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25.02.2025
Qui sont les sympathisants de l’extrême droite en Allemagne, en France et en Italie ?
L’extrême droite conduite par les Fratelli d’Italia est au pouvoir en Italie ; le RN est le premier parti de France ; et l’AfD ne cesse de progresser en Allemagne, ce qui a été confirmé par les élections législatives du 23 février 2025. Si ces formations partagent un grand nombre d’orientations doctrinales, leurs sympathisants respectifs se distinguent en certains points.
L'analyse par Luc Rouban, directeur de recherche CNRS au CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po, d’une vaste enquête sociologique conduite en janvier dernier dans les trois pays, le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF. Cet article a été initialement publié par notre partenaire The Conversation, avant les élections allemandes du 23 février.
En Europe, les forces politiques d’extrême droite semblent avoir franchi un seuil dans la conquête du pouvoir. Leurs succès se multiplient en de nombreux points du continent et, spécialement, dans les trois pays les plus peuplés de l’UE.
En Italie, Georgia Meloni s’est installée en 2022 au palais Chigi à la tête d’une coalition associant des partis d’extrême droite comme Fratelli d’Italia et la Lega au parti libéral Forza Italia et au parti chrétien-démocrate Nous modérés.
En France, le Rassemblement national (RN) est devenu le premier parti du pays, absorbant une bonne partie de l’électorat de droite et notamment des Républicains, passant entre les élections législatives de 2022 et celles de juin 2024 de 4,2 millions d’électeurs à 10,7 millions, une progression historique.
En Allemagne, dont l’histoire politique depuis 1945 est pourtant clairement orientée vers le refus de tout ce qui pourrait rappeler le passé nazi, l’Alternative für Deutschland (AfD) a gagné beaucoup de terrain dans les Länder orientaux du Brandebourg, de Saxe et de Thuringe en septembre 2024. Ces succès locaux présagent-ils un succès national lors des élections anticipées du 23 février 2025 ? Au niveau national, la proximité à l’AfD était déclarée par 17,8 % des enquêtés en 2025 contre 8,7 % en 2020.
On peut donc se demander si le RN, Fratelli d’Italia et l’AfD attirent le même type d’électeurs. Pour répondre à cette interrogation, nous nous appuyons sur les données de la vague 16 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof menée en janvier 2025 auprès de 3 532 enquêtés français, 2 000 enquêtés allemands et 1 761 enquêtés italiens. Afin de mesurer le potentiel électoral, plutôt que s’appuyer sur les résultats d’élections passées, et pour disposer d’effectifs plus étoffés, on partira ici de la proximité partisane des enquêtés.
Une banalisation sociale des partis d’extrême droite
Si l’on mène une rapide analyse sociologique, on constate que les enquêtés proches de l’AfD sont sensiblement plus jeunes que ceux proches de Fratelli d’Italia ou du RN : les moins de 50 ans constituent 60 % des partisans du parti d’extrême droite allemand, 49 % des partisans du RN (lequel attire de plus en plus les seniors qui ont délaissé les Républicains) et 38 % de ceux de Fratelli d’Italia. La proportion des 18-24 ans est sensiblement supérieure au sein des sympathisants de l’AfD : 11 % contre 8 % pour le RN et 4 % pour Fratelli d’Italia.
En revanche, la différence de genre ne joue pas : les proportions d’hommes et de femmes sont de 50 %-50 % pour le RN et l’AfD, et de 53 % d’hommes et 47 % de femmes pour Fratelli d’Italia.
En termes de qualification universitaire, que l’on a homogénéisée ici en grandes catégories, les trois groupes d’enquêtés sont similaires. Bien que les personnes peu qualifiées demeurent légèrement sur-représentées parmi les sympathisants de ces partis, ces derniers ont élargi leur audience aux diplômés du supérieur, même s’ils s’avèrent souvent déclassés professionnellement. C’est ainsi que la proportion de ceux dont le diplôme le plus élevé est de niveau équivalent au CAP-BEP français est de 30 % parmi les enquêtés proches du RN et de 29 % pour ceux proches de Fratelli d’Italia comme pour l’AfD. De la même façon, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur est de 32 % pour le RN, 27 % pour Fratelli d’Italia et 33 % pour l’AfD.
La distribution en catégories socioprofessionnelles montre que les classes populaires constituent une proportion plus importante des sympathisants du RN que de ceux de Fratelli d’Italia ou de l’AfD mais que la proportion d’inactifs hors retraités, essentiellement des femmes au foyer, est sensiblement plus forte dans ces deux derniers cas.
La distribution détaillée des professions montre également que la proportion d’ouvriers qualifiés ou d’employés du secteur public est plus importante au sein des partisans du RN (respectivement 14 % et 6 %) qu’au sein de ceux de Fratelli d’Italia (6 % et 4 %) ou de l’AfD (9 % et 2 %). Cette dimension plus populaire du RN se traduit également par une proportion élevée de retraités modestes (20 %) que l’on ne retrouve pas parmi les partisans de Fratelli d’Italia (11 %) ou de l’AfD (12 %).
Derrière le classement social objectif, des différences importantes séparent les trois groupes d’enquêtés en termes de classement social subjectif. On leur a demandé d’évaluer leur propre place dans la hiérarchie sociale de leur pays sur une échelle allant de 0 à 10. Si l’on ne retient que les notes allant de 6 à 10, et donc les positions subjectives moyennes supérieures ou supérieures, on voit que leur proportion est de 33 % chez les partisans du RN contre 59 % chez ceux de Fratelli d’Italia et de 40 % chez ceux de l’AfD.
La proximité au RN s’associe donc toujours plus à des représentations négatives quant à sa mobilité ou à sa réussite sociale. L’idée que ses efforts professionnels sont ou ont été récompensés est plus rare : 42 % pour les proches du RN contre 49 % pour ceux de Fratelli d’Italia et 51 % pour ceux de l’AfD. Ce sont encore les proches du RN qui estiment le plus souvent avoir des difficultés à s’en sortir avec les revenus du ménage : 65 % contre 47 % des proches de Fratelli d’Italia et 61 % des proches de l’AfD.
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Un rapport au politique très différencié
Les extrêmes droites s’insèrent dans des contextes politiques nationaux différents. En moyenne, 42 % de tous les enquêtés italiens font confiance en 2025 à Georgia Meloni alors que 53 % des enquêtés allemands font confiance au chancelier Scholz et 27 % des enquêtés français font confiance à François Bayrou.
Nous avons construit un indice de confiance dans les institutions politiques (le gouvernement, le conseil municipal, la chambre basse, la chambre haute, le Parlement européen) dichotomisé en un niveau bas (de 0 à 2 réponses positives) et un niveau supérieur (de 3 à 5 réponses positives).
La proportion de partisans du RN se situant sur ce niveau supérieur est de 14 %, celle des partisans de l’AfD de 16 %, mais celle des partisans de Fratelli d’Italia de 50 %. De même, 86 % des partisans du RN pensent que le personnel politique est plutôt corrompu et 79 % des proches de l’AfD contre 53 % des proches de Fratelli d’Italia, ce qui peut être considéré dans ce dernier cas comme un effet conjoncturel, la confiance politique restant fortement liée à la couleur politique du gouvernement.
Le libéralisme est plus affirmé chez les partisans de l’AfD
Si l’on en juge par les déclarations des dirigeants de l’AfD, c’est en Allemagne que l’extrême droite semble la plus « extrême ». Néanmoins, son électorat potentiel paraît moins radical que celui du RN en France.
Pour mesurer les écarts, on prend ici quelques questions significatives sur le nombre des immigrés, l’attente « d’un vrai chef pour remettre de l’ordre dans le pays », sur le fait que les Musulmans et les Juifs constituent ou non des groupes séparés dans la société, s’il faut renforcer ou non l’Union européenne, s’il faut réduire le nombre des fonctionnaires.
Au total, les enquêtés proches de l’AfD se révèlent plus libéraux sur le plan sociétal (sauf en ce qui concerne la stigmatisation des Juifs et le changement climatique) et sur le plan économique que ceux proches du RN.
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Les caractéristiques sociales jouent sur la possibilité de coalitions
Les représentations des électeurs potentiels des trois partis d’extrême droite sont relativement convergentes, mais se dissocient néanmoins sur le rapport à la démocratie et à l’autorité, la France étant devenu le parent malade de l’Europe en termes de confiance dans la vie politique.
C’est dans l’articulation entre autorité et libéralisme que se joue la recombinaison génétique actuelle des droites. Si les partisans du RN sont plutôt orientés vers l’autorité, ceux de l’AfD et de Fratelli d’Italia le sont plutôt vers le national-libéralisme.
Lors de la conférence de Munich sur la sécurité qui vient d’avoir lieu, le vice-président américain J. D. Vance a plaidé pour la fin du « cordon sanitaire » en Allemagne, qui récuse toute coalition de la droite CDU-CSU avec l’AfD. L’extension du vote d’extrême droite dans les catégories sociales moyennes et supérieures rend cependant plausible une telle coalition, comme celle qui s’est imposée en Italie et celle qui peut s’imposer en France.
Légende de l'image de couverture : Manifestation de l'Afd à Chemnitz, Allemagne, septembre 2018. (crédits : Shutterstock / knipsdesign)