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05.03.2025

Quel avenir pour les crypto-actifs ?

Après que Donald Trump a déclaré vouloir positionner les États-Unis comme « capitale mondiale de la crypto » avec le projet de mettre en place une réserve fédérale de cinq cryptomonnaies, ces dernières ont repris de l’allant sur les marchés financiers. Pourtant, ce sont aussi des actifs particulièrement risqués, entre la  plateforme d’échange de cryptomonnaies - Bybit -  qui perd 1,5 milliard de dollars dans une cyberattaque, et un président, l'Argentin Javier Milei, qui se retrouve au cœur d’un cryptogate.

Faut-il y croire ou s’en méfier ? Entretien avec Céline et Nadia Antonin, économistes respectivement à l'OFCE et à la Banque de France, qui publient Crypto-actifs - Une menace pour l’ordre monétaire et financier“ aux éditions Economica.

Comment envisagez-vous l'évolution de la régulation des crypto-actifs à l'échelle mondiale, et quels défis principaux les régulateurs devront-ils surmonter pour assurer une stabilité financière tout en favorisant l'innovation ?

C’est une vraie question, car il faut à la fois favoriser l’innovation et réguler, sachant que la régulation est une nécessité impérieuse afin d’éviter une crise financière future.

Pour ce qui est des crypto-actifs aux États-Unis, le Président Donald Trump a annoncé un allègement de la réglementation en nommant un nouveau directeur pro crypto-actifs à la tête de la Securities and Exchange Commission (SEC). Avec ce changement, il est à craindre que la SEC privilégie des innovations du type des crypto-actifs au détriment de la protection des consommateurs et de la stabilité financière. 

Au niveau européen, le législateur s’est penché tout d’abord sur les enjeux liés à la régulation : la fraude qui couvre les arnaques, la cybercriminalité, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, etc. Il s’est aussi intéressé aux valorisations, le plus souvent incertaines, et aux  marchés peu efficaces. Il a également analysé les enjeux liés à la protection des épargnants, à la souveraineté et à la stabilité financière. 

Face à ces défis, l’Europe avait le choix d’interdire les crypto-actifs ou de réglementer. Avec le règlement Markets in Crypto-Assets ou MiCA du 20 avril 2023, décision a été prise d’encadrer ces actifs numériques pour tirer profit des innovations. En adoptant ce règlement, l’UE a eu pour objectif d’apporter la sécurité juridique à l’écosystème des crypto-actifs et à soutenir l’innovation tout en préservant la protection des consommateurs, l’intégrité des marchés et la stabilité financière.

Quels sont les scénarios les plus probables pour l'avenir des banques traditionnelles face à la montée des néobanques, Fintechs et Bigtechs, et comment peuvent-elles s'adapter pour rester compétitives ?

Le paysage bancaire et financier s’est considérablement transformé ces dernières années avec l'apparition de nouveaux entrants (banques en ligne, néobanques, Fintechs, Bigtechs, ...) et l'accélération de la numérisation des processus. L’arrivée de ces nouveaux acteurs dans le monde de la finance constitue un défi pour les banques traditionnelles qui vont devoir affronter une rude concurrence. Mais ces dernières ne sont pas totalement démunies. Elles disposent même d'atouts considérables : elles disposent d'une large clientèle, de données nombreuses et sécurisées, d'une expérience dans la gestion des risques et la conformité aux exigences réglementaires. En Europe et en France, les banques traditionnelles apparaissent comme un coffre-fort de données et de consommateurs. Seulement 37 % des clients français envisageraient d’utiliser les services financiers proposés par les géants du numérique et même les plus jeunes ne seraient pas enclins à leur confier leurs données financières.

Les banques traditionnelles ont une histoire longue qui inspire la confiance au consommateur. Elles restent des acteurs de confiance malgré la crise financière et continuent à bénéficier d’une forte notoriété ainsi que d’une bonne réputation en matière de sécurité et de protection des données de leurs clients, dans un contexte où les pratiques de certains grands acteurs du numérique posent problème. Par ailleurs, elles apportent aux clients de véritables conseils grâce à une forte culture de l'expérience client ; elles sont parfois qualifiées de « banques relationnelles ». Elles ont également une grande expérience en matière de conformité pour la lutte contre le blanchiment, la fraude et autres délits financiers. Par ailleurs, elles disposent aussi d’une forte implantation géographique à travers le réseau des agences et d’une proximité avec le consommateur. La France comptait 33 526 agences bancaires fin 2023 selon les chiffres publiés par la Banque centrale européenne, soit 492 agences pour un million d’habitants (et 308 agences en moyenne en zone euro). Enfin, elles investissent dans la recherche et développement pour favoriser l’intégration d’innovations dans leurs offres de services.

Les banques traditionnelles ont multiplié les initiatives pour répondre aux défis de la révolution numérique. Leurs stratégies s'articulent autour de quatre axes : transformation de leurs modèles d'affaires (« business models »), amélioration de la relation client, modernisation des systèmes d'information et réorientation de la culture d'entreprise vers l'innovation.

L’émergence des nouveaux entrants ne signe pas la fin des banques, car ces dernières ont su s'adapter aux nouvelles technologies. La banque de demain sera une combinaison de numérique et d'humain, et non un simple acteur de la banque en ligne. À l'instar de la grande distribution, le numérique ne devra pas reléguer au second plan l'agence physique, et l'enjeu sera d'assurer un développement harmonieux des deux. La banque du futur sera « phygitale », combinant numérique et présence physique. En conclusion, les banques devront se transformer. Cela suppose une évolution des métiers de la banque, une intégration dans un nouvel écosystème numérique et la création d’une banque « omnicanal », c’est-à-dire une intégration des différents canaux de distribution et de communication.

Vous mentionnez les risques éthiques et économiques liés à l'absence d'une autorité souveraine dans un système basé sur les crypto-actifs. Pouvez-vous détailler les implications potentielles pour la confiance publique et la cohésion sociale ?

Les crypto-actifs n’ayant pas les caractéristiques d’une monnaie, ils ne peuvent inspirer la confiance du grand public et jouer un rôle de cohésion sociale. La monnaie est un lien social, un lien à l’autorité souveraine. Elle doit incarner une souveraineté légitime pour inspirer confiance. Sinon le lien se délite.

La valeur d’un crypto-actif n’est pas basée sur la confiance du grand public, confiance dans son acceptabilité par tous pour toutes formes d’échanges économiques et confiance dans la capacité des banques centrales à en maintenir le pouvoir d’achat grâce à la politique monétaire. Sans confiance, il n’est pas possible de garantir l’acception de la monnaie sur le long terme. L’utilisateur ne peut pas compter sur la stabilité de la valeur des crypto-actifs fortement volatiles, illiquides et spéculatifs. Une monnaie n’est acceptée que si elle bénéficie d’une solide confiance, conserve sa valeur et respecte la vie privée. La confiance dans la monnaie c’est le métier des banquiers centraux, c’est la pièce maîtresse qui assure la cohésion de tout le système économique.

Enfin, la hausse des cours des crypto-actifs pourrait alimenter une fragmentation sociale. En effet, l’appréciation d’un crypto-actif va accroître la fortune des premiers détenteurs de ces actifs au détriment des nouveaux arrivants et des non-détenteurs. En d’autres termes, ces actifs spéculatifs vont profiter principalement aux investisseurs précoces. Pour conclure, les crypto-actifs ne garantissent pas l’intégrité du système de paiements.

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