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23.06.2016

Les paris risqués de David Cameron

Les Britanniques votent ce jeudi 23 juin dans un référendum portant sur le maintien de leur pays dans l’Union européenne. Ce vote leur avait été promis en 2013 par le premier ministre conservateur, David Cameron. Il s’agissait alors pour le leader faible d’un parti divisé d’une promesse dont les coûts paraissaient bien éloignés et la réalisation improbable. Alors qu’il visait surtout à conforter sa position contestée comme leader du Parti conservateur et unioniste (pour le Royaume-Uni), il est possible qu’il reste dans l’Histoire comme l’homme politique responsable de l’éclatement du pays, d’une crise peut-être fatale de l’Union européenne (UE) et, enfin, d’une crise économique.

Comment en est-on arrivé là ?

Élu leader de son parti en 2005, David Cameron s’est très vite trouvé affaibli par l’émergence d’un parti souverainiste, Ukip (UK Independence Party) dont les bons résultats aux élections européennes de 2009 avaient provoqué un malaise dans l’aile eurosceptique du parti conservateur. Une première concession avait conduit Cameron à retirer ses parlementaires à Strasbourg du Parti populaire européen (PPE) pour fonder un groupe souverainiste et anti-fédéraliste avec le parti polonais Droit et justice.

En 2010, il avait également mené son parti à une victoire très étroite sur les travaillistes qui l’avait contraint à former le seul gouvernement de coalition de l’après-guerre avec les très pro-européens Libéraux démocrates. Si cette alliance avait permis à Cameron de devenir premier ministre, elle l’avait affaibli en contribuant à radicaliser son aile droite, frustrée de la modération apportée par le parti centriste en matière de politiques économiques et sociales ou vis-à-vis de l’Europe.

En 2013, Cameron craignait des résultats catastrophiques aux élections européennes de l’année suivante. Son gouvernement restait faible dans un contexte de crise économique prolongée et une victoire aux élections générales de 2015 paraissait très incertaine. La promesse faite pour calmer les divisions internes à son parti était facile. La justification était qu’un tel référendum pourrait régler une bonne fois pour toutes la question européenne, dans le pays et dans le parti.

Le discrédit profond de la classe politique

Réélu presque par surprise en 2015 – on se souvient que l’ancien leader libéral démocrate avait annoncé durant la soirée électorale qu’il mangerait son chapeau si les conservateurs l’emportaient –, Cameron avait obtenu une majorité absolue grâce à un mode de scrutin uninominal majoritaire à un seul tour aux effets très disproportionnés et à une campagne extrêmement ciblée dans les quelques circonscriptions susceptibles de changer de main. Il s’est alors trouvé contraint d’honorer sa promesse de 2013, réitérée durant la campagne.

Cameron est un pragmatique plus qu’un idéologue. Il aime les risques et a une confiance en sa bonne étoile et en ses talents de négociateur. Leader faible, il a concédé – avec une légèreté remarquable pour le premier ministre d’un système institutionnel dans lequel la souveraineté parlementaire, et non pas populaire, est la clef – l’organisation de plusieurs référendums.

Les partisans du « Remain » en campagne sur la Tamise, à Londres, le 15 juin. Ben Stansall/AFP

De telles décisions ne peuvent être comprises que si l’on considère le discrédit croissant et profond de la classe politique. La crise des institutions représentatives n’a pas été enrayée par les gouvernements travaillistes – pas plus que le très pro-européen Tony Blair n’a su convaincre ses concitoyens. Elle s’est aggravée pour des raisons qui ne sont pas dissimilaires de celles qui président aux succès des populistes en Europe et aux États-Unis.

La Grande-Bretagne n’est plus, dans les urnes, un pays bipartite : les conservateurs et les travaillistes sont désormais devancés par le parti des abstentionnistes. Les adhérents ont déserté, les enquêtes d’opinion montrent un rejet profond du politique. Le mode de scrutin permet de maintenir la domination d’un gouvernement unicolore majoritaire aux Communes mais appuyé sur environ un quart de l’électorat.

Concessions trop limitées

Mis en confiance par la victoire de son camp pour le référendum sur la réforme du mode de scrutin en 2011, Cameron a accordé aux nationalistes écossais l’organisation d’un référendum sur l’indépendance. Leur défaite avait été obtenue in extremis en 2014 grâce à la mobilisation des travaillistes. Cameron y avait gagné l’effondrement du travaillisme écossais, l’affaiblissement du travaillisme britannique et peu de gloire, compte tenu de sa désinvolture durant la campagne comme après.

