Accueil>“L'histoire permet de garder confiance en notre capacité à surmonter les crises”
14.09.2016
“L'histoire permet de garder confiance en notre capacité à surmonter les crises”
Face au réveil des intégrismes et de la violence extrême, Jean Picq, professeur de philosophie politique à Sciences Po et président honoraire à la Cour des comptes, nous invite à relire l’histoire de France, tiraillée entre la politique et la religion. Et de repérer les temps forts qui ont permis de définir de nouveaux rapports entre le spirituel et le temporel pour voir triompher la raison au service de la paix civile.
Pourquoi un retour historique vous paraît-il essentiel ?
Mon livre, Politique et religion - Relire l'histoire, éclairer le présent, est sorti en librairie le 24 août, jour anniversaire de la Saint Barthélémy. Ce qui nous renvoie à un rappel historique. Le choix de mettre fin aux guerres de religion - qui fut fait par Henri IV en 1598 avec l’Edit de Nantes, trente ans après le massacre - était le signe avant-coureur de l’exigence d’un État impartial que consacra la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, texte fondateur de la laïcité. Relire l’histoire permet de redécouvrir des événements enfouis dans la mémoire collective, de comprendre le chemin parcouru, d’accepter la loi du temps. Ce peut être aussi, je le crois, une manière féconde de ne pas perdre confiance en notre capacité collective à surmonter les crises.
La politique et la religion entretiennent-elles toujours des liaisons dangereuses ?
Les passions politiques quand elles se déploient sur fond de religion sont un danger...On le voit aujourd’hui. La séparation entre le politique et le religieux s’est imposée comme un régime de raison dans les démocraties européennes, pour éviter toute interférence. Tandis qu’on cherche pour des raisons politiques à instrumentaliser les peurs, il paraît plus sage de prendre appui sur les règles accouchées au fil du temps pour fixer des rapports pacifiés. Tel est l’un des enjeux avec l’islam en France. Si l’histoire offre des exemples de crises d’une rare violence elle est aussi marquée par des moments où la raison triomphe au service de la paix civile. Mon essai invite à croire en la force de l’État de droit pour maintenir l’ordre public dans le respect des convictions de chacun. Mais encore faut-il que l’inventivité l’emporte sur le dogmatisme, la volonté de fraternité sur l’intolérance. Il est permis d’espérer.
Pourquoi la laïcité fait-elle polémique en France ?
La laïcité fait polémique parce qu’elle est le lieu d’un affrontement entre deux visions : l’une, issue des Lumières, tend à faire de la laïcité une nouvelle religion et à imposer la neutralisation de toutes les autres religions dans l’espace public ; l’autre, conforme à la pensée d’Aristide Briand, exige de l’État et des agents publics une parfaite neutralité mais considère l’espace public comme ouvert à la pluralité des options philosophiques et religieuses. Cet affrontement, très largement entretenu par la longue guerre scolaire, n’a pas complètement disparu de nos jours. Pourtant, l’article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 est sans ambiguïté quand il rappelle que la République « assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi.…sans distinction de religion » et « respecte toutes les croyances ». Si elle les respecte, ce n’est pas pour leur enjoindre de se taire. Il faut rappeler que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ratifiée par la France a introduit dans notre État de droit la liberté de religion, terme inconnu dans le débat politique, qui autorise l’expression publique des convictions dans l’espace public à la seule condition, il est vrai capitale, qu’elles ne troublent pas l’ordre public.
Quelle place les religions doivent-elles occuper dans l’espace public ?
Entre la sphère de l’intime et la sphère publique, il y a l’espace public, ce lieu par excellence où toutes les libertés s’exercent, où toutes les convictions peuvent s’exprimer pourvu que ce soit avec retenue et dans le respect d’autrui et de l’ordre public. La vitalité du débat démocratique – sur la justice et la solidarité, l’accueil de l’étranger et le droit de la nationalité, l’éducation ou la laïcité – ne peut que tirer profit de la pluralité des options politiques comme des convictions philosophiques et religieuses. L’homme est un. Comment pourrait-il se priver dans l’exercice de sa liberté de citoyen du soutien que lui donnent sa foi ou ses options existentielles et dans sa liberté de croyant ou d'"incroyant" du cadre de réflexion que lui ouvre l’espace public. Si la démocratie doit tenir résolument en échec toute autorité qui tente de ramener dans l’orbite du religieux le débat humain, il n’est pas inutile, face à l’affaissement des espérances investies dans l’action politique et à l’individualisme à l’œuvre dans nos sociétés de consommation, de rechercher dans le thésaurus des grandes traditions religieuses ce qui peut éclairer les enjeux du présent.
En savoir plus
-
Jean Picq - Politique et religion - Relire l'histoire, éclairer le présent - Presses de Sciences Po