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10.08.2016
“Passer du temps avec les prisonniers m’a permis de choisir mon métier”
Une soixantaine d’étudiants des campus de Paris et Poitiers se rendent chaque semaine en prison pour animer des ateliers culturels via l’association Genepi. Une expérience engagée, parfois militante, dont ils sortent changés. Reportage.
Douze portes. Adèle Ephraïm les a comptées. Pour accéder à « sa » salle dans la maison d’arrêt de Nanterre où elle organise soutien scolaire ou Monopoly dans le quartier des mineurs, il lui faut franchir douze sas. Il y a aussi le cliquetis des serrures, les murs gris, l’interdiction de porter des vêtements trop près du corps. La frêle co-présidente de l’association Genepi, élève de deuxième année, l’avoue « J’ai toujours peur de me perdre dans les couloirs, de ne plus retrouver la sortie » Avec les détenus en revanche, la jeune femme s’est vite sentie en confiance : « Ils ont 16, 17 ans et moi 19. Nous sommes dans l’échange, pas dans le rapport de forces comme avec l’autorité pénitentiaire. On oublie vite l’incarcération pour se concentrer sur la rencontre. Les jeunes sont demandeurs, s’attachent rapidement, parfois trop. L’un d’entre eux m’a dit de lui faire signe si on m’embêtait dehors !»
Avec le Genepi, fondé en 1976 par Lionel Stoléru, 60 étudiants de Sciences Po franchissent toutes les semaines les portes de Fresnes, de Fleury- Mérogis, de Versailles, de Nanterre. A chaque rentrée, l’association refuse du monde. La prison fait parfois fantasmer ou rêver ceux qui ont trop regardé de séries télé. Morgann Pernot, co-Présidente du Genepi Paris l’affirme : « Il ne s’agit pas de se rendre une fois en prison comme au zoo. Notre démarche est militante et politique, on plaide pour des mesures alternatives à l’enfermement.» Les Genepistes proposent des ateliers pour s’initier au théâtre, dessiner, créer une revue de presse ou du soutien scolaire.
En France, 1200 bénévoles de l’association oeuvrent en faveur du décloisonnement des institutions carcérales par la circulation des savoirs. La matière proposée, parfois, sert de prétexte. « On discute de tout librement, affirme Adèle, je peux passer d’Hannah Arendt à un jeu de cartes, si l’ambiance s’y prête. L’important est d’offrir une bulle, un sas de décompression qui appartient aux détenus. »
Depuis 2010 un projet collectif baptisé « Délibertés » est animé du même état d’esprit sur le campus de Sciences Po à Poitiers. Dix étudiants partent à la rencontre des 500 détenus de la maison d’arrêt de Vivonne et proposent arts plastiques, théâtre ou match de foot avec l’équipe de Sciences Po. «Il s’agit d’offrir un peu d’oxygène à l’univers carcéral, souligne Thomas Defaye, coordinateur de la vie étudiante, et de faire découvrir aux étudiants une réalité qu’ils ne connaissent pas». Pierre Pendanx, étudiant de première année, ne risque pas d’oublier sa « première fois » : « On nous a enfermé à trois dans une cellule pour nous montrer les conditions de vie réelles des prisonniers. Cela fait un certain effet, et depuis le discours sur les soi-disant “prisons de luxe” m’atterre ».
Pour les co-présidentes du Genepi, c’est surtout l’extérieur qu’il faut convaincre. «Certains amis trouvent que je ferai mieux de m’occuper d’une cause plus noble. Mon père avait peur que je tombe amoureuse d’un taulard, s’amuse Adèle. Pourtant, passer du temps dans ce milieu m’a permis de choisir mon métier. »
Car c’est décidé, Adèle sera Juge d’application des peines. Morgann veut enseigner en milieu défavorisé. Pierre se réjouit, lorsqu’on parle d’enfermement, de connaître la réalité française. La prison, une sacrée leçon.
Par Ariane Bois
Article issu du numéro 5 (printemps 2016) d'Émile Boutmy Magazine, publié avec l'aimable autorisation de l'Association des Sciences Po.
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