Le nationalisme écossais en expansion. the justified sinner/Flickr, CC BY-NC-SA

Réélu, Cameron a négocié avec ses partenaires européens des concessions trop limitées pour satisfaire les anti-européens. Après avoir martelé pendant des mois qu’il demeurait agnostique tant que les négociations n’étaient pas closes, il est apparu peu crédible en proclamant brutalement son enthousiasme europhile quelques mois avant le vote.

Il se trouve également à conduire une campagne au côté de ses opposants politiques traditionnels (travaillistes, verts, nationalistes, libéraux-démocrates) contre des membres de son parti et de son gouvernement, dont les populaires Michael Gove (ministre de la Justice) et Boris Johnson (ancien maire de Londres).

L’UE, un sujet clivant… et ignoré

L’appartenance à l’Union européenne est un sujet clivant au Royaume-Uni. Elle divise les conservateurs depuis l’ère Thatcher. Il ne s’agit pourtant pas d’une priorité de l’électorat. Les Britanniques sont préoccupés par l’état de l’économie, l’immigration, la sécurité, les services publics de la santé et de l’éducation, les politiques d’austérité. Ils sont appelés à se prononcer sur un sujet sur lequel ils sont particulièrement ignorants : ce sont les citoyens de l’Union dont le niveau de connaissance sur ce que fait l’UE est le plus bas.

Dans les années 80, Jacques Delors était alors la bête noire des eurosceptiques britanniques. Duncan Hull/Flickr, CC BY-NC-SA

Ceci n’est guère surprenant. Ils ont, depuis quarante ans, entendu leurs gouvernements successifs accuser « Bruxelles » dès qu’une décision impopulaire devait être prise. Ils sont gros consommateurs d’une presse populaire qui fait ses choux gras de mythes eurosceptiques plus ou moins incroyables mais rarement combattus par les élites politiques, y compris europhiles.

La campagne menée a, par ailleurs, peu contribué à améliorer leur niveau d’information. Les deux camps ont tellement usé de demi-vérités et de mensonges que les universitaires ont publié une lettre dans le quotidien conservateur The Telegraph, rappelant qu’un référendum ne peut être considéré comme démocratique que si la campagne informe plutôt que désinforme. Les campagnes référendaires conduisent souvent les électorats à se prononcer sur une question qui n’est pas celle qui est posée. Elles sont susceptibles d’être détournées à des fins populistes.

Alors que le « Remain » a surtout mobilisé des arguments rationnels et des rapports d’experts, notamment économiques, sans convaincre un public qui se méfie des élites, le camp du « Leave » mobilise un registre émotionnel en promettant de rendre au pays sa grandeur passée (« to make Britain Great again »), de défendre les intérêts de la population (contre les élites, l’eurocratie, et les migrations). En l’occurrence, les enquêtes montrent que de nombreux électeurs risquent de se prononcer sur l’immigration, qui est devenue le thème central de la campagne des partisans du Leave à l’instigation du parti Ukip.

Un leadership déjà condamné

Dans ce contexte, les enquêtes d’opinion montrent depuis des mois les deux camps au coude à coude et une forte proportion d’indécis. À l’approche du jour J, la panique gagne le camp pro-EU, les marchés financiers, les environnementalistes, les syndicalistes, les investisseurs, la communauté internationale. Le Brexit a cessé d’être improbable malgré la tendance des électorats à choisir le statu quo dans des situations d’incertitude.

L’assassinat d’une députée travailliste faisant campagne pour le maintien par un homme ayant des sympathies d’extrême-droite et anti-européenne illustre le tour émotionnel et dramatique pris par un débat complexe d’autant plus confus qu’il engage l’avenir de la nation. Le résultat dépendra de la mobilisation différentielle des électorats. Les eurosceptiques, très mobilisés, bénéficient en outre d’un électorat plus âgé dont les taux de participation sont généralement plus élevés. Les jeunes, plus européens, se déplaceront-ils ?

L’Union Jack en berne au-dessus du 10 Downing Street, le 17 juin. Daniel Leal-Olivas/AFP

David Cameron a fait un pari de courte vue : il a préservé son autorité en 2013 et en 2015 contre les frondes internes au parti conservateur, mais son leadership est condamné, quels que soient les résultats et il pourrait rester dans les mémoires comme le premier ministre qui a présidé à la sortie de son pays de l’Union européenne, au démantèlement de l’Union de 1715, à une période d’incertitude politique et économique sans précédent pour son pays comme pour ses partenaires.

Dans ces conditions, faut-il vraiment s’étonner que les Britanniques n’aient plus confiance dans la capacité de leurs hommes politiques à se mobiliser pour le bien commun ?

The Conversationpar Florence Faucher, Professeure de sciences politiques - Centre d’études européennes de Sciences Po

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Légende de l'image de couverture : ©Russell Watkins/Department for International Development