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09.12.2019

Olivier Dabène : « Le street art encourage une démocratie de rue »

Acte illicite ou bien expression démocratique ? Dans son dernier ouvrage, Street Art and Democracy in Latin America, Olivier Dabène, chercheur au Centre de relations internationales de Sciences Po, s'interroge sur la nature politique du street art en Amérique latine. Interview.

D’où vient votre intérêt pour le street art ?

A l’origine de ce projet, il y a un séjour de deux ans (entre 2000 et 2002) à São Paulo, au Brésil. A l’époque, je m’intéressais surtout à la démocratie telle qu’elle pouvait fonctionner au niveau local dans des contextes difficiles, avec des niveaux de violence élevés et des inégalités dramatiques. C’est au cours de mon enquête dans les quartiers les plus défavorisés de la ville que j’ai découvert une créativité fascinante. J’ai commencé à étudier la manière dont certains groupes d’exclus se servaient de l’art comme expression de leur frustration et comme accès et contribution au débat public. La musique rap et la littérature que l’on pourrait qualifier de marginales ont fait l’objet d’un livre (Exclusion et politique à São Paulo. Les outsiders de la démocratie au Brésil publié chez Karthala en 2006), tandis que d’autres formes d’expression artistique politiques intéressantes étaient reléguées au second plan. Après dix années passées à explorer d’autres sujets, ma fascination pour la culture urbaine a repris le dessus et j’ai entamé une recherche comparative sur le street art et la démocratie.

Quelle est la thèse de l’ouvrage ? Quelles en sont les idées principales ?

Il y a deux arguments principaux dans le livre. D’abord, lorsque les artistes envahissent l’espace public pour exprimer leur rage et faire connaître et diffuser leurs revendications ou leurs points de vue, ils contribuent à une prise de conscience du public et demandent des comptes aux autorités. Ils peuvent également interagir avec leurs voisins et contribuer au resserrement de liens communautaires. En conséquence, et tel est mon argument, ils se comportent en citoyens urbains et encouragent une démocratie délibérative de rue et ce, même s’ils violent la loi régulièrement. Ensuite, le street art révèle la manière dont l’espace public est gouverné. Lorsque les autorités locales tentent de contenir, de réguler, et de surveiller – voire de réprimer – les invasions de l’espace public, ils peuvent atteindre leurs objectifs de façon démocratique si, au lieu de pénaliser l’activité, ils entament un dialogue avec les artistes et tentent d’aboutir à une forme d’entente fondée sur la conception de la ville comme un bien commun.

Quelle méthodologie avez-vous adoptée ? Comment avez-vous choisi les lieux que vous avez étudiés et les artistes que vous avez interrogés ?

J’ai conduit 63 entretiens dans cinq villes latino-américaines afin de collecter des données empiriques et réaliser des études de cas approfondis de chacune de ces villes. J’ai choisi les cinq villes en fonction de leur distance par rapport à un idéal-type démocratique qui s’appuie sur deux éléments qui se chevauchent et se nourrissent mutuellement : des artistes citoyens urbains qui renforcent la démocratie depuis la rue et des autorités désireuses de délibérer à propos de l’usage des espaces publics et d’encourager la gouvernance urbaine collaborative. Mon cas « repère » était Bogota (en Colombie), puis il y a eu São Paulo (Brésil), Valparaíso (Chili), Oaxaca (Mexique) et La Havane (Cuba).

Existe-t-il une contradiction – chez les street artists – entre le fait d’agir comme un citoyen urbain et le fait de violer la loi ?

Le fait de violer la loi est un acte de défiance qui porte un sens politique. La plupart des artistes que j’ai interrogés m’ont expliqué qu’ils avaient un message à transmettre et qu’ils avaient choisi de leur faire en intervenant sur un mur, même s’ils prenaient le risque d’être arrêtés ! Pour moi, les street artists sont des citoyens urbains si/quand ils expriment publiquement des sujets de préoccupation communs. La légalité n’est pas un critère. J’admets volontiers que c’est une posture dont on peut débattre mais je mets délibérément l’accent sur ce qu’on appelle communément l’empowerment, c’est-à-dire, dans ce cas précis, la capacité des groupes défavorisés à accéder au demos. Pour moi, la démocratie délibérative peut bien s’accommoder de quelques expressions illégales.

De quelle façon le street art montre-t-il la manière dont l’espace public est gouverné ? 

Il suffit d’observer les murs des villes pour savoir si les municipalités sont disposées à tolérer ou même à encourager certaines formes de street art ou si, au contraire, elles ne le sont pas et se précipitent pour repeindre les murs. En allant un peu plus loin, on observe différents types d’interactions entre les artistes et les autorités. J’ai été particulièrement intéressé par la gouvernance coopérative, lorsque les artistes et les autorités ouvrent un espace de délibération et tentent de trouver un terrain d’entente, se mettent d’accord sur certaines règles inspirées de la conception de la ville comme appartenant à tous.

Quelles surprises ont émaillé cette recherche ?

Je savais à l’avance que les artistes que j’allais rencontrer avaient de nombreuses histoires à me raconter sur le politique mais cette recherche de terrain m’a apporté plus que ce que j’avais espéré. Les artistes de La Havane, bravant les interdits pour intervenir sur les murs du centre-ville par exemple. Je ne m’attendais pas à trouver autant d’artistes s’exprimant publiquement à Cuba. Reste qu’au-delà des surprises, ce projet m’a offert des rencontres incroyables. J’ai vraiment apprécié ce terrain. Les conversations que j’ai pu avoir avec les artistes étaient fluides et nous parvenions à aller au cœur des choses et de leur besoin de partager des émotions.

Propos recueillis et traduits par Miriam Périer.

En savoir plus

Olivier Dabène, Street Art and Democracy in Latin America, Palgrave, 2019

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Légende de l'image de couverture : Ron Ellis / Shutterstock