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03.12.2020
“Protestas”, une websérie aux couleurs de l’activisme latino-américain
En Amérique latine, l'année 2020 a été marquée par d'immenses mobilisations en faveur d'une démocratisation profonde des régimes politiques et une modernisation des sociétés. Des mouvements qui ont su se réinventer pour s'adapter à la pandémie. C’est cette réinvention que raconte la websérie “Protestas”, née d’une collaboration entre journalistes et chercheurs de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC/CERI Sciences Po). En huit épisodes, ces vidéos explorent l’infatigable créativité de ces mouvements sur le continent, et leurs résonances au-delà. Entretien avec Olivier Dabène, chercheur au CERI et président de l’OPALC, à l’occasion du lancement de la série.
>> Suivez le webinar “Protestas” : regards croisés sur les mobilisations en Amérique latine en 2020, le 3 décembre à 17 h
Comment est né ce projet de websérie vidéo ? Pourquoi avoir choisi ce média, plutôt original pour parler d’un travail de recherche ?
Olivier Dabène : Nous menons depuis quelques années un projet de recherche-action sur les questions de gouvernance et de mobilisation citoyenne en Amérique latine, qui est un véritable laboratoire des formes de participation*. C’est déjà une démarche singulière en soi car elle repose sur un dialogue avec les acteurs de la société civile, les ONG, les fondations : nous nous enrichissons mutuellement de nos approches, pour tenter de comprendre ces formes de participation citoyennes, dans toute leur originalité et leur diversité, et comment elles peuvent avoir un impact sur la gouvernance des démocraties. Dans un premier temps, nous avons réalisé un ouvrage (esp). Pour la phase suivante, nous avons décidé de changer de mode de diffusion en fabriquant une websérie vidéo, afin d’atteindre des publics plus larges. C’est important pour nous de pouvoir aussi assumer cette fonction sociale de la recherche. Puis le Covid est arrivé...
En quoi l’arrivée de la pandémie mondiale a bousculé le projet, sur le fond et la forme ?
Olivier Dabène : En réalité, la crise du coronavirus a constitué un formidable effet d’aubaine pour cette recherche. Nous nous sommes rendus compte que les acteurs que l’on observait étaient, comme tout le monde, frappés de plein fouet par la crise, mais que cela décuplait leur inventivité et leur créativité. Il n’a jamais été question pour eux de se mettre à hiberner...et pour nous non plus ! Voilà comment notre thématique de départ s’est infléchie vers une nouvelle question : comment l’activisme en Amérique latine se réinvente au temps du Covid ? C’est ce que l’on découvre dans les vidéos : en Argentine, par exemple, le “ruidazo” fait résonner les casseroles dans tout le pays à la même heure pour prendre le relais des manifestations contre les féminicides, alors que les cacerolazos colombiens ont laissé place aux assemblées de quartier. Au Chili, une révolte 2.0 se substitue à la rue. Ailleurs encore, les créations du street art se portent désormais sur les masques. Chaque vidéo propose une étude de cas différente. Évidemment, la pandémie a bousculé nos propres plans pour la production. Il a fallu intégrer les entretiens à distance dans la grammaire visuelle de ce documentaire, en gardant un résultat qualitatif.
C’est plutôt réussi ! En quoi le format vidéo est-il compatible avec un travail de chercheurs ? Comment avez-vous travaillé avec les journalistes ?
Olivier Dabène : C’est une expérience inédite pour nous, et une sacrée aventure ! Nous n’avons pas l’habitude de travailler avec des journalistes, et les théories ne conduisent pas toujours à de belles images... Là où notre langage de chercheurs est souvent complexe et long, il a fallu clarifier beaucoup ce que l’on voulait démontrer. Nous avons beaucoup dialogué pour nous mettre d’accord sur un canevas. Les journalistes Margot Loizillon et Raphael Lubczanski ont fait le choix du documentaire sans voix off. L’histoire est racontée par les acteurs eux-mêmes. Cela nous a coûté beaucoup ! Mais au final, l’absence d’un narrateur qui assène les vérités rend service au sujet : il s’agit d’une démarche citoyenne, qui incite à la réflexion et attise la curiosité. Nous ne donnons pas toutes les clés...C’est un peu comme le street art, sujet sur lequel j’ai beaucoup travaillé : plus c’est bizarre, intriguant, plus c’est démocratique. De cette expérience, je retiens une leçon passionnante : il est possible de se montrer rigoureux dans une démonstration sans être professoral…
La série Protestas compte huit épisodes, chacun consacré à l’histoire d’un mouvement dans un pays. Quel est le fil rouge de cette histoire ?
Olivier Dabène : Il est constant : il s’agit d’étudier la façon dont des citoyens entrent dans la participation. Les registres et les modes d’action changent d’un pays à l’autre, d’une thématique à l’autre, mais les mouvements de la société civile ont en commun cette grande spontanéité et une immense créativité. Chaque épisode donne un coup de projecteur sur un sujet, une lutte précise, mais nous ne cherchons pas à être exhaustifs. Nous voulions aussi montrer différents visages de ces mouvements, et pas uniquement des “héros” et des passionaria romantiques qui obtiennent gain de cause. Aux côtés de l’incroyable écho des luttes féministes nées au Chili, dont le chant de “Las Tesis” est devenu un hymne mondial , il existe des activismes autour de causes moins connues - l’assassinat des prêtres au Mexique par exemple - ou incarnés par des personnages pas forcément agréables mais dont l’opportunisme se révèle efficace, comme au Costa Rica.
En quoi cette expérience inédite va influer sur la suite du projet ?
Olivier Dabène : Nous allons réaliser une série de présentations de chaque étude de cas. Nous allons aussi intégrer ces vidéos dans nos outils pédagogiques : ce sont d’excellents supports pour la discussion avec les étudiants. Sur le terrain, la politique ne s’arrête jamais, et les mouvements, qui ont maintenu leur vigilance durant la pandémie, vont reprendre de plus belle après. L’Amérique latine est la région du monde où la catastrophe sanitaire se révèle la plus massive : la pandémie a créé de nouveaux motifs pour aller manifester. Nous n’allons pas manquer de sujets pour continuer cette recherche...
Propos recueillis par l’équipe éditoriale de Sciences Po
À propos de la série
Voir tous les épisodes sur la Chaîne Youtube de Sciences Po
La série web Protestas est produite par l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC / CERI Sciences Po), dans le cadre d’une recherche en cours sur les nouvelles formes d’activisme en Amérique latine, en partenariat avec Transparencia por Colombia et le soutien financier de la Fondation Charles Léopold Mayer (FPH). Produit d’une collaboration entre un groupe de 8 chercheurs et les journalistes/réalisateurs Margot Loizillon et Raphael Lubczanski, elle présente des activistes et leurs initiatives en huit épisodes :
- Chili, « Ce n’est pas de la sècheresse mais du pillage » (Antoine Maillet et Antoine Faure)
- Colombie, « Des cacerolazos à une assemblée de quartier » (Claire Launay)
- Pérou, « La gauche émergente » (Roman Perdomo)
- Costa Rica, « L’école de la manif’ » (Dennis Petri)
- Mexique, « Justice pour les prêtres assassinés » (Dennis Petri)
- France, « Alterta Feminista », (Roman Perdomo et Noémie Dreux)
- Argentine, « Tout le quartier a résonné » (Rocio Annunciata)
- Colombie et Mexique, “Le street art sans la rue” (Olivier Dabène)
En savoir plus
- Olivier Dabène, Professeur de science politique, chercheur au CERI et président de l'OPALC
- Le site de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC)
- Le site du Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI)