en Égypte, ça a créé un espace incroyable ! Les jeunes parlaient de changement social et j’observais à distance - car j’étais à l’époque en Master à Paris - que les jeunes égyptiens commençaient à discuter de la pensée de Marx, à parler des théories de justice, etc. Cet élan révolutionnaire a duré quelques mois, mais sans cadre pour se développer, il ne pouvait pas perdurer. C’est pourquoi mon idée a été de créer un cadre pour que cet élan révolutionnaire, cette pensée critique naissante puisse grandir. Tous ces jeunes révolutionnaires n’avaient pas de fondamentaux théoriques, mais j’ai trouvé chez eux une grande sensibilité, et de bonnes intuitions pour des projets innovants. Par exemple, ils ont créé des espaces de coworking pour pouvoir se rassembler facilement et continuer à débattre. Lors des réunions dans les espaces de coworking, ils avaient envie d’étudier les grands textes, mais comment aborder ces textes souvent ardus sans méthodologie ? En Égypte, la qualité de l’enseignement supérieur est mauvaise et les universités forment seulement aux disciplines techniques, très professionnalisantes. Aujourd’hui, les jeunes ont envie d’autre chose. En observant tout ça, je me suis dit que je pouvais les faire bénéficier des études que j’ai suivies aux Pays-Bas et en France. Mes amis m’ont soutenu, mes mentors m’ont dit “Sois courageux ! Lance-toi !”, et en 2013, j’ai créé CILAS, le Cairo Institute of Liberal Arts and Sciences.

Comment se déroule la formation à Cilas, et quelles sont les disciplines enseignées ?

La formation dure un an et s’articule en trois parties. Comme dans tous les Liberal Arts Colleges au monde, on commence par étudier un tronc commun. Les disciplines enseignées sont les humanités, les arts et la culture, les sciences sociales et les sciences naturelles. L’objectif pour les étudiants est d’acquérir des fondamentaux théoriques. Pendant le premier trimestre, les étudiants nous font également part des sujets qui les intéressent et qu’ils aimeraient traiter. En fonction de leurs intérêts, nous créons les cours thématiques du 2e et 3e trimestre.

Quels ont été les thèmes phare de 2015-2016 ?

Nous avons monté un cours sur la photo et les différentes manières de voir la ville, un cours sur l’État, en nous concentrant particulièrement sur le continent africain, un cours sur la question de la justice alimentaire en Égypte, un cours sur les élites, un cours dédié à la République de Platon ou encore un cours sur la folie enseigné par une anthropologue.

Un cours sur la folie ?

Oui la révolution en Égypte a créé énormément d’espoirs, et l’échec de ce mouvement a été un choc violent, une immense déception pour le peuple. Il n’est pas possible pour les citoyens de revenir en arrière, et de faire comme avant, de penser comme avant. Une porte a été entrouverte. Aujourd’hui, de nombreux égyptiens sont dévastés et très déprimés. C’est ce qui explique que les étudiants aient souhaité comprendre ce phénomène qu’est la folie et la dépression.

Comment se déroule un cours à CILAS? J’imagine que l’on est loin du cours magistral.

Pas de cours magistral en effet chez nous. On travaille par petits groupes de huit personnes réunies autour d’une table et l’apprentissage passe par la discussion. Le cours débute par exemple par un Ted Talk, un texte lu à haute voix, ou un podcast. C’est un moment qui permet aux étudiants de réfléchir à ce qu’ils savent sur le sujet, de rassembler leurs ressources. Ensuite, le professeur anime une discussion. A la fin de la séance, les étudiants proposent des questions et le professeur leur propose une liste de ressources bibliographiques, des vidéos, des podcasts, etc. Une semaine plus tard, les mêmes étudiants traitent les questions d’un point de vue théorique.

Qui sont les étudiants ? Qui sont les enseignants ?

Les étudiants sont des égyptiens de tous les âges et de toutes les classes sociales, mais aussi des réfugiés venus du Soudan, d’Érythrée ou de Syrie. Les étudiants ont entre 30 et 60 ans, mais la plupart ont entre 20 et 30 ans. Les promotions rassemblent 24 personnes et nous réservons six places pour les réfugiés. A l’issue de leur année d’études à CILAS, les étudiants reçoivent un diplôme de Liberal Arts. Nos enseignants sont des diplômés de grandes universités étrangères comme Harvard, Yale, Oxford ou Sciences Po. Ce sont des personnes qui aiment l’Égypte et veulent faire autre chose que de la recherche.

Comment financez-vous CILAS?

Nos coûts de scolarité sont très faibles mais nous permettent cependant d’être auto-financés. En parallèle, nous menons des campagnes de crowdfunding et nous recevons de l’aide de certaines fondations. La Fondation Ford par exemple nous a donné de l’argent, mais l’État égyptien ne nous a pas permis d’accéder aux fonds. Récemment, un philanthrope égyptien nous a offert un immeuble au Caire, qui se trouvait être le siège des surréaliste en Égypte ! C’est donc à cette adresse symbolique que CILAS est aujourd’hui installé.

Légende de l'image de couverture : Suvaid Yassin